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Thierry Breton : “Le programme national de réforme français met l’accent sur la création des conditions de la croissance sociale”

Thierry Breton - DRThierry Breton est ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. Le Premier ministre l’a désigné comme coordonnateur national pour la stratégie de Lisbonne en France.

Quelle place la stratégie de Lisbonne occupe-t-elle concrètement dans l’action du gouvernement ?

L’objectif de la stratégie de Lisbonne est de faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde : cet objectif est au cœur de l’action menée par le gouvernement. Pour veiller précisément à la bonne cohérence entre les grandes lignes directrices fixées au niveau européen et les politiques menées au niveau national, le Premier Ministre m’a demandé de jouer le rôle de “coordonnateur” en France de la stratégie de Lisbonne.

Concrètement, le gouvernement a engagé plusieurs réformes ambitieuses qui s’inscrivent totalement dans la stratégie de Lisbonne. C’est le cas des efforts entrepris pour accroître le niveau de recherche privée et l’efficacité de la recherche publique : création de l’Agence pour l’Innovation industrielle (AII), de l’Agence nationale pour la recherche (ANR), ou encore réforme du crédit d’impôt recherche (CIR). Par ailleurs, nos engagements concernant l’emploi portent non seulement sur la réduction du chômage mais également sur l’augmentation du taux d’emploi : c’est l’objectif par exemple de la mise en place du Contrat nouvelles embauches (CNE) bien sûr (à l’origine de plus de 60 000 emplois sur une seule année), du plan d’action concerté en faveur de l’emploi des seniors (contrats spécifiques pour les seniors, réflexion sur le cumul emploi retraite et la bonification de la surcote…), ou encore des mesures qui viennent d’être prises en faveur des populations les plus éloignées du marché du travail (ZUS, non qualifiés) dans le cadre du 3ème volet de la “bataille pour l’emploi” . Les excellents résultats obtenus depuis 1 an - baisse du chômage de 10% à moins de 9%, perspectives de plus de 250 000 créations nettes d’emplois au total sur 2006 - montrent que ces mesures ont des traductions concrètes et immédiates dans la vie de nos concitoyens. Ensuite - et c’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur - la France s’est engagée sur la voie de l’assainissement de ses finances publiques afin de retrouver des marges de manœuvre budgétaire permettant d’investir plus et mieux dans l’avenir : c’est aussi l’une des implications de la stratégie de Lisbonne. Les résultats obtenus parlent d’eux-mêmes : le déficit de la France est revenu en 2005 sous la barre des 3% du PIB et l’endettement public baissera cette année d’au moins 2% du PIB, pour revenir d’ici 2010 sous la barre des 60% du PIB.

Enfin, la stratégie de Lisbonne et la politique du gouvernement se retrouvent sur un point majeur, à la une de l’actualité : l’énergie. Je pense bien entendu au projet de loi sur l’énergie que je défends actuellement au Parlement et qui vise notamment à permettre à Gaz de France de nouer des alliances avec d’autres entreprises du secteur pour aller de l’avant dans un monde énergétique en mutation rapide. Ce projet de loi vise également à transposer en droit français la directive européenne sur l’ouverture à la concurrence des marchés de l’énergie au 1er juillet 2007.

La mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne repose pour une large part sur l’action des Etats membres. Quels sont selon vous les avantages et les inconvénients d’une telle méthode ?

La nouvelle gouvernance met effectivement l’accent sur la nécessité de programmes nationaux de réforme (PNR) visant à décliner la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne dans chaque Etat membre. Je crois que la mise en place de ce dispositif facilite grandement l’appropriation nationale de la stratégie de Lisbonne, qui faisait défaut jusqu’à présent.

La France a présenté sa stratégie de réforme dans son programme national de réforme, axé sur la “croissance sociale” , en octobre 2005. Ce programme national de réforme - que j’ai eu le plaisir de présenter aux Commissions des Affaires économiques de l’Assemblée nationale et du Sénat - met l’accent sur la création des conditions de la croissance sociale, à savoir en particulier les éléments que je viens de développer : l’amélioration du fonctionnement du marché du travail, l’investissement dans l’avenir (recherche et développement), l’assainissement des finances publiques.

