Toute L'Europe – Comprendre l'Europe
  • Actualité

Vincent Chriqui : “30% des Européens n’ont jamais utilisé internet”

Vendredi 13 mai, le Centre d’Analyse stratégique dévoilait pour Toute l’Europe sa dernière note sur l’Agenda numérique européen, initiative-phare de la stratégie Europe 2020. Son directeur Vincent Chriqui nous présente les propositions du CAS pour une Europe du numérique harmonisée.

Toute l’Europe : Pourquoi le Centre d’analyse stratégique s’intéresse-t-il à l’agenda numérique européen ?

Vincent Chriqui : Le numérique est l’un des secteurs clés pour le développement économique de l’Europe, et pour lequel l’harmonisation européenne joue un rôle particulier.

Dans l’Union européenne, un certain nombre de barrières, voulues ou non (langue, habitudes, cadres juridiques) nous empêchent d’avoir les mêmes économies d’échelle qu’aux Etats-Unis par exemple. Ce frein peut être levé, à condition de mettre en œuvre une véritable politique européenne.

Toute l’Europe : Existe-t-il une spécificité du marché numérique européen ? Ou doit-on plutôt parler de fragmentation des différents marchés ?

Vincent Chriqui : La grande qualité américaine est sa capacité à mobiliser une chaîne qui va de la recherche à l’innovation, financée par le capital-risque, en passant par le monde de l’entreprise. Or l’Europe a peu de capacités pour fixer les forces créatrices et à leur donner un cadre, notamment en termes d’appareils de formation.

Mais nous avons aussi des points forts : je pense aux débats actuels sur le respect de la vie privée, et la protection des données personnelles. En Europe on est plus rigoureux dans ce domaine, et c’est un avantage que l’on doit valoriser car il peut être décisif.

On bute aussi sur un certain nombre d’obstacles assez stupides. Je prends l’exemple de la facturation électronique, qui aux Etats-Unis ne pose aucune difficulté. En Europe, seules 8% des transactions électroniques s’effectuent dans un pays étranger, et parmi elles 60% rencontrent des problèmes voire sont refusées, notamment parce que les cartes bleues ne sont pas toujours admises d’un pays à l’autre. Sans compter les questions de TVA qui sont différentes d’un pays à l’autre.

Toute l’Europe : Quelles sont vos propositions concernant l’agenda numérique européen ?

Vincent Chriqui : La première concerne le “cloud computing” , typiquement l’un des domaines où il faut réduire les barrières entre pays pour fonctionner de manière harmonieuse. Cela fera d’ailleurs l’objet de travaux financés par le grand emprunt.

Avec le cloud computing, les utilisateurs ou les entreprises ne sont plus gérants de leurs serveurs informatiques mais peuvent accéder à de nombreux services en ligne sans avoir à gérer l’infrastructure sous-jacente, souvent complexe. Les applications et les données ne se trouvent plus sur l’ordinateur local, mais - métaphoriquement parlant - dans un nuage composé de serveurs distants interconnectés .
La signature électronique
est un mécanisme permettant d’authentifier l’auteur d’un document électronique.
L’authentification
est la procédure qui consiste à vérifier l’identité d’une entité afin de l’autoriser à accéder à des ressources.
(source Wikipedia)

Deuxièmement, en ce qui concerne la protection des droits au plan juridique, nous avons plusieurs propositions sur les questions d’authentification et de signature électronique. Il s’agit en premier lieu d’établir une interopérabilité entre les différents systèmes nationaux, c’est-à-dire qu’une signature électronique valide en France le soit aussi au Danemark ou en Pologne.

Idem pour la protection des données personnelles. Sans harmonisation, certaines fermes de serveurs s’implantent dans des pays dont la règlementation est souple. Une harmonisation serait un vrai avantage concurrentiel pour nos entreprises, puisque tout le monde saurait qu’une entreprise installée en Europe respecterait un certain nombre de règles.

