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Sylvie Goulard : “La Présidence allemande a accompli un tour de force. Mais le contexte est préoccupant”

Sylvie Goulard - DRSylvie Goulard, présidente du Mouvement européen, réagit à chaud à l’annonce des résultats du sommet.

[Le détail de l’accord n’était pas encore connu au moment où Touteleurope.fr a recueilli ses propos.]

Les 27 sont parvenus à un accord sur un traité simplifié qui, s’il sauve la substance des innovations institutionnelles de la partie I, est aussi émaillé de clauses d’opt-out et de dispositions spécifiques à certains Etats. Quelle est votre réaction à l’annonce de ce compromis ?

Ce qui pose problème, ce ne sont pas les opt-outs, mais les raisons pour lesquelles certains les ont obtenus. Quand les Polonais évoquent le nombre de population qu’ils auraient si les Allemands n’avaient pas exterminé un certain nombre de leurs compatriotes pendant la Seconde Guerre mondiale, on se demande si on est dans l’Europe du 21e siècle ou pas. De même, il semble que les Britanniques soient sous la pression de leur presse tabloid qui place, par ses excès, l’ensemble de l’Europe dans une situation absolument ridicule. Pour des gens qui ne respectent rien, nous sommes amenés à, par exemple, faire des exceptions concernant la Charte des droits fondamentaux… Il y a quand même quelque chose qui, fondamentalement, ne va pas.

Ce que la présidence allemande a fait, je crois que c’est un tour de force, et il faut le saluer, et il est bon que l’on soit parvenu à un accord. Mais le contexte est préoccupant.

Dans un communiqué publié la veille du Conseil, le Mouvement Européen décrit les conditions d’un accord satisfaisant, qui semblent aujourd’hui remplies. Un ministre des Affaires étrangères, la Charte des droits fondamentaux, même si la Grande-Bretagne s’affranchit de son aspect contraignant… Ne pensez-vous pas qu’il s’agisse d’un bon accord ?

Nous étions dans une situation de crise, et je crois que la présidence allemande a fait le maximum. Mais on peut sérieusement s’interroger sur la disparition de l’esprit européen et de la rigueur intellectuelle. D’avoir accepté que la Charte des droits fondamentaux ne s’applique peut-être pas à tout le monde, ce n’est pas un détail technique : il s’agit de la liste des valeurs de l’Union européenne. Ce n’est pas de très bon augure.

Deuxièmement, il y a en effet énormément d’éléments institutionnels, mais je ne sais pas, par exemple, ce qu’il en est de la personnalité juridique. Cet élément important est-il vraiment maintenu ? Et j’ai un gros problème sur la question de la politique de concurrence. Il semble que l’on ait enlevé les objectifs de concurrence libre et non faussée dans le texte. Je trouve très grave que le gouvernement français ait foncé dans cette direction : il y avait de très bons arguments avancés par les partisans du non, sur l’équilibre entre le social et la concurrence, sur la loi du marché. Mais il est faux de dire que le respect de la concurrence n’est pas social, alors que le respect des règles de concurrence permet d’éviter les cartels, ce qui profite aux petits consommateurs et aux petites entreprises, permet l’émergence de nouvelles entreprises, la lutte contre les aides d’Etat permet une bonne affectation des ressources publiques… On a donc cédé sur un point sur lequel il n’y avait, sur le plan de la rigueur intellectuelle, aucune raison de céder. Et cela, ça m’inquiète, parce que la politique de concurrence est l’une des grandes réussites européennes.

Pour le Mouvement Européen, le traité était “une condition pour sortir de l’impasse” , mais pas une fin en soi. Vous laissez entendre qu’il appartiendra à la présidence française, en 2008, d’ “élever le niveau d’ambition” et d’esquisser des politiques communes nouvelles. A quoi pensez-vous en particulier ?

D’abord, à la redéfinition d’un équilibre entre le social et le marché qui ne tombe dans aucune idéologie. Nous avons besoin d’un marché qui fonctionne et d’entreprises compétitives : ce n’est pas contre les travailleurs, ce n’est pas antisocial, et nous avons aussi besoin que ces entreprises respectent des règles, et qu’il y ait un filet social. Et là, il y a un équilibre à trouver, qui est pour l’instant instable et sur lequel il y a des divergences de fond. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Britanniques n’ont pas voulu de la Charte. Pour que l’Europe apporte la croissance, il faut des réformes structurelles et une dose forte de libéralisme accompagné de mesures sérieuses pour éviter les injustices sociales.

