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Zaki Laïdi : “Face aux révolutions arabes l’UE n’aura guère été très performante”

Aide à la reconstruction en Tunisie et en Egypte, intervention militaire en Libye, sanctions contre le régime syrien, négociations sur la reconnaissance d’un Etat palestinien… la diplomatie européenne semble de plus en plus présente dans les pays arabes. Et pourtant, insiste le chercheur Zaki Laïdi, la politique étrangère de l’Union européenne est en ce moment en bien mauvaise posture. Interview.

Touteleurope.eu : L’action de l’Union européenne face aux révolutions arabes peut-elle être considérée comme un succès ?

ZakiLaïdi : Il n’est pas possible de parler de succès, puisque l’Union européenne a été pratiquement absente de ce mouvement. En revanche, on peut parler d’un succés franco-britannique indéniable.

On a assisté en réalité à une coordination entre deux Etats membres, la France et la Grande-Bretagne, en dehors de tout circuit communautaire. Au demeurant les Anglais ne voulaient surtout pas entendre parler de l’Europe dans ce conflit. Pour eux coopérer avec la France ne leur pose aucun problème, mais ils ne veulent pas que cela conduise à plus d’Europe. La France raisonne autrement.

Mais a-t-elle les moyens de faire bouger les choses ? La seule structure de décision commune a été au sein de l’OTAN, et dans le cadre du groupe de contact sur la Libye crée à l’initiative de la France pour ne pas totalement otaniser la guerre.

Touteleurope.eu : La réaction des Etats-Unis à ces révolutions a pu être interprétée comme un relatif retrait visant à laisser plus de marge de manœuvre à l’UE…

Z.L. : C’est une interprétation pour le moins contestable : les Etats-Unis ont joué un rôle absolument considérable dans les révolutions arabes. Ils ont été les acteurs moteurs et décisifs dans la chute du gouvernement Moubarak en Egypte. Dans l’affaire libyenne, la grande confusion dans les esprits vient de l’affichage politique, délibérément prudent voire masqué de la part des Etats-Unis, pour des raisons fondamentales de politique intérieure. Mais l’engagement américain sur le terrain a été substantiel, en matière de renseignement, de “refueling” et d’envois de missiles et de drônes. Sans les Américains les Européens n’auraient pas pu intervenir.

Il est vrai que les Français et les Anglais ont eu une position beaucoup plus allante, mais certainement pas les Allemands qui ont refusé de voter la résolution 1973 et de s’engager dans le conflit, y compris à travers des actions n’impliquant pas le recours à la force. Un des pays qui a été le plus efficace sur le plan militaire, la Norvège, ne fait pas partie de l’Union européenne.

Touteleurope.eu : Quel rôle l’UE peut-elle jouer en Syrie ?

Z.L. : Aucun Etat n’est favorable à une intervention militaire en Syrie, il y a un consensus absolu au niveau international sur ce point. C’est une option totalement impossible à mettre en œuvre, parce que l’opposition syrienne elle-même y est défavorable.

Restent les politiques de sanctions, sur lesquelles l’Europe a une carte à jouer. C’est un point qui ne pose pas de problème particulier, même si un certain nombre d’Etats membres peut avoir quelques réticences en raison d’intérêts économiques, notamment dans le domaine pétrolier [l’Italie est le principal pays importateur de pétrole syrien, ndlr]. Mais la Syrie n’implique pas d’énormes enjeux pour les Européens, et dans ce type de situation ceux-ci arrivent toujours à se mettre d’accord !

Il y a consensus sur la nature inacceptable de la politique du gouvernement syrien et sur l’idée que le régime n’est pas réformable (puisque même les Saoudiens le pensent), mais une intervention militaire reste inenvisageable.

Touteleurope.eu : Les révolutions arabes peuvent-elles modifier la politique de voisinage de l’Union européenne ?

Z.L. : Pour le moment, il est très difficile d’évaluer l’impact de l’action de l’UE et de sa politique de voisinage sur les révolutions arabes, il faudra attendre. Le plus important est d’être à l’écoute de ces sociétés et non seulement des Etats comme elle l’a été trop longtemps, de tirer les leçons du formidable fiasco qu’a été sa politique de voisinage méditerranéen, et de repartir sur des bases nouvelles.

L’aspect quantitatif de l’aide financière apportée à ces changements de régimes peut être souligné. Mais je ne crois pas que ces montants seront colossaux, et d’ailleurs le montant de l’aide ne détermine pas son efficacité. L’Europe doit se concentrer sur l’aide qualitative : le soutien administratif à la reconstruction et à la mise en place d’un Etat de droit. En Libye par exemple, l’enjeu n’est pas financier : le pays est immensément riche, on peut lui faire des avances sur son propre pétrole mais le problème d’un tel pays n’est pas de recevoir des ressources extérieures puisqu’il en est gorgé. Il faut enfin une approche plus différentiée : la Tunisie n’est pas l’Egypte, qui n’est pas la Libye…

Tout cela prendra beaucoup de temps, mais la principale leçon est que la nature des régimes politiques doit influencer nos choix. On a voulu mettre ce principe de côté pendant des années, mais on est bien obligé d’en tenir compte aujourd’hui.

Touteleurope.eu : L’Europe a-t-elle un rôle à jouer dans la résolution du conflit israélo-palestinien, en accompagnant notamment la demande de reconnaissance d’un Etat palestinien que l’Autorité palestinienne devrait prochainement soumettre à l’ONU ?

Z.L. : Nous sommes pour le moment très mal partis : les Européens ne sont pas unis sur la position à tenir, certains sont favorables à la reconnaissance, d’autres veulent s’abstenir et d’autres enfin sont contre. C’est pourtant une question sur laquelle il devrait y avoir une position commune, mais je ne suis pas du tout certain que cela va se produire.

Soyons lucides : la politique étrangère de l’UE est dans une situation très peu favorable. D’une part beaucoup d’Etats ont d’autres priorités, d’autre part rien n’évolue depuis 50 ans. La crise libyenne l’a bien montré : d’un côté nous avons deux Etats qui pensent globalement, stratégiquement, ont un outil militaire et pour lesquels le recours à la force n’est pas honteux, même s’il n’y a pas à s’en réjouir ; de l’autre des Etats qui soit considèrent qu’il s’agit d’un problème trop complexe pour eux, soit ont d’autres ambitions, l’exemple le plus frappant étant celui de l’Allemagne. Au fond, l’immensité de l’opinion allemande se sent mieux si l’on ne s’occupe pas des affaires du monde, il faut avoir cela à l’esprit.

C’est un peu triste, mais j’ai beau scruter le paysage, je ne vois rien se profiler dans le sens contraire. Bien sûr, on peut réfléchir à un certain nombre de missions communes, dont certaines ont déjà été mises en œuvre, mais avec un caractère relativement “humanitaire” . Alain Juppé, qui pourtant est très favorable à une démarche européenne mais se demandait si l’UE n’était pas une ONG, n’a pas tort de se poser la question !

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