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Victoire des conservateurs en Pologne : quelles conséquences ? Entretien avec Jacques Rupnik

Ce dimanche 25 octobre 2015 aura été marqué par la montée au pouvoir, en Pologne, du parti Droit et justice (PiS), parti eurosceptique et conservateur se revendiquant proche des positions du Premier ministre hongrois, Viktor Orban.

Le PiS succède à la Plateforme civique (centre-droit), au pouvoir durant les deux précédents mandats et auparavant menée par Donald Tusk, l’actuel président du Conseil européen.

Jacques Rupnik, directeur de recherches au Centre de recherches internationales de SciencesPo et auteur de Géopolitique de la démocratisation, l’Europe et ses voisinages (Paris, Presses de Sciences Po, 2014), revient pour Toute l’Europe sur cet évènement politique.

Jacques Rupnik

Pour la première fois depuis 1986 l’exécutif et le législatif appartiendront au même bord politique, que faut-il attendre de cet événement ?

L’important n’est pas qu’ils soient du même bord politique, mais plutôt qu’ils aient une conception très particulière de la séparation des pouvoirs.

Le parti Droit et justice (PiS), qui vient de gagner les élections, recherche une concentration, un renforcement du pouvoir exécutif. Donc le fait que le président, qui a de très faibles pouvoirs constitutionnels en Pologne, soit du même bord ne fera que renforcer cette tendance. Mais ce n’est pas le plus important.

Le PiS, mené par Beata Szydlo, a remporté les élections à 37,58%, devant la PO d’Ewa Kopacz qui atteint les 24,09%.

A la Diète, le PiS rassemble 239 députés, soit un peu plus de la moitié. Le PO en a conservé 138 (30%), les 87 restants sont répartis entre les formations politiques restantes.

De la même façon, au Parlement, la formation conservatrice a obtenu 61 des 100 sièges, 33 reviennent à la PO et les 7 restants sont répartis entre les formations de gauche (1 siège) et la minorité allemande (5 sièges).

Ce qui compte est qu’ils aient la même vision restrictive de la séparation des pouvoirs et de l’Etat de droit. Ils aiment se référer au modèle Orbán, ce qui donne une indication de ce qu’il faut attendre.

C’est un parti qui n’aime pas les corps intermédiaires et les contre-pouvoirs, surtout les institutions présumées politiquement neutres, comme la Cour constitutionnelle, la banque centrale ou la Cour des comptes.

Nous avons eu en Hongrie une “révolution par les élections” , mais ce n’est pas tout à fait le cas en Pologne. Le PiS n’aura pas la majorité des deux tiers au Parlement et ne pourra pas modifier la Constitution à sa guise.

Par ailleurs il y a une presse indépendante beaucoup plus forte en Pologne, en particulier le journal Gazeta Wyborcza qui est le principal quotidien en Europe de l’Est. Il y a une société civile très attachée aux libertés et à l’orientation européenne.

Comment expliquer la montée en puissance du parti Droit et justice, après huit années de pouvoir de la Plateforme civique ?

C’est précisément parce qu’il a passé huit ans au pouvoir : “l’usure du pouvoir” est un phénomène assez classique. Il était remarquable par ailleurs que la Plateforme civique (PO) soit réélue il y a cinq ans. C’est la première fois que des sortants avaient été réélus, alors que le mot d’ordre était jusque-là : “sortir les sortants” .

D’autres éléments ont joué, comme la capacité du PiS à renouveler ses élites politiques. Ils ont mis en avant un personnel nouveau, plus jeune, plus modéré dans ses propos, à la différence des jumeaux Kaczynski [les anciens président et Premier ministre, ndlr] et de leur entourage qui étaient beaucoup plus radicaux.

Alors que la Plateforme civique, elle, n’a pas renouvelé son personnel politique. Sans faire injure à Mme Kopacz, elle était une pâle copie de M. Tusk, qui avait fait quasiment les deux mandats.

Troisième élément : il y a véritablement deux Pologne. D’un côté la Pologne de l’Ouest, des grandes villes, avec un milieu urbain éduqué et qui a beaucoup profité de la transformation économique ainsi que de l’ancrage européen, qui était le soutien de la Plateforme.

Et puis l’autre Pologne, à l’Est, plus rurale, qu’habitent un peu les laissés-pour-compte de la transition. En regardant toutes les élections polonaises, pas uniquement celles qui viennent d’avoir lieu, on retrouve ces deux Pologne, qui correspondent historiquement à la carte des partages de la Pologne à la fin du 18e siècle.

