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Typologie des familles politiques en Europe, par Daniel-Louis Seiler

Quels points communs y a-t-il entre les travaillistes britanniques, les socialistes français et les sociaux-démocrates allemands ? Où situer l’UMP par rapport aux autres droites européennes ? Les concepts de “gauche” et de “droite” s’appliquent-ils dans les autres pays ? Dans Clivages et familles politiques en Europe, Daniel-Louis Seiler s’interroge sur les critères pertinents de classification des formations politiques européennes. A l’approche des élections présidentielles en France, nous lui avons demandé de dresser un portrait général de cette nébuleuse de partis.

Touteleurope.eu : Est-il possible de situer l’ensemble des partis politiques en Europe sur un axe gauche-droite ?

Daniel-Louis Seiler est professeur à Sciences-po Aix-en-Provence et chercheur au CHERPA. Spécialiste des partis et de la politique comparée, son dernier ouvrage Clivages et familles politiques en Europe dresse un état des lieux à la fois historique et contemporain de la mosaïque partisane européenne.

Daniel-Louis Seiler : Les observateurs français font régulièrement cette erreur, mais ils ne sont pas les seuls, les Britanniques ne sont guère meilleurs ! Chacun analyse la situation politique à l’étranger en déformant son propre système de partis, en particulier dans les grands pays. Les notions de droite et de gauche ne présentent aucun caractère général. Elles sont issues de l’histoire de France et se sont plus ou moins exportées dans des acceptions très différentes.


L’ancien président du Conseil italien et ancien président de la Commission européenne Romano Prodi, par exemple, est considéré en Italie comme un homme de gauche (il est notamment très proche de Jacques Delors), mais ne pourrait l’être en France en raison de son attachement au catholicisme…

En France, “on répartit toujours et sans appel les partis entre gauche et droite. Un découpage à la hache effectué par un boucher souffrant de strabisme divergent et affecté, par surcroît, d’un début de Parkinson mais dont le simplisme sommaire a trouvé grâce aux yeux des services de presse et d’informations concernés tant à la Commission qu’au Parlement européen” .

D.-L. Seiler : Clivages et familles politiques en Europe, p. 47.


L’une des composantes de “l’exception française” est l’échec historique du libéralisme économique face au colbertisme, et au libéralisme politique face à des formes plus autoritaires ou plébiscitaires. Dès lors, ni la gauche ni la droite française ne furent jamais libérales. Ainsi, les spectres politiques allemand, et surtout britannique sont, par rapport à la France, très à droite. La “grande époque” Chirac- Schröder oppose ces derniers à George W. Bush aux Etats-Unis, Jose Maria Aznar en Espagne, José Manuel Barroso au Portugal ou encore à la gauche polonaise pro-américaine et libérale. Malgré le récent déplacement vers la droite de l’UMP, cette dernière reste finalement plutôt proche du SPD, et les Socialistes français sur les positions de Die Linke, la gauche de la gauche allemande. En Grande-Bretagne, les Travaillistes sont maintenant sur les positions de la droite française, tandis que les Conservateurs sont beaucoup plus à droite. Et ne parlons pas des Etats-Unis, où les principaux partis français seraient tous considérés comme Démocrates… Un tel classement droite-gauche est donc très approximatif.

“Les programmes, et surtout les politiques, ne se distinguent pas entre eux par des abîmes idéologiques. Bien au contraire, l’éventail politique est étroit”

D.-L. Seiler : Clivages et familles politiques en Europe, p. 18.

Quant aux appellations des partis, celles-ci n’ont pas le même sens en fonction des pays. Les socialistes, et même les anciens communistes de l’Est, se revendiquent désormais tous sociaux-démocrates, tandis que le terme “libéral” est accolé en France et au Danemark à la droite, à la droite de la droite en Allemagne après avoir désigné le centre, mais au centre-gauche en Suède et à l’extrême-droite en Autriche ! Enfin certains noms, comme “UMP” , ne signifient rien…

Touteleurope.eu : Avec quels critères peut-on classer les courants politiques ?

D.-L. Seiler : Il est très complexe de définir les critères qui pourraient rassembler les courants politiques. Si l’on regarde uniquement le temps présent, peu de différences séparent les partis les uns des autres. Les écarts sont souvent beaucoup plus importants entre des partis de différents pays appartenant à la même famille, qu’entre des partis du même pays mais de familles différentes.