Le deuxième point concerne le développement durable et l’énergie. On voit les tensions augmenter dans les zones de production, qu’il s’agisse du Moyen-Orient ou de la Russie, on voit le comportement de certains dirigeants russes, ce qui se passe dans le Caucase… Là, je pense que l’Europe a intérêt à serrer les rangs, à la fois pour assurer son approvisionnement énergétique, mais aussi pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre.

Et puis il y a une chose qui est aussi très importante pour la France, c’est de faire vivre ce ministère des Affaires étrangères européen. Allons-nous véritablement essayer d’avoir une politique étrangère commune ? Jusqu’à présent, elle ne l’était pas. Elle était parfois coordonnée sur certains sujets. Si à présent, nous avons bien une personne capable d’exercer ces fonctions qui soit à la fois à la Commission et au Conseil, nous avons un instrument nouveau pour agir en commun. Et je pense que la France aurait tout à gagner à mettre toute sa force diplomatique au service de l’Europe.

Vous vous êtes exprimée, après le rejet du Traité constitutionnel européen, pour une nouvelle Constitution. Vu les difficultés rencontrées pour obtenir un accord sur le volet institutionnel, cette perspective ne paraît-elle pas très éloignée ?

Je pense que, sous la pression d’événements extérieurs, et si la société civile s’organise mieux, cette perspective pourrait se rapprocher. A la condition que nous nous y préparions. Ca a été le sens de mon engagement à la tête du Mouvement Européen : je crois que nous avons besoin de reconstituer, dans les pays d’Europe, une force proeuropéenne qui montre que les Européens ont des intérêts communs qui ne sont pas correctement pris en compte dans les conférences intergouvernementales.

De nombreux Polonais n’étaient pas d’accord avec les gesticulations de leurs dirigeants, certains Britanniques souhaitent que l’on agisse contre le réchauffement climatique : nous avons des intérêts communs, que nous devons organiser. Les combats menés par les frères Kaczynski, par les gouvernements britanniques prisonniers de leurs lignes rouges, ce sont des combats du passé. Les enjeux de demain sont mieux perçus par la population que par des individus prisonniers des schémas nationaux. D’ailleurs, vous avez remarqué que, dans le fond, il n’y avait que deux pays récalcitrants sur vingt-sept ! Et quand on nous dit que c’est l’élargissement qui nous empêche d’avancer, c’est faux.

Pour valider les innovations institutionnelles conclues pendant ce Sommet, on va avoir recours à une conférence intergouvernementale. On s’éloigne donc de l’esprit de la Convention, qui aspirait à impliquer la société civile dans l’élaboration du traité constitutionnel. Valéry Giscard d’Estaing vient d’ouvrir un blog sur lequel il appelle à plus de transparence dans la conduite du processus de réforme de l’Union européenne. En tant que présidente du Mouvement Européen, êtes-vous sensible à cette question ?

Valéry Giscard d’Estaing a entièrement raison d’appeler à plus de transparence et de dire que le processus conventionnel était beaucoup plus démocratique.

Prenez la question de la concurrence : cette question a surgi dans le Conseil ces deux derniers jours, sans aucun débat public ou dans les parlements nationaux, et on ne sait pas très bien pourquoi on a tranché ainsi, ni exactement ce qu’on a dit. L’absence de transparence conduit souvent à de mauvaises solutions, parce que lorsque l’on fait des accords sur un coin de table entre chefs d’Etat et de gouvernement, on ne cherche pas à tenir compte de l’expertise, de la nécessité. C’est cela que je conteste le plus dans la méthode.

Voyez l’exemple que je prends dans ma tribune du Monde : tout le monde pensait que la personnalité juridique de l’Union serait très difficile à obtenir au moment de la Convention, et elle a été intégrée au texte conventionnel parce que l’on a auditionné les experts et parce que l’évidence technique, juridique, et du besoin économique est apparue. Lorsque tout se fait à huis clos, on peut prendre des décisions sans les avoir réfléchies, mûries, préparées, et aussi sans avoir associé les citoyens à la prise de décision, ce qui rend plus difficile la ratification ou l’acceptation ultérieure. Je crois qu’il faut que les gouvernements comprennent que si l’on n’associe pas les gens en amont, on a des problèmes en aval.

Est-ce que cela vous fait craindre que la phase de ratification du futur traité par le Parlement soit difficile en France ?

Il faut arrêter de dire que le passage devant le Parlement n’est pas démocratique. Je crois que nous pouvons améliorer les procédures parlementaires de manière à ce qu’il y ait plus d’ouverture, plus de transparence, qu’on débatte plus… Mais cela ne remet pas en cause le fait que la voie parlementaire est bien plus appropriée s’agissant de questions complexes avec des implications internationales que des référendums brouillons et mal préparés comme celui de la dernière fois.

Propos recueillis le 23/06/07

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