Pour autant, je suis convaincu qu’il subsiste une forte complémentarité entre les actions à entreprendre au niveau de l’Union et celles de la responsabilité des Etats membres. La mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne repose en effet également sur un dialogue avec la Commission, quant à notre stratégie et à nos besoins de réformes, ainsi qu’avec nos partenaires, quant aux meilleures pratiques mises en œuvre ailleurs dans l’Union.

La France appelle régulièrement au renforcement du volet communautaire du programme de Lisbonne. Dans quel(s) domaine(s) un tel renforcement est-il souhaitable ?

Nous avons établi en juillet 2005 avec nos partenaires européens un programme des aspects de la stratégie de Lisbonne qui doivent être traités au niveau communautaire, concernant trois grands domaines : la connaissance et l’innovation pour la croissance, l’attractivité de l’Union, et la création d’emplois, plus nombreux et de meilleure qualité. Il s’agit d’un programme ambitieux. L’échelon communautaire est un niveau d’action efficace dans ces trois domaines, car certains défis sont communs à tous les Etats membres de l’Union.

Des résultats concrets ont déjà été obtenus au niveau communautaire. Dans le domaine de la recherche et de l’innovation, par exemple, nous travaillons à la mise en place d’une “Facilité recherche” , nouvel instrument financier créé conformément aux souhaits exprimés par le Président de la République. L’idée est simple : prendre appui sur la capacité financière de la Banque européenne d’Investissement (BEI) pour proposer un mécanisme de financement des projets de recherche et développement, avec partage des risques. Nous avons obtenu qu’il rende possible une mobilisation de fonds pouvant aller jusqu’à 10 Md€ de prêts de la BEI (soit 30 Md€ in fine, la BEI intervenant en cofinancement). Nous avons en outre veillé à ce qu’il puisse profiter également aux PME.

On pourrait donner de nombreux autres exemples de domaines dans lesquels le renforcement du volet communautaire de la stratégie de Lisbonne s’est montré profitable. Ainsi l’adoption de la directive sur les services, qui a été considérablement modifiée par rapport à la proposition initiale, permettra de favoriser la croissance de ce secteur. Un autre exemple est donné par le fonds d’ajustement à la mondialisation (le fonds “anti-choc”), qui doit permettre d’allouer des aides aux salariés affectés par les mutations économiques liées au commerce international ; ce fonds devrait entrer en vigueur dès le début de l’année 2007.

D’autres actions pourraient être envisagées dans certains domaines du programme communautaire de Lisbonne. Celui-ci définit par exemple comme une priorité la réalisation du marché intérieur. L’achèvement du marché intérieur doit se poursuivre pour le bénéfice des personnes et des entreprises, notamment en matière de services financiers. Au-delà de la mise en œuvre de la législation existante, il convient de réfléchir à de nouvelles pistes. Plus généralement, s’agissant du marché intérieur, la volonté de “mieux légiférer” ne doit pas conduire à moins légiférer, mais à poursuivre l’harmonisation là où elle est nécessaire.

En matière fiscale, le programme communautaire de Lisbonne mentionne les travaux sur l’assiette consolidée commune de l’impôt sur les sociétés. La France soutient une avancée rapide de ces travaux. De façon plus générale, la France s’efforce de renforcer la convergence des politiques fiscales des Etats membres et de lutter contre la concurrence fiscale déloyale.

Le programme communautaire de Lisbonne mentionne également des projets qui réclament des investissements importants, comme les infrastructures de transport ou d’énergie, ou encore les actions en faveur de la recherche et de l’innovation. La Banque européenne d’investissement (BEI), et sa filiale dédiée au capital risque et aux PME, le fonds européen d’investissement, apportent d’ores et déjà des financements aux investissements structurants en matière de transport, d’énergie et de télécommunications au sein de l’Union. La BEI met aussi en œuvre l’initiative Innovation 2010 (i2i), visant à soutenir les projets de formation, de recherche-développement et d’innovation, pour laquelle elle a comme objectif de mobiliser 50 Md€ de prêts d’ici 2010. L’action de la BEI au service de ce programme doit se poursuivre, en concentrant son action dans les secteurs où le marché est défaillant et en privilégiant les projets plus risqués ainsi que le développement d’instruments financiers innovants.

