Touteleurope.eu : Pensez-vous que la réaction immédiate de l’UE, et notamment l’initiative de Günther Oettinger de convoquer une réunion dès mardi est satisfaisante ?
Sandrine Bélier : Il est très bien que l’Europe réagisse de façon immédiate face à l’urgence de la situation humanitaire en associant l’ensemble des acteurs concernés à l’échelle de l’Union européenne dans le domaine du nucléaire. Mais Monsieur Oettinger oublie les citoyens, les consommateurs comme les écologistes l’ont fait remarquer dès ce week-end. Et au-delà d’une réunion technique entre experts, on espère que dans la foulée soit lancé un débat public à l’échelle de l’Union européenne sur nos politiques énergétiques et la place du nucléaire dans le cadre de ces politiques.
Cette réunion part d’un préalable : envisager les actions préventives mises en œuvre sur le territoire européen pour faire face au risque du nucléaire, comme des crash tests, le renforcement des mesures de sécurité et d’autres mesures visant à la protection des citoyens européens. Je pense que ce n’est pas la bonne manière d’envisager les choses, puisqu’aujourd’hui la meilleure mesure qu’on puisse prendre pour protéger les citoyens contre les risques potentiels que présente le nucléaire, c’est d’engager la sortie du nucléaire à l’échelle de l’Union européenne. On sait que cela prendra 20 à 30 ans, et cela signifie que l’on prend la décision d’arrêter le développement du nucléaire, comme on le fait en Espagne, et surtout de commencer à investir sur le démantèlement et la fin de vie d’une centrale et du site qui l’accueille. Il faut aussi réorienter les investissements dans le nucléaire vers les énergies renouvelables et les économies d’énergie, c’est le cœur du débat.
Touteleurope.eu : Faut-il un referendum sur la sortie du nucléaire, comme le demandent certains responsables d’Europe Ecologie Les Verts ?
Sandrine Bélier : Il faut d’abord un débat public. L’idée n’est pas d’organiser une consultation sauvage de la population qui ferait suite à 30 ans de désinformation où on a mis en avant que les avantages du nucléaire dans une omerta totale sur le sujet, avec un défaut de transparence total. Il faut sortir de ce secret qui pèse sur le nucléaire dont les choix de développement n’appartiennent qu’à quelques-uns pour mettre l’ensemble des enjeux sur la table. Or l’enjeu principal aujourd’hui c’est que le fait de privilégier cette ressources énergétiques se fait au détriment d’ autres politiques de développement énergétique, notamment les renouvelables. Lorsqu’on parle du nucléaire, on avance principalement l’argument du coût moindre de cette énergie. Mais personne n’a encore abordé la question de l’internalisation des coûts : comment gérer les déchets et la question de leur stockage ? Il serait temps de commencer à investir pour savoir comment les traiter.
Touteleurope.eu : Pensez-vous que la question de la sortie du nucléaire peut être l’un des enjeux de l’élection présidentielle en 2012 ?
Il faut donc relancer le débat public à l’échelle nationale mais aussi européenne. La question de la réduction de notre dépendance énergétique à l’échelle du territoire européen, et de la réponse aux besoins en énergie, est un débat que nous avons déjà eu au moment du Grenelle de l’environnement. Et la réduction de nos émissions de gaz à effets de serre s’accompagne également de deux autres mesures, tout aussi importantes et qui participent à la lutte contre le dérèglement climatique : l’efficacité énergétique et les économies d’énergie, et le développement des énergies renouvelables. Donc ces éléments là aussi vont relancer le débat. En France, il y a aujourd’hui des facilités de développement du nucléaire avec des dérogations par rapport aux impacts environnementaux, sur la santé, par rapport aux règles classiques de transparence qu’on retrouve dans le domaine environnementale. Et en même temps, on complique les procédures administratives pour installer des éoliennes et des panneaux solaires. C’est là le paradoxe : le développement de la production énergétique de masse (gaz, nucléaire) profite davantage aux multinationales qu’aux consommateurs. Et le développement des énergies renouvelables implique un changement total de paradigme dans notre manière de produire de l’énergie. Donc que le débat soit introduit en France dans la perspective des présidentielles peut-être une bonne chose, si on a un débat d’un an sur ce sujet. On pourra ainsi voir comment nos responsables politiques se positionnent sur cette question.
Touteleurope.eu : Vous avez demandé une réunion de la Délégation du Parlement pour les relations avec le Japon, dont vous êtes membre. Quelles sont vos propositions en ce qui concerne l’action de l’UE à court terme, mais également sur la durée, en faveur du Japon ?
Sandrine Bélier : L’Union européenne a des rapports privilégiés avec le Japon. Cette demande de réunion en urgence de la délégation est d’une part l’occasion de faire un point, d’avoir une position commune et concertée du Parlement européen pour exprimer notre inquiétude et notre soutien au peuple japonais. Que le peuple européen par le biais de ses mandants exprime sa solidarité aux Japonais dans la détresse. D’autre part que l’on mobilise l’ensemble des Etats membres, et l’Union en tant que telle, dans le cadre de l’aide humanitaire, puisqu’il faut répondre à la catastrophe humaine. Il s’agit dans un premier temps d’avoir une évaluation des besoins, puis un bilan de l’aide apportée pour savoir si elle est suffisante.
Il faudra ensuite qu’on s’interroge avec le Japon, dans le cadre de la reconstruction, au développement des énergies renouvelables et à la place du nucléaire dans son mix énergétique. C’est un pays technologiquement avancé, et je pense que vu la place du Japon en Asie, le débat sur la place du nucléaire peut être intéressant.
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Nucléaire : l’Europe s’interroge - Toute l’Europe