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Zone euro : un budget, pour quoi faire ?

La création d’un futur budget de la zone euro a franchi, le 22 février, une nouvelle étape : la France et l’Allemagne ont adopté une position commune sur cet instrument, qui vise à “soutenir la croissance, la compétitivité et la convergence en son sein”. Un compromis bien éloigné des ambitions françaises de réformes de la zone euro. Toute l’Europe fait le point sur ce débat.

Sculpture du symbole de l'euro, devant la Banque centrale européenne à Francfort (Allemagne) - Crédits : littleclie / iStock
Sculpture du symbole de l’euro, devant la Banque centrale européenne à Francfort (Allemagne) - Crédits : littleclie / iStock

A la mi-décembre 2018, les 19 États membres de la zone euro approuvaient l’idée d’un “possible instrument budgétaire pour la zone euro” . Fin février 2019, France et Allemagne s’accordaient sur ses contours. Mais ce compromis est bien loin des ambitions françaises et des recommandations de certains économistes appelant à renforcer, tant que le ciel est dégagé, la capacité de résistance de la zone euro. Car entre budget de stabilisation et budget de convergence, le débat sur un “budget de la zone euro” cache différentes propositions.

Comment la zone euro fonctionne-t-elle aujourd’hui ?

Ces vingt dernières années, la monnaie unique a soutenu la prospérité de la zone euro en assurant la stabilité monétaire. La création de l’euro a mis fin aux fortes fluctuations monétaires, qui étaient l’apanage de l’ancienne Communauté économique européenne (CEE), permettant à ses membres de gagner en compétitivité par rapport à leurs voisins et ainsi de doper leurs exportations lorsque leurs économies vacillaient. Désormais, la Banque centrale européenne (BCE) a la charge, de manière indépendante, de la politique monétaire.

Les États de l’Union économique et monétaire (UEM) ont toutefois conservé leur autonomie dans la définition des autres outils de politique économique : politiques budgétaires (impôts et dépenses publiques) et règles du marché de l’emploi. Ceux-ci sont mobilisables en cas d’une baisse de leur activité.

Pour autant, les marges de manœuvre des Etats sont réduites dans la mesure où tous sont soumis à la même politique monétaire. Et pour que celle-ci soit cohérente avec chaque politique économique nationale, il faudrait que les économies membres de la zone euro suivent des trajectoires économiques proches… ce qui n’est pas vraiment le cas aujourd’hui.

La mise en œuvre d’un outil budgétaire commun permettant de combler une baisse d’activité chez l’un d’eux et limiter cette divergence des économies, était bien envisagé dès la création de l’euro. Mais faute de consensus, les Etats membres ont préféré adopter en 1989 des règles de coordination et de convergence des politiques économiques nationales : les fameux critères de Maastricht, afin de responsabiliser la gestion des dépenses publiques de chaque pays, en fixant des plafonds de dette et de déficit.

Quant au budget européen, qui représente 1 % du PIB de l’UE, celui-ci n’est pas conçu pour assurer une fonction de stabilisation macroéconomique, rappelle la Commission européenne. Autrement dit pour soutenir un Etat de la zone euro dont l’activité économique s’essouffle dangereusement.

Pourquoi cette architecture a-t-elle posé problème durant la crise ?

Dans ce cadre, un Etat qui fait face à un choc économique quelconque ne peut donc plus utiliser la dévaluation de sa monnaie pour relancer ses exportations et son activité. Tandis qu’il peut difficilement procéder à politique de relance “compte tenu des règles budgétaires et/ou de la réaction des marchés financiers” , explique Agnès Benassy-Quéré, économiste à l’École d’économie de Paris.

Ainsi en cas de crise grave et unilatérale (qui ne touche qu’un ou plusieurs pays), les États sont privés de la plupart des outils habituellement utilisés pour limiter les effets d’une baisse d’activité, comme la hausse du chômage, et la relancer. Sans pour autant que des mécanismes communs à la zone euro n’existent pour l’aider à stabiliser son économie.