Enfin, la problématique énergétique est aussi par excellence une question que nous gagnons à aborder à l’échelon européen. C’est pourquoi j’ai souhaité présenter devant mes collègues européens un mémorandum sur l’énergie, soulignant notamment la nécessité de mieux connaître l’état des stocks d’hydrocarbures dans nos pays respectifs ou encore celle d’un dialogue plus étroit avec les pays producteurs de pétrole.

La stratégie de Lisbonne met l’accent sur l’économie de la connaissance. Quels sont les atouts de la France dans ce domaine et comment compte-t-elle les faire fructifier ?

En termes d’effort global de R&D, la France se situe au-dessus de la moyenne européenne, même si elle est en deçà de l’objectif de Lisbonne (3%), avec un taux global de 2,2% du PIB consacrée à la R&D. Si elle est en ligne avec les objectifs européens en ce qui concerne la recherche publique, la recherche privée reste à un niveau encore insuffisant.

Le gouvernement a entrepris une action vigoureuse dans le champ de la recherche, avec la loi de programme pour la recherche adoptée en 2006 qui devrait renforcer les atouts de la France dans ce domaine par diverses actions (renforcement de la coopération internationale pour conférer aux universités un rôle de premier plan, créations d’incitations en faveur de la recherche partenariale et de la recherche privé) et avec le réaménagement du crédit impôt-recherche (CIR), rendu plus incitatif en 2006.

Le gouvernement mène par ailleurs, à travers les pôles de compétitivité, une politique active visant à mobiliser en réseau les entreprises de toutes tailles, les centres de recherche publics et privés et les organismes de formation, autour de projets a fort contenu en valeur ajoutée et en innovation. Aujourd’hui, les pôles sont au nombre de 66, dont 16 pôles mondiaux ou à vocation mondiale. Nous proposons que ces pôles soient mis en réseau au niveau européen avec d’autres structures comparables dans les autres Etats membres.

En outre, la France a décidé de donner une impulsion nouvelle en Europe à l’économie de la connaissance, en suggérant à ses partenaires, dans une contribution qui leur a été transmise en juillet 2006, différentes initiatives concernant l’économie numérique : il s’agit par exemple de la mise en place de meilleures conditions pour le déploiement du très haut débit et de la quatrième génération de téléphonie mobile, du développement accéléré de la TV sur mobile, de la promotion des services de commerce à partir des téléphones mobiles. Ces initiatives ont vocation à consolider la compétitivité européenne à travers la promotion de l’utilisation de ces nouvelles technologies.

Au-delà, et de façon plus prospective, je suis convaincu que la France peut mener un rôle majeur au sein de l’Europe dans notre préparation commune à ce que j’appelle “l’économie de l’immatériel” , c’est-à-dire précisément l’économie de la connaissance et du savoir. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai demandé à Maurice Lévy, PDG de Publicis, et Jean-Pierre Jouyet, chef de service de l’Inspection générale des Finances, de mener à bien une réflexion sur cet enjeu majeur, et ce dans trois directions : examiner dans quelle mesure la gestion des droits liés à la propriété intellectuelle ou industrielle, à la recherche, à l’innovation correspondent bien aujourd’hui à un optimum économique ; examiner quels sont les meilleurs modes d’appréhension de la création de valeur par les entreprises ; concevoir une politique d’évaluation et de gestion des actifs immatériels de l’État. J’entends bien utiliser ces travaux pour sensibiliser les différents acteurs nationaux à cet aspect essentiel de l’économie du savoir et aider ainsi la France, mais aussi nos voisins européens, à mieux se préparer à l’économie de demain.

Propos recueillis le 11/09/2006

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