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Sophie Auconie : “Il est absolument scandaleux de nous faire manger du cheval quand on imagine manger du bœuf”

Le scandale a éclaté Â mi-janvier en Irlande et au Royaume-Uni par l’identification de viande de cheval dans des hamburgers. Le mois suivant, tout s’est accéléré avec la découverte de la même supercherie dans les lasagne Findus pourtant étiquetées “pur bœuf”. La tromperie n’a pas tardé à faire tache d’huile en Europe. Aujourd’hui, pas moins de douze pays européens sont concernés par cette fraude agroalimentaire, soit par la mise en vente des produits concernés, soit par le circuit d’acheminement de la viande chevaline. Sophie Auconie (France, PPE), rapporteur au Parlement européen sur la réforme de l’identification des bovins et de l’étiquetage de la viande bovine, nous livre son analyse.

Comment expliquez-vous qu’un tel scandale puisse arriver aujourd’hui en Europe ?

Il s’agit ici d’une escroquerie, d’une fraude. Nous sommes dans une société de l’appât du gain qui fait que l’on ne peut pas empêcher ce type de scandale. Parce que, quel que soit l’outil législatif existant, quand un homme a envie de mettre en œuvre une fraude, il le fait. Nous avons un système de traçabilité remarquable qui a permis de retrouver en peu de temps l’ensemble du cheminement de ces viandes dans l’Europe entière. Je considère donc que l’outil législatif est très largement suffisant. En revanche, cette affaire permet de constater que les contrôles et les sanctions ne sont certainement pas suffisants. En période de crise, il faut être sensibilisé au fait que de telles escroqueries risquent de se multiplier.

Quel type de contrôle peut-être envisagé ? Qui est à même d’infliger des sanctions ?

Les contrôles sont de la subsidiarité des Etats. Qui mieux que l’Etat connaît son territoire et son tissu économique dans quelque domaine que ce soit ? Cela ne me choque pas. En revanche, il faut que la Commission européenne, et l’Union européenne en général, soit très vigilante quant à la qualité des contrôles dans tous les Etats membres. Il faut une échelle de sanctions, définie par l’Europe puis appliquée sur les territoires nationaux. Il est nécessaire que la Commission européenne insuffle des obligations et une culture de la sanction.

Quelles sanctions sont aujourd’hui applicables à l’étiquetage tronqué des produits alimentaires ?

Prenons l’exemple récent de l’entreprise Spanghero soupçonnée de fraude. Jusqu’à ce que l’Etat tire les conclusions de l’enquête en cours, ses obligations et agréments vétérinaires lui ont été retirés, stoppant ainsi son exploitation. Cela a entraîné une perte de confiance. A titre personnel, il m’apparaîtrait tout à fait normal qu’Europol soit chargé de cette enquête. Les polices nationales n’ont pas la même objectivité qu’Europol qui a une vision européenne adéquate au cheminement des négociations liées aux viandes concernées. 

Lundi 18 février s’est tenue une rencontre entre le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll et les représentants syndicaux de la société Spanghero. Environ 300 employés, au chômage technique depuis le retrait de l’agrément sanitaire à l’entreprise agroalimentaire en fin de semaine dernière, attendaient d’être fixés sur leur sort. Le ministre a décidé d’une reprise d’activité sous condition. Il retourne à Spanghero son agrément pour la production de viande hachée, de saucisserie et de plats cuisinés, mais contraint la société à stopper tout stockage de matières premières congelées

A quel stade en est l’enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ?

L’ensemble de la filière fait l’objet d’une enquête. Celle-ci se resserre aujourd’hui sur l’entreprise Spanghero qui visiblement savait qu’elle avait reçu de la viande de cheval au lieu de bœuf. Quand elle a expédié ce produit, elle aurait visiblement oublié de l’indiquer.

Je pense qu’il faut que nous restions sur la réserve. Je me souviens très bien du scandale alimentaire lié soit disant au concombre espagnol. C’était l’emballement. Les filières de légumes espagnoles et du Sud de la France ont énormément souffert de la communication autour de cette affaire. Au final, on s’est aperçu que la source du problème venait de graines germées importées d’Egypte et produites en Allemagne.

C’est la raison pour laquelle il faut attendre d’avoir les résultats de l’enquête avant de tirer des plans sur la comète, d’autant qu’il n’y a aucun risque pour la santé publique. Il s’agit d’un problème d’éthique. Il est absolument scandaleux de nous faire manger du cheval quand on imagine manger du bœuf.

Si nous allons dans le sens d’une nouvelle législation, je ne suis pas sûr que cela empêche les escrocs d’intervenir sur le marché. En revanche, cela obligera les entreprises vertueuses, celles qui travaillent dans le bon sens de la santé publique et de la sécurité alimentaire, à de nouvelles normes, contraintes et obligations.

Le commissaire européen à l’Agroalimentaire Tonio Borg demande de pratiquer des tests ADN sur la viande de bœuf sur une durée d’un mois et de réaliser des contrôles pour détecter l’éventuelle présence de phénylbutazone. Soutenez-vous cette initiative ?

Si cette histoire nous permet de regarder de plus près cette chaîne agroalimentaire et en profiter pour réaliser un certain audit, j’y suis tout à fait favorable. Cela nous permettra de confirmer ou d’infirmer les suspicions de la Commission européenne et d’en tirer les conséquences qui s’imposent.

L’étiquetage des produits transformés ne devrait-il pas être rendu obligatoire ? En tant que rapporteur du règlement sur l’étiquetage de la viande bovine je suis extrêmement concernée par ce sujet. La législation est très aboutie sur l’étiquetage de la viande. En revanche, il faudra que nous regardions de plus près le cas des produits cuisinés dont l’origine de la viande n’est pas obligatoire sur l’étiquetage. Cette semaine, j’ai d’ailleurs rencontré des sociétés du secteur agroalimentaire. Leurs représentants me disaient qu’un tel ajout ne représentait pas un alourdissement important sur l’étiquetage global.

L’Europe semble toujours attendre le déclenchement d’une crise pour réagir comme ce fut le cas lors de l’affaire de la “vache folle” . Elle avait alors rendu obligatoire l’étiquetage de l’origine de la viande fraîche. N’a-t-elle pas une nouvelle fois trop attendue ?

Oui certainement. Je pense qu’il serait intéressant d’avoir un cadre législatif global qui envisage tous les systèmes et nécessités d’étiquetage, et ce pour deux raisons : la première c’est l’assurance de protéger les consommateurs de façon sûre et certaine. La deuxième serait d’éviter l’instabilité juridique pour nos entreprises. Malheureusement, la nature humaine étant ce qu’elle est, je pense que cela n’empêchera pas des voyous d’essayer d’abuser des clients potentiels ou des consommateurs. Le contrôle et la sanction sont à mon avis aujourd’hui les éléments à étudier.

Est-ce que les lobbies industriels semblent faire obstacle à l’étiquetage sur les produits transformés ?

Je ne crois pas qu’ils y fassent obstacle. Cette semaine, j’ai rencontré des lobbies du domaine de l’agroalimentaire et ils ne sont absolument pas défavorables à assurer une transparence de l’information, bien au contraire. Ce scandale va faire perdre des parts de marché à certaines entreprises dans le domaine des plats cuisinés. C’est dans leur intérêt d’être particulièrement transparents dans leur étiquetage. C’est mon sentiment.


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