Seuls leviers d’action restant : la restriction des dépenses (y compris sociales) et les désormais fameuses “réformes structurelles” . Des mesures que l’on peut qualifier d’austérité qui se concrétisent le plus souvent par une baisse du coût du travail et des impôts sur les sociétés, et qui impliquent fréquemment une stagnation voire une diminution des salaires.

De cette manière, les pays les moins compétitifs avant la crise de 2008 (Grèce, Portugal, Italie, Espagne) ont fortement réduit leurs coûts salariaux à partir de 2009. En comparaison, dans les Etats mieux armés (France, Finlande, Autriche, Belgique, Allemagne) le niveau de rémunération est resté relativement constants, expliquent les économistes Paul de Grauwe et Yuemei Ji (OFCE).

Et outre leur coût social élevé, ces réformes ont contribué à accroître les divergences entre les économies européennes depuis 2008. Couplées à un contrôle relativement opaque des politiques nationales par la Commission, elles ont alimenté le sentiment anti-euro.

Un budget de stabilisation pour renforcer la zone euro ?

Face à ces constats, des économistes mettent en avant le caractère inachevé de la zone euro et le besoin d’un budget commun. Un budget qui, en cas de choc grave touchant un ou plusieurs Etats membres, pourrait contribuer à stabiliser leurs économies.

Cette idée est notamment défendue par 14 économistes français et allemands (dont Agnès Benassy-Quéré). Selon eux, un tel budget, alimenté par des contributions nationales, permettrait de “soutenir l’activité quand un pays doit faire face à une crise, soit seul, soit avec le reste de la zone euro” , limitant au passage le recours à de douloureuses réformes.

Il s’agirait d’effectuer des transferts financiers vers les économies dans le besoin, à la différence du Mécanisme européen de stabilité (MES), créé pendant la crise pour proposer des prêts aux Etats en crise en contrepartie de plans de réformes structurelles.

Ce budget de la zone euro, s’il est uniquement consacré à la stabilisation, n’aurait par ailleurs pas besoin d’être colossal. Les fluctuations de faible ampleur, elles, seraient toujours prises en charge par les économies nationales. Enfin, précisent les 14 économistes, l’accès à ce fonds serait conditionné au respect des règles budgétaires.

Un autre argument [pour la mise en place d’un tel budget de la zone euro] consiste à dire que la BCE ne peut pas toute seule atteindre les objectifs de stabilisation” , précise également Agnès Benassy-Quéré. Si la BCE s’est montrée très active pendant la crise, sa capacité à limiter son impact s’est avérée insuffisante. D’autant plus que son objectif n’est pas tant de soutenir l’activité que de stabiliser l’inflation.

Dans son discours de la Sorbonne, prononcé quelques mois après son élection, Emmanuel Macron a ainsi proposé une réforme de la zone euro fondée sur la création d’un budget : “Il nous faut des moyens de stabilisation face aux chocs économiques, un Etat ne peut pas seul faire face à une crise lorsqu’il ne décide plus de sa politique monétaire […]. Nous avons besoin d’un budget plus fort au cœur de l’Europe, au cœur de la zone euro” , a-t-il déclaré.

“Club Med” vs. Ligue hanséatique : une proposition qui peine à convaincre

Mais si un nombre croissant d’économistes, et même la Commission européenne, partagent l’idée que doter la zone euro d’un tel budget permettrait d’améliorer la capacité de résistance des Etats face à une crise et le fonctionnement même de la monnaie unique, ses 19 membres ne sont pas tous du même avis… Et une telle réalisation demeure à l’heure actuelle pour le moins hypothétique.

En juin 2018 à Meseberg, Angela Merkel et Emmanuel Macron se sont mis d’accord sur un certain nombre de points concernant l’avenir de la zone euro et ont publié une déclaration proposant “d’établir un budget de la zone euro afin de promouvoir la compétitivité, la convergence et la stabilisation dans la zone euro, à partir de 2021″ .

