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Un Brexit serait “néfaste pour l’Europe et une catastrophe pour le Royaume-Uni”

Dernière ligne droite avant le référendum britannique d’appartenance à l’Union européenne, prévu pour le 23 juin. Pour faire le point sur l’état de la campagne au Royaume-Uni, Touteleurope.eu a profité de la session plénière du Parlement européen pour aller à la rencontre de Richard Corbett, eurodéputé travailliste et Européen de la première heure.

Grand artisan de l’augmentation des compétences du Parlement européen et ancien conseiller d’Herman Van Rompuy à la présidence du Conseil européen, Richard Corbett estime que si le Brexit est évité, ce sera “malgré David Cameron et non pas grâce à lui”. D’autant plus qu’un climat de “guerre civile” au sein du Parti conservateur devient “de plus en plus spectaculaire”.

Brexit

Touteleurope.eu : Vous êtes la preuve vivante qu’un Britannique peut être un Européen fervent. Vous étiez déjà impliqué pour le “oui” à l’Europe en 1975 lors du premier référendum britannique d’appartenance à l’UE. Celui du 23 juin ne doit pas vous être agréable…

Richard Corbett : En effet… c’est d’ailleurs la première fois qu’un Etat membre propose la sortie de l’Union européenne. Ça n’est jamais arrivé avant. Si cela devait arriver, ce serait très néfaste pour l’Europe, et une catastrophe pour la Grande-Bretagne.

L’euroscepticisme britannique est-il plus fort aujourd’hui ? A-t-il changé de nature avec les années ?

L’euroscepticisme a augmenté au fil des années. Un des facteurs très importants étant la presse écrite qui est, au Royaume-Uni, majoritairement très anti-européenne. A cet égard, plus des deux tiers de la presse nationale est entre les mains de seulement trois groupes : celui de Rupert Murdoch, le célèbre Australien qui déteste l’Union européenne, et ceux du Telegraph et du Daily Mail, qui représentent la droite nationaliste et qui ont toujours été contre l’Europe. Leurs articles, jour après jour, reflètent ce positionnement et visent à faire paraître l’Union européenne comme une menace ou comme ridicule.

Richard Corbett

Richard Corbett est eurodéputé depuis 2014, après l’avoir été de 1999 à 2009, année où il rejoint le cabinet d’Herman Van Rompuy, premier président permanent du Conseil européen, comme conseiller. Européen convaincu, il était chef de file des étudiants d’Oxford partisans du “oui” à l’Europe lors du référendum de 1975. Il est également vice-président du Mouvement européen au Royaume-Uni.

Le débat autour du référendum tourne beaucoup autour des peurs : des conséquences économiques d’un côté et de l’immigration de l’autre. Pourquoi les partisans du Bremain ne défendent pas davantage un argumentaire positif ?

Certains d’entre nous essaient de le faire ! Nous tâchons de dire que si l’Union européenne n’est pas parfaite, c’est quand même quelque chose de très important. Car qu’on le veuille ou pas, nous sommes bien interdépendants, sur le plan économique ou encore écologique. Il y a beaucoup d’enjeux qu’on ne peut résoudre seuls. Et mettre sur place une telle structure de coopération sur un continent où jusqu’à présent on se faisait la guerre est quelque chose de très précieux qu’il ne faut pas éclater, mais améliorer.

Ce référendum sur l’appartenance à l’Union européenne est-il susceptible d’engendrer une division profonde et durable de la société britannique ?

Je pense que la principale division se trouve au sein des Tories. Nous assistons là à une guerre civile qui devient de plus en plus spectaculaire. C’est d’ailleurs l’un des grands problèmes de ce référendum : la presse traite ça comme un affrontement entre personnalités du Parti conservateur, avec le poste de Premier ministre en jeu. Alors qu’il ne doit pas s’agir d’un débat sur David Cameron, lui n’est qu’un détail historique : l’enjeu est beaucoup plus important que cela.

Depuis quelques semaines, David Cameron prône l’union sacrée. Mais jusqu’à présent, le Labour et les Tories ne font pas vraiment campagne ensemble. Le regrettez-vous ?

Pas nécessairement. Nous parlons à nos électeurs, qui sont de gauche, et nous n’avons pas la même vision de l’Europe que David Cameron. Cela ne nous aiderait pas auprès de nos électeurs d’être perçus comme des alliés du Premier ministre. Je dirais même que nous allons gagner ce référendum malgré Cameron, et non pas grâce à lui.

