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Schengen et la lutte contre le terrorisme

Bien que l’espace Schengen ait supprimé les frontières entre ses pays membres et les contrôles qui les accompagnaient, des mesures ont été prises pour renforcer les frontières extérieures de l’espace. De nombreux outils ont également été mis en place pour lutter contre le terrorisme en son sein.

Contrôle aux frontières à Paris
Contrôles à l’aéroport de Paris - Crédits : Anouchka / iStock

Après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, qui ont coûté la vie à 130 personnes et dont le procès s’est ouvert le 8 septembre 2021, le fonctionnement de l’espace Schengen, caractérisé par l’absence de contrôles entre les frontières de ses Etats membres, a fait l’objet de vives critiques. 

Pour ses détracteurs, il faciliterait les déplacements des acteurs du terrorisme et de la criminalité à travers l’Europe. Mais pour faire face aux périls qui guettent l’espace, les décideurs européens ont pris des mesures pour renforcer les contrôles à ses frontières extérieures, de même que pour améliorer la coopération entre les pays le composant.

Qu’est-ce que l’espace Schengen ?

En 1985, l’accord de Schengen est conclu en dehors du cadre communautaire entre 5 Etats membres de l’Union européenne (Belgique, Allemagne, France, Luxembourg et Pays-Bas). Il entre en vigueur dix ans plus tard, en mars 1995 et compte alors 7 membres (l’Espagne et le Portugal signent l’accord en 1991). Signée en 1990, la Convention de Schengen, qui organise la mise en œuvre de l’accord adopté cinq ans plus tôt, prévoit la libre circulation des personnes entre les Etats parties et met ainsi fin à un vaste réseau de postes-frontières et de patrouilles aux frontières intérieures des pays membres. En 1997, à l’occasion de la signature du traité d’Amsterdam, “l’acquis Schengen” rejoint le cadre juridique et institutionnel de l’UE.

Aujourd’hui, l’espace est composé de 26 pays européens, dont 22 Etats membres de l’Union européenne. Un pays aspirant à entrer dans l’espace Schengen s’engage à ne plus pratiquer de contrôle aux frontières qui le séparent d’un autre pays Schengen, et à pratiquer des contrôles harmonisés aux frontières extérieures de l’espace.

Le terrorisme dans l’Union européenne

En 2020, 57 attentats ont été perpétrés, déjoués ou ratés dans six Etats membres de l’UE, causant la mort de 21 personnes et en blessant 54 autres, selon l’office de police européen Europol. 449 personnes ont été arrêtées pour infractions terroristes dans l’ensemble de l’UE cette même année. 

Compétence avant tout nationale, la lutte contre le terrorisme est soutenue par l’Union européenne grâce à la mise à disposition d’outils de coopération. L’article 222 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que les Etats Membres doivent agir “dans un esprit de solidarité si un État membre est l’objet d’une attaque terroriste ou la victime d’une catastrophe naturelle ou d’origine humaine”. Il ajoute que l’Union “mobilise tous les instruments à sa disposition, y compris les moyens militaires mis à sa disposition par les États membres” pour “prévenir la menace terroriste”, “protéger les institutions démocratiques et la population civile d’une éventuelle attaque terroriste” et “porter assistance à un Etat membre sur son territoire, à la demande de ses autorités publiques, dans le cas d’une attaque terroriste”.

L’ouverture des frontières intérieures favorise-t-elle le terrorisme ?

Certains partis, femmes ou hommes politiques affirment qu’il faudrait mettre un terme à l’espace Schengen et fermer de nouveau les frontières nationales pour lutter contre le terrorisme. Cela a d’ailleurs été le réflexe provisoire de plusieurs pays européens visés par des attentats, notamment la France et la Belgique. Après les attaques de 2015, la France avait déclaré l’état d’urgence et a rétabli les contrôles d’identité à ses frontières nationales. Une décision prise en conformité avec le code frontières Schengen dont l’article 25 dispose que des contrôles aux frontières peuvent être rétablis de manière temporaire (30 jours, renouvelables six mois) en cas de “menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure” d’un Etat.

Pour la Commission européenne, rétablir les frontières entre les pays de l’Union n’est une solution ni efficace ni durable pour lutter contre le terrorisme. L’institution rappelle ainsi qu’il existe 300 points de passage rien qu’entre la France et la Belgique : les surveiller tous mobiliserait des milliers de policiers, plus utiles sur des enquêtes. En 2016, la Commission estimait par ailleurs que réinstaurer des contrôles permanents aux frontières de l’UE représenterait un coût de 5 à 18 milliards d’euros par an.

On peut aussi noter que le Royaume-Uni, qui n’a jamais fait partie de l’espace Schengen et contrôlait donc ses frontières nationales même lorsqu’il était membre de l’UE, a été l’Etat le plus visé par des attentats en 2016. Si l’on associe l’espace Schengen avec le terrorisme, c’est souvent parce que l’on estime que les terroristes viennent de pays tiers. C’est pourtant une affirmation fausse. En 2017, le journal Le Monde avait répertorié les nationalités et lieux de naissance des terroristes impliqués dans les principaux attentats en France depuis 2012 et avait constaté que la majorité des auteurs étaient Français et nés en France.

Qu’est-ce que le système d’information Schengen ?