Pour autant, l’idée d’un tel budget ne réjouit pas totalement les Allemands. Grands défenseurs des règles budgétaires de Maastricht, ceux-ci craignent toujours qu’un tel partage de responsabilités incite l’un ou l’autre de leurs partenaires à laisser filer ses dépenses dans les périodes favorables, au lieu de se préparer en vue des mauvais jours, comptant sur cette nouvelle solidarité.

Huit pays - le Danemark, l’Estonie, la Finlande, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, les Pays-Bas et la Suède - sont à cet égard vent debout contre les propositions françaises. Pour eux, l’UEM doit continuer d’être synonyme de discipline budgétaire et de refus des transferts financiers entre Etats. Pas question de payer la note des pays du “Club Med” , ces “paresseux” du sud de l’Europe qui dilapideraient l’argent public…

Ces pays situés dans la moitié nord de l’Europe et organisés au sein d’un nouveau groupe d’influence baptisé la Nouvelle ligue hanséatique, estiment ainsi que le renforcement de la zone euro passe par le strict respect des critères de Maastricht et la poursuite de réformes structurelles afin de flexibiliser les marchés du travail nationaux. Ils sont donc pour le prolongement de l’actuelle politique économique européenne.

L’idée, en vogue depuis la crise économique et financière, a déjà conduit les pays de la zone euro à mettre en place ces réformes structurelles et à renforcer les règles budgétaires censées améliorer la coordination des politiques économiques.

Vers un budget de convergence ?

Prise entre deux feux, la Commission européenne a, en mai 2018, mis sur la table une première proposition visant d’un côté à soutenir les réformes des marchés du travail nationaux, avec un programme d’appui aux réformes structurelles de 25 milliards d’euros à l’échelle de toute l’UE, et de l’autre à créer un mécanisme de stabilisation des investissements de la zone euro pour protéger les investissements publics en cas de choc, sur la base de prêts.

Mais lors du sommet de la zone euro du 14 décembre 2018, les négociations entre les 19 chefs d’État et de gouvernement de l’eurozone ont abouti à un accord bien plus timide. La plupart des points proposés par le président français ne sont en effet plus au programme. Exit donc un véritable budget qui devient plutôt “un possible instrument budgétaire pour la zone euro” , dont les contours devront encore être négociés. Son objectif ? Soutenir la compétitivité et la convergence (via des investissements de long-terme), à l’instar du budget global de l’UE - mais sans fonction de stabilisation.

Le 22 février, France et Allemagne se sont mis d’accord sur les contours de ce fameux “possible instrument budgétaire” . Il financerait des réformes menées par les Etats membres de la zone euro et identifiées dans le cadre de la procédure du Semestre européen, des projets ou programmes d’investissements. En définitive, selon Reuters, l’instrument budgétaire devrait être intégré au budget pluriannuel de l’UE. L’ensemble des ministres des Finances de la zone euro se pencheront sur le sujet le 11 mars, lors d’une réunion de l’Eurogroupe.

Qu’on rajoute des instruments de convergence au niveau de la zone euro, pourquoi pas, juge Agnès Benassy-Quéré, puisqu’on sait que la divergence est encore plus forte au niveau de la zone euro que de l’UE” . Mais il s’agit selon elle d’une occasion manquée, car cela ne permet pas de soutenir un Etat en cas de crise.

Les chercheurs Stéphanie Hennette, Thomas Piketty, Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez ont également élaboré une proposition de modification en profondeur de l’architecture de la zone euro par la création d’un vaste budget, dans le cadre d’un projet de traité de démocratisation de l’UEM. Ce budget serait ici alimenté par des impôts à l’échelle de la zone euro votés par une assemblée dont les membres seraient issus des parlements nationaux. Les 4 chercheurs critiquent en effet l’actuelle gouvernance qu’ils jugent particulièrement opaque (le Parlement européen, par exemple, n’y a pas son mot à dire). Dans un tel cadre, le budget aurait des fonctions plutôt de convergence et d’investissement - en faveur par exemple de la transition écologique. Mais une telle harmonisation fiscale permettrait de réduire les divergences et d’améliorer la solidarité entre les Etats membres.

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