C’est d’ailleurs paradoxal car ce référendum ne pourra être gagné qu’avec la mobilisation de l’électorat travailliste, alors même qu’il a été convoqué par les conservateurs…

Absolument. Pourquoi avons-nous un référendum ? Ce n’est pas parce que David Cameron et le Parti conservateur se sont convertis à la démocratie directe comme en Suisse. C’est parce que le Parti conservateur est très divisé. Avant l’élection nationale l’an dernier, pour apaiser cette guerre civile au sein des conservateurs, Cameron a promis de régler cela par un référendum. Tout en pensant certainement qu’il n’aurait jamais à honorer cette promesse dans la mesure où même lui ne s’attendait pas à obtenir une majorité absolue. C’est exactement ce type de promesse qu’il aurait pu laisser tomber au cours de négociations pour former une nouvelle coalition, avec les libéraux-démocrates par exemple qui étaient farouchement contre cette idée.

Comment jugez-vous l’implication de Jeremy Corbyn, leader des travaillistes, dans la campagne ? Est-il assez convaincant ?

C’est effectivement un homme qui a toujours été très critique de l’Union européenne. Mais depuis des années maintenant il soutient qu’il faut changer l’Europe, mais pas en sortir. Et peut-être même le fait qu’il ne soit pas un partisan farouche de l’Europe tout en disant qu’il faut y rester peut nous aider à parler à une certaine partie de l’électorat.

Dataviz Brexit

Pour tout savoir sur le référendum britannique d’appartenance à l’Union européenne pouvant entraîner un Brexit, consultez notre datavisualisation !

The Guardian a récemment révélé qu’une partie importante de l’électorat travailliste n’a pas réellement identifié la position du parti dans la campagne. Comment est-ce possible ?

Nous sommes tout à fait au courant de cela. Jusqu’à il y a deux semaines, nous devions faire campagne pour les élections locales britanniques. Maintenant tout le monde peut penser au référendum. Nous parcourons le pays, nous frappons aux portes, nous distribuons des millions de documents reprenant les discours de Jeremy Corbyn, nous avons un ‘battle bus’ [bus de campagne, ndlr] qui sillonne le pays pour attirer l’attention des médias locaux… D’ici le 23 juin, je crois qu’il n’y aura plus grand-monde pour ne pas connaître la position du Parti travailliste.

En tant que spécialiste de l’Europe, pensez-vous que l’UE n’est pas, à l’heure actuelle, trop affaiblie pour survivre à un départ du Royaume-Uni ?

Comme je vous le disais en début d’entretien, un Brexit serait très néfaste pour l’Europe. Perdre un Etat membre pour la première fois, de surcroît un grand Etat membre, ne serait pas sans conséquences. Le Royaume-Uni apporte certaines choses à l’Europe : il est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU ; il est, avec la France, l’un des seuls pays européens avec des moyens en matière de sécurité et de défense ; il fait partie des pays qui, paradoxalement, appliquent le mieux la législation européenne ; son économie est importante et, en ce moment, assez performante… Perdre tout cela pour l’Union européenne ne serait évidemment pas une bonne chose, c’est certain.

Un Royaume-Uni encore européen au lendemain du référendum pourrait-il être un frein à des velléités d’approfondissement de la zone euro - perspective régulièrement évoquée par des pays comme la France depuis quelques semaines ?

De toute évidence, les pays partageant la monnaie commune doivent aller plus loin pour améliorer son fonctionnement. C’est dans leur intérêt, mais aussi dans l’intérêt du Royaume-Uni qui ne veut pas que l’euro périclite. Ce serait un désastre pour nous aussi économiquement.

En revanche, je conteste l’idée selon laquelle la zone euro puisse devenir un noyau dur pour l’ensemble des questions gérées au niveau européen. La proximité des pays qui en font partie n’est pas évidente en matière de politique étrangère ou de sécurité par exemple. En Europe, nous n’avons pas une avant-garde, mais plusieurs arrière-gardes, et qui sont différentes. Neuf pays ne sont pas dans l’euro. Sept pays, pas forcément les mêmes d’ailleurs, ne sont pas dans Schengen. Le Danemark ne participe pas à la défense européenne. L’Espagne et l’Italie ne font pas partie de l’accord sur les brevets européens…

Sous-entendez-vous que nous sommes allés trop loin, trop vite, dans l’élargissement de l’Union européenne ?

Avions-nous le choix ? Intégrer les pays d’Europe centrale était important pour assurer la stabilité et la paix de cette région. Regardez là où nous n’avons pas élargi l’Union, comme en ex-Yougoslavie. La stabilité de cette région est plus importante que des difficultés économiques de court terme. C’est d’ailleurs l’essence même de l’Union européenne : gérer notre interdépendance et assurer notre stabilité. Et cela ne vaut pas que pour l’Europe de l’Ouest.

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