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Vers une Méditerranée plus propre d’ici 2020 ?

Du latin “au milieu des terres”, la Méditerranée est la plus grande mer intérieure du monde avec une surface de 2,5 millions de km2. Joyau de la biodiversité marine, elle est gravement menacée par la pollution en provenance des terres qui l’entourent. Une menace qui va croissante avec l’essor du tourisme et la littoralisation. En 2006, les principaux acteurs régionaux ont adopté l’Initiative Horizon 2020 pour lutter contre les principales sources de la pollution en Méditerranée : déchets municipaux, eaux urbaines résiduaires et pollution industrielle. En 2018, où en sont ces efforts ?

La pollution d'un port à Malte
La pollution d’un port à Malte - Crédits : Alain Bachellier

Un joyau menacé

Berceau de l’humanité, la Méditerranée est aussi le berceau de nombreuses espèces marines. Représentant 0,8% de la surface des mers du globe, et 0,3% de leur volume, la Méditerranée abrite en revanche entre 8 et 9% de la biodiversité marine dans le monde. D’après WWF France, la Méditerranée est un “hot spot de biodiversité” : un quart des espèces de cétacés fréquentent cette mer, tandis que “plus d’un quart des espèces méditerranéennes sont endémiques” , c’est-à-dire qu’elles n’existent nulle part ailleurs.

Cependant, ce joyau figure parmi les mers les plus polluées au monde. “Au milieu des terres” , 80% de la pollution en Méditerranée provient justement des pays qui l’entourent.

D’une part, le boom démographique et la littoralisation placent cet écosystème sous pression. La population des pays méditerranéens a doublé, passant de 240 millions en 1960 à 480 millions en 2010. “La population urbaine de la région a connu une croissance significative : en 1960, elle représentait 4% de l’ensemble de la population des pays méditerranéens, alors qu’en 2010 environ 67% de la population vivait en zone urbaine. La majeure partie de cette urbanisation a eu lieu le long des côtes” , explique Didier Sauzade, responsable du programme mer à l’Institut européen de la Méditerranée.

D’autre part, la région a également connu un boom économique. Dans son rapport “La relance de l’économie de la mer Méditerranée” , publié en 2017, WWF met en garde contre les conséquences négatives de cette économie marine en pleine croissance. Le nombre de touristes dans la région devrait en effet dépasser les 500 millions en 2030, tandis que les littoraux artificiels vont augmenter de 5 000 km d’ici 2025, par rapport à 2003. Par ailleurs, l’ONG alerte aussi sur le fait que le trafic maritime en Méditerranée est appelé à doubler d’ici 2020, entraînant un accroissement de la pollution.

Une Méditerranée pleine de plastique” , titre même Greenpeace dans un rapport de 2017 sur la situation environnementale dans la région. “Entre 21% et 54% des particules micro-plastiques dans le monde sont dans le bassin méditerranéen” , notamment dans les zones les plus urbanisées et touristiques. Une situation illustrée par les nombreux récipients plastiques géants que l’ONG a jeté symboliquement dans les eaux des îles Baléares.

La pollution industrielle joue aussi un rôle important. “Chaque année, la Méditerranée reçoit entre 400 000 et 500 000 tonnes de pétrole et résidus huileux” , explique Ricardo Aguilar, directeur scientifique de l’ONG Oceana Europa. La situation est alarmante : les quantités d’hydrocarbures dissous dans l’eau atteignent les 5 grammes par litre, et parfois surpassent les 10 grammes par litre dans certaines zones particulièrement polluées. Une situation qui ne cesse de s’aggraver avec la croissance des exploitations pétrolières et de gaz offshore. Ces dernières, d’après WWF, devraient se multiplier par 5 d’ici 2030.

Cette “ruée vers l’or bleu” , pour reprendre la formule de WWF, a un fort impact environnemental. Au cours des 50 dernières années, la Méditerranée a perdu 41% de ses mammifères marins et 34% de ses poissons. 34% des herbiers de posidonie (plantes à fleurs sous-marines, qui n’existent que dans le bassin méditerranéen) ont été endommagés et plus de 13% des coraux marins sont menacés d’extinction. Et le changement climatique ne fait évidemment qu’aggraver la situation. D’après WWF, le niveau de la mer pourrait monter jusqu’à 25 cm d’ici 2040-2050, menaçant les écosystèmes terrestres ainsi que la population habitant des littoraux de plus en plus urbanisés.

Infographie : WWF

Coopération régionale

Déchets urbains, eaux urbaines résiduaires et pollution industrielle : ensemble, ces facteurs représentent 80% de la pollution en Méditerranée. Ils sont aussi au centre de l’Initiative Horizon 2020, adoptée par les pays de la région lors de la conférence ministérielle euro-méditerranéenne qui s’est tenue au Caire en novembre 2006. Horizon 2020 met l’accent sur l’organisation de projets locaux, regroupés autour de 3 axes : investissements pour la réduction et prévention de la pollution, renforcement des capacités et examen et surveillance. Cette approche vise à identifier les points chauds de la pollution dans chacun des pays de la région. Et dans la mise en place et l’exécution des projets, les institutions européennes, les autorités nationales et la société civile sont impliquées.

Au cœur du dispositif se trouve également l’Union pour la Méditerranée (UpM). Depuis sa création en 2008, l’organisation a fait d’Horizon 2020 l’un des grands axes de son action dans la région et préside son comité directeur. A cet égard, le projet d’assainissement du lac Bizerte, en Tunisie, est probablement l’initiative phare de l’UpM dans le cadre de d’Horizon 2020.

