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Vent violent sur le franco-allemand

Le mois de mai s’annonçait sous les meilleurs auspices : nous fêtions les 60 ans de la Déclaration de Robert Schuman et les 80 ans de Helmut Kohl sans qui l’euro n’aurait pu exister. La crise grecque en a décidé autrement et en un week-end d’une rare intensité diplomatique et dramatique, a mis en exergue nos différences considérables : à la responsabilité allemande répond la solidarité française ; à la vertu, la générosité ; au calcul et à la stratégie de la physicienne Merkel, la fougue et l’enthousiasme de l’avocat Sarkozy.

Et quelques soient aujourd’hui les déclarations rassurantes des uns et des autres, cette période troublée va laisser des traces profondes. L’Allemagne a définitivement reconquis sa fierté, et ne veut plus recevoir de leçon sur sa qualité de citoyenne européenne. Et ce d’autant moins qu’elle est convaincue d’avoir montré le bel exemple de l’orthodoxie financière, d’avoir choisie la voie de l’intégration européenne et qu’elle est avec 28% du budget européen, la première contributrice. Quant à la France, elle se débat avec son propre endettement, ses mouvements sociaux, et voit poindre une cure de rigueur obligée qui ne dit pas son nom. Mais se croit obligée de prendre les rênes de l’Europe puisqu’en termes d’image publique cela redonne force et vigueur à la popularité de son Président, relance habilement son quinquennat, et le place dans une excellente posture à quelques mois de la présidence française du G20 qui débutera en novembre.
Alors pendant que Angela Merkel assistait au 65ème anniversaire de la célébration de la victoire des alliés sur la Place Rouge le 9 mai dernier - faisant jaser ceux qui voient l’Allemagne définir un nouvel axe Berlin-Varsovie-Moscou-, Nicolas Sarkozy - comme lors de la crise géorgienne - s’agitait pour trouver un compromis acceptable par tous. Deux attitudes, deux modes d’approche extrêmement différents qui ont l’avantage de bousculer notre belle Europe endormie. Et de mettre en lumière quelques évidences qui déplaisent à la plupart des « petits » pays européens.
- La première est que d’évidence l’Europe ne peut se faire sans l’axe Paris Berlin : les Etats-Unis ne s’y trompe pas et c’est au final Barack Obama (aidé par le Vice-Président Biden) qui a fini par convaincre la Chancelière d’apporter son soutien aux propositions françaises de sauvetage de l’Euro soulignant par là que tout se jouait entre ces deux pays. Et mettant en lumière les grands absents de l’Histoire que sont malheureusement les instances dirigeantes de l’Europe : à commencer par José Manuel Barroso (en froid avec Angela Merkel qu’il a tenté maladroitement d’influencer par voie de presse), mais aussi Herman Van Rompuy (que la Chancelière a délibérément écarté lors de ses entretiens avec Nicolas Sarkozy au prétexte qu’elle préfère négocier en tête-à-tête plutôt que de risquer d’être isolée lors de la discussion). Tous deux, le Président de la Commission européenne comme celui du Conseil Européen, ont été visiblement dépassés par l’ampleur de la résolution de la crise qui a fait passer en trois semaines le besoin en liquidités de 20 milliards le 25 mars, à 30 le 11 avril, à 110 le 2 mai, à 500 le 10 mai pour finir sur 750 aujourd’hui !
- En second lieu que Maastricht, et Lisbonne ne sont pas suffisants pour réguler l’Europe. Il va falloir coûte que coûte installer de nouvelles règles, notamment pour la zone euro, clairement savoir qui fait quoi et repenser la gouvernance européenne : entre le président de l’UE, le président de l’Eurogroupe, le président de la commission, la présidence tournante…. On finit par avoir le tournis. A la faveur de la tourmente l’Eurogroupe doit pouvoir s’organiser, et doit chercher à définir des règles d’harmonisation sociales et fiscales au risque de voir se reproduire très vite d’autres accidents.
- Enfin redéfinir le rôle de la Grande-Bretagne, dernier grand Etat à ne pas avoir rejoint la zone euro, qui par la voix de son ministre des finances, Alistair Darling claironne « ce que nous ne ferons pas, ce que ne pouvons pas faire, c’est apporter notre soutien à l’euro ». Malgré les élections compliquées ont aurait pu s’attendre à un peu plus de solidarité. Ils ont préféré comparer le retour en grâce de l’Euro à la stratégie « shock and awe » (choc et stupeur) imposée à Bagdad en 2003 par le Président G.W Bush. Une attitude thatchérienne d’être à la fois dans et hors de l’Europe qui ne peut plus durer ;
Au final l’Histoire retiendra donc que des considérations de rigueur financière et de politique intérieure ont fortement bousculées la cohésion européenne, et que nous sommes passés très près d’un accident européen dont nul ne peut dire les impacts qui en auraient suivi. « Cela aurait très très très grave pour l’Euro mais aussi pour la survie de toute l’Europe monétaire » confirme P. Lellouche, Secrétaire d’état aux Affaires européennes. Il est beaucoup trop tôt pour se réjouir et nous sommes loin d’être sortis de la crise. Les prochains mois seront décisifs : la solidarité acquise ne l’a été que sous la menace et souvent contre les opinions publiques. Ils devront vite apporter calme et stabilité, et ce malgré les mouvements de contestation qui se mettent en place dans les pays défaillants qui vont devoir adopter des mesures de redressement impopulaires et drastiques.
La crise a été étouffée à coups de milliards, mais le feu couve encore et si les mesures prises ne s’avèrent pas suffisantes, il y a fort à parier que de nouvelles tensions mènent à une implosion de tout le système monétaire et par voie de conséquence de toute l’Europe. Raison de plus pour travailler un peu plus au maintien d’un tandem franco-allemand qui a sauvé momentanément l’Europe du chaos mais dont les bases sont aujourd’hui en totale réinvention.


Olivier Breton

Directeur du news magazine franco-allemand ParisBerlin

En savoir plus :

Crise dans la zone euro - le dossier de Touteleurope.fr

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