“Le multipartisme qui, le plus souvent, traduit la diversité historique et culturelle d’un pays, se retrouve frappé d’indignité comme le sont également les coalitions gouvernementales ou les tentatives de recherche d’un large consensus qui en découlent”

D.-L. Seiler : Clivages et familles politiques en Europe, p. 22.

Néanmoins, ces critères existent. Les partis politiques sont issus des conflits du passé et sont le produit de l’histoire. Plus celle-ci est longue, tourmentée et riche, et plus le système représentatif est ancien, plus le nombre de partis politiques est important. D’ailleurs, les systèmes de partis n’évoluent pas dans le sens du bipartisme mais vers un multipartisme de plus en plus accentué.


Ainsi, ce ne sont pas tant des critères de rassemblement que les grands clivages sur lesquels ces partis se sont historiquement créé, qui permet de dresser aujourd’hui une typologie. On peut ainsi, avec le politologue Stein Rokkan, distinguer quatre oppositions fondamentales : centre contre périphérie, Eglise contre Etat, marché contre nature et possédants contre travailleurs.

Touteleurope.eu : Quelles sont les grandes familles politiques en Europe ?

D.-L. Seiler : Première tendance : les partis socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes issus des mouvements ouvriers. Par opposition à ces partis historiques, les socialistes d’Europe de l’Est, post-communistes, sont sur des positions économiques très libérales.


Autre courant ancien : la famille conservatrice. C’est ce qu’on a longtemps appelé en France la “droite classique” , qu’aujourd’hui l’UMP et la CDU ont intégré.


A sa gauche, le courant démocrate-chrétien, aujourd’hui très affaibli étant donnée la sécularisation de l’Europe. Il subsiste encore au Benelux (Jean-Claude Juncker et Herman Van Rompuy en sont des exemples notoires), et partiellement dans le parti démocrate italien.


Le courant libéral, également centriste et en dégression, est surtout présent en Europe du Nord.


Les partis nationalistes appartiennent à différent courants. Il y a les nationalistes d’Etat, identitaires, parfois héritiers du fascisme, et qui ont le vent en poupe en raison des problèmes engendrés par la mondialisation. En Europe du Nord, ce sont plutôt des démocrates, plus permissifs que conservateurs dans de nombreux domaines, et qui considèrent justement que la religion musulmane porte atteinte aux libertés fondamentales.


L’extrême-gauche est forte en France, mais a également progressé lors des derniers scrutins en Espagne et au Portugal, et participe au gouvernement au Danemark et à Chypre. En Grèce, le KKE constitue la troisième force du pays : c’est d’ailleurs le seul parti sérieux, non clientéliste. Enfin, à la différence de la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, où les communistes ont été mis au pouvoir par les Soviétiques comme en Pologne, la République tchèque dispose toujours d’un parti communiste important.


Il existe aussi des partis autonomistes. Quelques-uns se rangent à l’extrême-droite comme le Vlaams Belang en Belgique ou la Ligue du Nord en Italie. D’autres à l’extrême-gauche comme le parti indépendantiste basque Batasuna. Le parti nationaliste basque et la NVA belge sont plutôt centristes, tout comme le Parti populaire suédois de Finlande. Dans beaucoup de cas, notamment en Italie du Nord, en Flandre, en Catalogne, ces partis proviennent d’une région riche historiquement dominée par l’Etat, et refusent aujourd’hui de partager avec les régions plus pauvres.


Née avec l’Europe, la famille écologiste est peut-être la plus cohérente. Sa première apparition aux élections présidentielles date de 1974 en France avec René Dumont. Elle obtient un premier siège en 1979 en Suisse, puis en Belgique, en Allemagne, et dans le reste de l’Europe. Les partis verts naissent ainsi à l’époque des premières élections européennes, et de plus l’environnement est un thème qui dépasse les frontières. Avant même de se constituer en partis, les mouvements écologistes ont pris l’habitude des mobilisations transnationales, comme à Fessenheim en 1971. Leur groupe au Parlement européen rassemble également les autonomistes de gauche, très fédéralistes, hostiles à l’Etat et sensibles aux enjeux environnementaux.

Touteleurope.eu : Que représentent aujourd’hui les groupes parlementaires européens ?