Ce programme contribuera dans les cinq prochaines années à assainir le lac de Bizerte, en améliorant non seulement les conditions de vie de la population de la région, mais aussi en réduisant les sources de pollution qui ont un impact sur l’ensemble de notre mer, la mer méditerranéenne” , a fait valoir Federica Mogherini, haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères, lors de la présentation du projet le 1er novembre 2016.

L’un des succès d’ores et déjà visibles du programme Horizon 2020 pour la Méditerranée concerne la transformation de l’industrie de l’huile d’olive, produite à 95% dans la région. En effet, cette industrie est une importante source de pollution : les eaux usées des moulins qu’elle nécessite ont un impact très négatif sur l’environnement. Lorsqu’elles sont déversées dans les lacs ou directement dans la mer, ces eaux usées consomment de l’oxygène, mettent du temps à se décomposer et réduisent la biodiversité des écosystèmes.

Pour répondre à ce problème, un projet pilote a été lancé en 2014 en Andalousie, visant à démontrer que ces eaux pouvaient être réutilisées comme fertilisant, au lieu d’être déversées dans l’environnement. Le tout à un coût très bas. D’après Per Ekdunge, coordinateur du projet, un retour sur l’investissement sera possible au bout de dix ans seulement, ce qui prouve la viabilité du modèle.

Campagne de sensibilisation de Greenpeace en Méditerranée - Crédits : Pedro Armestre, Greenpeace

Quelle feuille de route d’ici 2020 ?

Toutefois des succès comme celui de l’huile d’olive ne doivent pas occulter le fait qu’Horizon 2020 n’accomplira probablement pas ses objectifs. “Des progrès ont été réalisés dans les traitements des eaux usées et, dans une moindre mesure, dans celui des déchets solides, mais beaucoup reste à faire pour la réduction des pollutions industrielles. Dans certains cas, les pressions dues à l’accroissement de la population et de l’industrialisation combinées aux effets émergents du changement climatique croissent plus vite que les effets des mesures prises” , indique Didier Sauzade.

Pour sa part, Roland Courteau, sénateur de l’Aube, souligne les clivages entre les deux rives de la Méditerranée. Dans son rapport intitulé “La pollution de la Méditerranée : état et perspectives à l’horizon 2030” , publié en 2016, ce dernier explique que si le Nord est très engagé en matière de lutte contre la pollution, les progrès restent encore très limités au Sud.

Face à des menaces qui ne cessent de se multiplier, l’accentuation des efforts et l’élaboration d’une nouvelle feuille de route commune apparaissent nécessaires. Il s’agit en tout cas de la conclusion principale de la conférence ministérielle de l’UpM sur l’environnement et les changements climatiques du 13 mai 2014 à Athènes. Les pays méditerranéens ont alors réaffirmé leur engagement pour l’Initiative Horizon 2020. Et de nouveaux projets avec un champ d’application plus large ont été adoptés, concernant notamment le tourisme durable.

Plus généralement, l’économie bleue gagne de plus en plus d’adeptes. Le programme SwitchMed Connect, lancé en 2015 par l’Union européenne et les Nations unies, a pour but la construction d’une économie méditerranéenne durable en rassemblant différents acteurs de la région (entrepreneurs, chercheurs, et membres de institutions nationales et régionales). C’est justement dans le cadre de ce programme que l’UpM a présenté sa “recette pour la Méditerranée” en 2015 à Barcelone : “soutenir l’adoption de modèles de consommation et de production durables et d’efficacité des ressources dans la région méditerranéenne” .

Malgré l’adoption à haut niveau de l’économie bleue en tant qu’objectif de l’élaboration des politiques et de l’investissement, il n’existe toujours pas de définition largement acceptée du terme” , déplore par contre WWF dans un rapport consacré à la Méditerranée en 2017. L’ONG souligne notamment que cette économie bleue ne peut fonctionner que si elle est accompagnée d’une économie verte et respectueuse de l’environnement côté terre.

Pour Greenpeace, l’une des clés “est le changement de mentalités” . L’ONG recommande ainsi d’interdire l’emballage et les couverts à usage unique et d’augmenter le prix des produits plastiques, afin de “mettre fin à la culture du jetable” .

Enfin, selon Roland Courteau, c’est toute la coopération politique dans le bassin méditerranéen qui doit être renforcée afin d’éviter la fragmentation progressive des différents projets et acteurs impliqués. “Un des paradoxes de cette gouvernance commune est, qu’au fil des temps, les échelons de coopération se sont amoncelés sans que cette profusion d’interventions renforce réellement les réponses communes à la progression de la pollution dans le bassin” , souligne-t-il dans son rapport pour le Sénat.

L’UpM peine en outre à accomplir son rôle de coordinateur en raison des tensions politiques dans la région, en particulier le conflit Israël-Palestine. “Il en résulte que même les réunions techniques (par exemple sur l’eau en 2010) ne peuvent déboucher, d’autant plus que les décisions doivent être prises à l’unanimité” , regrette M. Courteau, qui soutient la création d’une Agence de protection de l’environnement, “sur la base d’un volontariat et d’une règle de majorité qualifiée” .

Article dirigé par Toute l’Europe et réalisé avec des élèves de Sciences Po dans le cadre d’un projet collectif

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