Premier outil de protection des frontières extérieures, le système d’information Schengen (SIS) a été mis en place en même temps que la Convention d’application des accords Schengen en mars 2001. La préoccupation des Etats membres était alors de compenser la suppression des contrôles de police et des contrôles douaniers aux frontières intérieures par un système innovant. Ce fichier informatique permet aux autorités nationales de partager des données sur des personnes interdites d’entrer ou de séjourner dans l’espace Schengen, qui sont recherchées dans le cadre d’activités criminelles ou qui ont disparu. Il peut également fournir des données relatives à certains objets perdus ou volés et des données nécessaires pour localiser une personne et confirmer son identité.

Depuis 2006, le SIS II peut être lié à d’autres outils, comme Eurodac, base de données européenne des empreintes digitales lancée en 2003, ou le système d’information sur les visas (VIS), autre base de données qui centralise depuis 2011 les informations biométriques (empreintes digitales et photographie numérisée du visage) de l’ensemble des candidats à un visa Schengen de 3 mois. 

Le SIS permet ainsi la localisation et l’arrestation de terroristes qui font l’objet d’une alerte lorsque ceux-ci entrent ou sortent de l’espace européen. Car depuis avril 2017, les agents aux frontières de l’espace Schengen sont obligés de consulter le SIS pour tout citoyen européen traversant la frontière. En 2019, d’après la Commission européenne, le système avait permis, depuis sa création en 2001, l’arrestation de 50 000 personnes recherchées par la justice.

Quelles sont les autres ressources de Schengen pour lutter contre le terrorisme ?

Schengen met fin aux contrôles aux frontières intérieures mais pas à tous les contrôles. Ainsi, des contrôles mobiles sur le terrain des pays membres ont toujours lieu. Non prévisibles par les criminels, ils peuvent se révéler plus efficaces que des contrôles aux frontières.

Avec l’espace Schengen, les Etats membres s’engagent à protéger leurs frontières extérieures et sont soutenus dans leurs actions par l’Agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières, communément appelée Frontex. L’agence, basée à Varsovie en Pologne, a vu ses compétences renforcées en 2016 en réaction à la crise migratoire qui a mis en lumière ses insuffisances. Son rôle principal est d’aider les Etats membres de l’Union européenne et de l’espace Schengen à sécuriser leurs frontières extérieures. L’agence a la possibilité de partager avec les Etats membres et Europol toutes les données collectées sur des personnes soupçonnées d’activités criminelles, notamment de terrorisme. Pour mener à bien sa mission, Frontex peut par ailleurs compter sur le système Eurosur, qui lui fournit un réseau de communication protégé entre les pays européens. Grâce à lui, les garde-frontières et garde-côtes peuvent échanger des images et des données en temps réel sur les frontières de l’Union, recueillies grâce à différents outils de surveillance. Si une situation présente un risque, les autorités nationales de surveillance et Frontex peuvent ainsi agir rapidement.

Europol, l’office européen de police, a été créé pour faciliter les opérations de lutte contre la criminalité au sein de l’Union européenne. Il permet aux enquêteurs d’échanger des informations et apporte son soutien aux services de police nationaux. Une des principales menaces pour la sécurité européenne étant le terrorisme, Europol concentre beaucoup de ses moyens pour s’en prémunir. L’agence a notamment créé en 2016 le centre européen de lutte contre le terrorisme (ECTC) qui travaille étroitement avec le centre européen contre le cybercrime et le centre européen contre le trafic des migrants, également créés par Europol.

Lancé en 2004, le mandat d’arrêt européen est une procédure judiciaire et policière simplifiée qui permet à l’autorité judiciaire de l’Etat membre émetteur de se voir remettre un individu présent dans un autre Etat membre pour qu’il soit jugé ou vienne exécuter sa peine. Un mandat émis par une autorité judiciaire d’un pays de l’Union européenne est valable sur l’ensemble du territoire de l’UE. Cette procédure a, par exemple, permis à la Belgique de remettre Salah Abdelsam à la France en quelques semaines seulement, quand il avait fallu dix ans pour extrader Rachid Ramda, l’un des auteurs des attentats de 1995 à la station RER Saint-Michel-Notre-Dame.

Le passenger name record (PNR) européen a de son côté été officiellement adopté en 2016, après cinq ans de négociations. Le registre européen des passagers aériens permet de conserver des données sur ces derniers dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La décision de mettre en place un tel système part du constat que la plupart des activités criminelles en réseau organisé et terroristes impliquent des déplacements internationaux. 

Enfin, Eurojust vient compléter cet arsenal. Cette agence européenne appuie l’action des pays de l’UE dans la lutte contre les formes graves de criminalité (terrorisme, blanchiment d’argent, trafic d’armes…), en apportant pour cela un soutien logistique et financier aux enquêtes menées par les Etats membres dans le cadre d’équipes communes. Pour cela, l’agence organise des réunions de coordination, finance les équipes communes d’enquête, leur fournit une expertise et gère des centres de coordination.

Pour rationaliser le fonctionnement de l’espace Schengen et améliorer la coordination de ses Etats membres, la Commission européenne a proposé en décembre 2021 de le réformer. Cette révision, qui fait partie des priorités de la France pour sa présidence du Conseil de l’UE (janvier-juin 2022), verrait notamment la mise en place d’un pilotage politique opéré par les ministres compétents des pays membres. Sur le modèle de l’Eurogroupe, qui réunit les ministres de l’Economie et des Finances de la zone euro, des “Conseils Schengen” réguliers prépareraient des décisions en matière de politique migratoire.

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