D.-L. Seiler : Les groupes du Parlement européen ont souvent été constitués de manière à avoir le plus de membres possible : beaucoup de partis très exotiques sont courtisés par les uns et les autres, parce qu’il y a de forts enjeux en termes de présidence du Parlement, des commissions… Et cela reprend à chaque élection et à chaque élargissement. Ainsi les deux principaux groupes, le PPE (qui va du centre-gauche belge au parti populaire espagnol héritier du franquisme) et le S&D, sont largement artificiels. Il est donc totalement incohérent d’identifier, même si cela peut éventuellement se vérifier pour les verts et les libéraux, les groupes du Parlement européen à des familles politiques. La même remarque vaut pour les Internationales, dont l’analyse des programmes des partis membres dévoile leur hétérogénéité et les convergences entre formations membres d’officines différentes.

Touteleurope.eu : Comment expliquer le succès de la droite aujourd’hui en Europe ?

D.-.L Seiler : Je ne sais pas si l’on peut réellement parler de succès. Si l’on regarde les résultats électoraux de ces dernières années, les libéraux et les conservateurs ont pris une déconvenue au Danemark, au profit du centre-gauche et de l’extrême-gauche. En Slovaquie, les sociaux-démocrates l’ont également emporté. Les conservateurs se sont uniquement maintenus en Suède, et le centre-droit en Pologne où les grands partis sont tous à droite.

La droite a battu les gouvernements sociaux-démocrates en Espagne et au Portugal, en raison de la crise économique particulièrement virulente dans ces pays mais aussi, et par conséquent, de la montée de l’extrême-gauche et surtout du taux d’abstention. La principale motivation de ces votes a été de “sortir les sortants” . De fait, une partie des gouvernements ayant eu à gérer la crise étaient sociaux-démocrates, et ont finalement mis en œuvre des politiques de droite, alors qu’on ne les avait pas élu pour cela. En Espagne en particulier, Zapatero a pris son électorat à contrepied, avec un programme de libéralisme culturel qui remporte finalement peu d’adhésion, et sans mettre en œuvre le dirigisme attendu.

Mais actuellement, la droite au pouvoir est partout faible dans les sondages, y compris en Allemagne ou les élections des Länder voient la CDU s’effondrer. On peut s’attendre à des sanctions équivalentes des équipes en place. Cette prédominance d’une famille en Europe n’est donc que conjoncturelle… à moins que la crise ne soit structurelle : dans ce cas, on peut craindre à un rejet systématique des partis “traditionnels” pour une montée des extrêmes…

Touteleurope.eu : Les clivages entre partis sont-ils en train de s’estomper ?

D.-.L Seiler : Dans la mesure où la marge de manœuvre des gouvernements se réduit de manière considérable du fait de la mondialisation, peu d’alternatives sont offertes par les grands partis. C’est donc à qui gèrera le mieux la crise… On verra, s’il y a une alternance en France, comment les socialistes vont s’en tirer. Il y a en tout cas un boulevard qui s’ouvre pour les extrêmes.


La solution par le haut, c’est l’Europe. Mais une Europe différente de celle administrée par le couple “Merkozy” , à bout de souffle comme beaucoup de gouvernements actuels. Ce n’est pas l’Europe elle-même qui est en cause, mais le manque de protection qu’elle propose contre la logique purement financière des marchés. C’est dans une meilleure Europe qu’est la solution, mais c’est évidemment difficile à réaliser si tous les pays ne sont pas sur la même longueur d’onde.

Touteleurope.eu : Un nouveau couple franco-allemand pourrait-il faire avancer l’Europe ?

D.-L. Seiler : Ce n’est pas certain. Il faudrait déjà que les autres pays le suivent. Aujourd’hui ce couple fonctionne relativement mal parce que, et bien que les Français le considèrent très à droite, M. Sarkozy est bien plus à gauche que Mme Merkel sur les questions économiques. En témoignent ses positions en matière de régulation, notamment lors des sommets internationaux. Le problème, c’est que Mme Merkel ne le suit pas sur un grand nombre de propositions.

Il n’est pas sûr qu’un couple à gauche s’en sorte mieux. Ceux qui finalement ont le mieux fonctionné étaient les couples Giscard-Schmidt et Chirac-Schröder, qui avaient les mêmes idées, et le couple Mitterrand-Kohl car ils avaient tous deux une vision fédéraliste que n’ont ni Nicolas Sarkozy ni Angela Merkel. Au contraire, Lionel Jospin ne s’entendait pas avec Gerhard Schröder, et son premier discours au PSE à Malmö, trop à gauche pour de nombreux membres, n’a pas été applaudi.

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