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Sylvie Goulard : “Il y a un risque pour que la Turquie tourne le dos à l’Europe mais il ne faut pas céder à ce qui pourrait s’assimiler à un chantage”

Sylvie Goulard, enseignante à l’Institut d’études politiques de Paris et au Collège d’Europe à Bruges, chercheur au CERI et récemment élue à la tête du Mouvement européen livre ses réflexions sur la recommandation de la Commission européenne sur l’adhésion de la Turquie à l’UE.


Comment interprétez-vous la proposition turque d’ouvrir un port et un aéroport aux chypriotes grecs ? S’agissait-il selon vous d’un véritable geste de conciliation de la part d’Ankara ?

C’est un signe d’ouverture mais il a été accompli dans une certaine confusion, des autorités turques importantes n’ayant semble-t-il, pas été mises au courant. En outre, les autorités turques se sont clairement engagées, en 2005, avant l’ouverture des négociations d’adhésion, à étendre le protocole d’Ankara à la République de Chypre. Cette obligation doit être remplie. L’ouverture d’un port et un aéroport va dans le bon sens mais reste en deçà de l’engagement pris par la Turquie. S’agissant de la reconnaissance d’un des Etats membres de l’Union actuelle et du respect de la parole donnée, les autorités européennes peuvent difficilement se contenter de petits gestes, même si elles mesurent combien la question chypriote est sensible en Turquie.

A vos yeux, ce geste était-il suffisant pour éviter la suspension de certains chapitres de négociations, comme cela était envisagé ?

Le conseil des ministres a jugé, sur la recommandation de la Commission, que ce geste n’était pas suffisant. Cette décision est compréhensible et pondérée dans la mesure où elle est réversible : si les autorités turques acceptent de remplir leurs obligations, les négociations peuvent redémarrer. Aucune date n’a été fixée pour lever cet obstacle. Il est probable toutefois que le déblocage n’intervienne pas avant les élections en Turquie (2007).

La République de Chypre campe sur ses positions et rejette en bloc les propositions turques. Elle appelle l’UE à la fermeté tant que la Turquie n’aura pas appliqué le protocole d’Ankara. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce protocole ?

Pour la même raison, la fermeté de la république de Chypre se comprend même s’il est regrettable qu’en 2004, le referendum organisé pour mettre un terme à la partition de l’île avant son entrée dans l’UE ait capoté du fait des chypriotes grecs. L’UE et la Turquie sont liées depuis 1995 par un accord d’union douanière en vertu duquel les marchandises et certains produits agricoles circulent librement ; cet accord avait été signé avant que l’UE ne compte Chypre parmi ses membres. Il est normal qu’il s’applique à tous les Etats membres. Si la Turquie veut rejoindre l’UE, elle ne peut pas dénier à un de ses membres sa qualité.

Que pensez-vous de la position actuelle de Nicosie ?

La position de Nicosie est, sur ce point précis, fondée en droit. A terme, notons toutefois qu’aucune solution ne pourra être trouvée si chaque partie ne fait pas des concessions. L’Intégration européenne consiste à substituer la coopération aux rapports de force, à se réconcilier et à relativiser l’importance du territoire. Cette affaire prouve que les protagonistes sont loin de l’avoir compris et c’est cela qui est le plus préoccupant.

Si la Turquie ne devait finalement pas adhérer à l’UE, croyez-vous en la possibilité d’un partenariat privilégié avec l’UE ? Le pays ne risque-t-il pas de tourner le dos à l’Europe ?

Sur ce point, je renvoie à la note n° 38 de la fondation Schuman, publiée le 6 décembre, rédigée par un groupe de travail européen que j’ai animé, consacré justement à ce que pourrait être ce partenariat. Nous devons à tout prix éviter que nos relations avec la Turquie ne se détériorent : c’est un pays stratégique, dynamique, doté d’une population jeune et qualifiée, héritier d’un grand Empire. Si des relations de qualité ne peuvent être maintenues dans la perspective d’une adhésion parce que celle-ci est rendue plus difficile par les problèmes internes de l’UE (absence de soutien populaire, absence de réforme institutionnelle) et un certain désenchantement en Turquie, l’essentiel est préserver des projets communs. Un partenariat qui enclencherait, sur une base assainie, des relations plus sincères, vaut peut-être mieux qu’une perspective d’adhésion aléatoire dont on mesure aujourd’hui les non dits et les pièges. Nous devons prendre au sérieux le risque que la Turquie “tourne le dos à l’Europe” mais ne pas céder à ce qui pourrait s’assimiler à un chantage : en l’occurrence, c”st la Turquie qui ne remplit pas ses engagements. Les Turcs doivent réaliser que l’entrée dans l’UE suppose des sacrifices de souveraineté, un recul du nationalisme et le retour en arrière sur certains mythes fondateurs de la République kémaliste.

Propos recueillis le 14/12/06

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