Il y a aussi la question de la gouvernance des catégories particulières de l’internet, à commencer par l’internet des objets. Nous devons faire en sorte que la gestion des identités numériques soit européenne.

Il faut enfin adapter le cadre juridique afin qu’émerge un marché unique numérique en Europe. Pour les petites structures, il est trop lourd de se conformer à toutes ces règlementations différentes. Si le cadre est commun, une entreprise n’a qu’un jeu de règles à respecter pour pouvoir opérer dans tous les marchés.

Globalement, dans des domaines très différents on retrouve toujours la même idée : si chaque pays met en place ses règles, l’Europe va perdre un avantage concurrentiel.

Enfin, nos propositions se veulent européennes, mais nous souhaitons bien sûr que la France joue un rôle de premier plan, et elle en est capable avec des domaines d’excellence, comme les jeux vidéo par exemple. Il faut aussi s’en donner les moyens, avec les outils de soutien à l’innovation comme le crédit impôt recherche, et les dépenses d’avenir.

Toute l’Europe : Pour revenir au cloud computing, l’émergence d’un “champion européen” ne se heurterait-elle pas à une concurrence trop sévère des acteurs existants ? Avec un scénario similaire à ce qui s’est passé avec Google pour la numérisation des livres ?

Vincent Chriqui : Dans ce cas, il y aurait des tas de domaines où il n’y a plus qu’à renoncer ! Effectivement il y a un problème particulier avec les moteurs de recherches ou les réseaux sociaux, où s’installe une sorte de monopole naturel. Mais ce n’est pas le cas pour le cloud computing : c’est un domaine où les situations acquises évoluent très vite. Il y a donc toute la place pour de nouveaux entrants européens. Cela passe par une politique de recherche au sein des pays membres, qui permet de mettre en place cet écosystème d’innovation.

Toute l’Europe : Y a t-il une convergence entre la politique française de l’innovation, comme le grand emprunt, et l’agenda de la Commission ?

Vincent Chriqui : Le grand emprunt n’a certes pas été conçu dans un cadre européen, mais la France a toujours souhaité que cette idée d’investir pour l’avenir soit portée par ses partenaires. Cela dit, en Europe, on bute sur des enjeux classiques de financement, surtout dans le contexte actuel. Il y a deux choses qui doivent cheminer en parallèle : mettre des moyens pour l’innovation, et être attentif à ne pas entrer en contradiction ou en concurrence avec les partenaires européens. Le champ naturel d’action de l’UE se trouve plutôt du côté de la règlementation harmonisée, et n’entre pas en contradiction avec les investissements nationaux.

Toute l’Europe : Le Centre d’analyse stratégique a récemment publié une note sur le fossé numérique français, retrouve-t-on les mêmes disparités au niveau européen ?

Vincent Chriqui : Effectivement, on retrouve cette idée de fossé numérique pour l’ensemble de l’Europe avec le “50, 20, 30” . 50% des Européens utilisent internet quotidiennement, 20% de temps en temps, et 30% ne l’ont jamais utilisé. On a donc une image très disparate de la société. Si l’on veut vraiment que tout le monde puisse avoir accès au service public numérisé, il faut d’abord cibler ces 30%. Tous les serveurs internet publics doivent aussi être faciles d’accès, même pour ceux qui n’utilisent pas internet quotidiennement.


En savoir plus

Centre d’analyse stratégique (Le rapport est consultable sur le site du CAS à partir du 17 mai)

Votre avis compte : avez-vous trouvé ce que vous cherchiez dans cet article ?

Pour approfondir

À la une sur Touteleurope.eu

Flèche

Participez au débat et laissez un commentaire

Commentaires sur Vincent Chriqui : "30% des Européens n'ont jamais utilisé internet"

Lire la charte de modération

Commenter l’article

Votre commentaire est vide

Votre nom est invalide