Or, pour la première fois le PiS gagne même dans l’Ouest, dans des villes qui votaient pour la Plateforme. Les deux Pologne existent encore, mais le clivage est culturel plus qu’économique. Ces élections montrent la volonté d’alternance, de sanctionner des élites libérales pro-européennes jugées arrogantes. L’affaire des écoutes a laissé des traces. Vu les excellents résultats économiques, les explications sociologiques habituelles sur les laissés-pour-compte de la transition comptent sans doute moins que l’affirmation identitaire, donc les émotions.

Le contexte actuel de la crise migratoire n’a fait que renforcer cette dimension. Il a favorisé un discours centré sur la défense de l’identité nationale, de la Pologne chrétienne, dans un contexte où l’on peut voir chaque soir à la télévision des milliers de migrants musulmans arriver en Europe. Tout cela combiné donne une explication du résultat.

Les partis de gauche n’ont pas réussi à mobiliser suffisamment de voix pour être représentés au Parlement. Le communisme est-il enterré en Pologne ?

Il y a d’abord eu une éclipse. Une des particularités de la vie politique polonaise depuis une décennie est que la lutte n’a pas lieu entre la droite et la gauche, mais entre la droite libérale de la Plateforme et la droite nationale conservatrice du PiS. La gauche était marginalisée, c’était une survivante.

Aujourd’hui elle disparaît du paysage parlementaire : c’est quelque chose de nouveau et de symboliquement fort.

Il y avait jusque-là deux gauches : la gauche-post communiste qui avait très vite pris le tournant en 1989, qui a été remarquable par son engouement pour l’économie de marché et le libéralisme, avec un programme fondé sur l’économie de marché, doublée d’un soutien indéfectible à la guerre en Irak.

A côté, un centre-gauche, modéré, libéral, issu de la dissidence, qui était autrefois l’Union pour la liberté représentée par Geremek. Or l’échec de la gauche libérale a précédé l’échec de la gauche post-communiste et nous avons maintenant une éclipse totale.

Il faut ajouter un dernier élément pour comprendre cela. La gauche post-communiste a montré beaucoup de zèle dans l’introduction de l’économie de marché. Parallèlement le parti PiS de Kaczynski est à sa gauche sur la politique économique et sociale. Si la gauche est libérale sur le marché, il y a une droite nationale qui est plus étatiste et plus sociale. Voilà le paradoxe qui explique l’éclipse de la gauche.

Un parti eurosceptique est maintenant à la tête de la 6e démographie européenne : quelles conséquences en attendre pour l’Europe ?

L’arrivée du PiS au pouvoir tourne la page de l’orientation européenne de la politique polonaise.

Nous avions, depuis les années 1990 une orientation tournée vers l’entrée dans l’Union européenne en 2004. Mis à part l’épisode très bref des frères Kaczynski au pouvoir, il y avait en Pologne une orientation pro-européenne, concrétisée par la nomination de l’ancien Premier ministre Donald Tusk à la tête du Conseil européen.

Ce sera maintenant l’inverse, avec l’affirmation d’un gouvernement souverainiste fermement opposé à l’euro, qui sera très réticent aux tentatives européennes de “forcer la main” des pays d’Europe centrale.

Il retrouvera à ce titre, sur la question migratoire, les pays du groupe de Višegrad. En septembre ce groupe s’est opposé aux quotas de répartition des migrants. Le gouvernement de Mme Kopacz, sous la pression de l’Allemagne et de l’Union européenne (c’est-à-dire de Mr. Tusk), avait fait machine arrière. Il faut s’attendre à un retour de la Pologne dans le consensus du groupe de Višegrad pour s’opposer à la répartition des migrants par quotas fixés à Bruxelles.

Cette politique eurosceptique aura d’autres prolongements. Evidemment, une posture rhétorique encore plus ferme vis-à-vis de la Russie. Le gouvernement polonais précédent était pourtant celui de l’Union européenne qui avait adopté la posture la plus dure et qui exigeait le plus de fermeté dans la crise ukrainienne ainsi que dans la riposte à la politique de Poutine. Le gouvernement actuel sera encore plus dur sur ces questions.

Il est possible d’imaginer des tensions à venir avec le couple franco-allemand qui gère les négociations sur la crise ukrainienne. De même, la lune de miel entre la Pologne et l’Allemagne, que représentait le gouvernement de Mr. Tusk, ainsi que ce dernier choisi par Angela Merkel pour être le président du Conseil européen, sera terminée ou en tous cas en suspens.

Pour résumer donc, on peut s’attendre en Pologne à un euroscepticisme affirmé, avec tout ce qui concerne la réticence apportée à l’intégration européenne, mais aussi des difficultés sur toute une série de dossiers concrets comme la politique à l’Est, la relation avec la Russie et la relation avec l’Allemagne qui seront plus tendues, et en tous cas un consensus de la Pologne dans le groupe de Višegrad sur la question des migrants.

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