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Sabine Thillaye : “La réunification allemande était aussi une réconciliation du continent”

Française et Allemande, née et ayant grandi outre-Rhin, Sabine Thillaye est aujourd’hui députée LREM de l’Indre-et-Loire. Elle préside la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, où elle est également membre de plusieurs instances franco-allemandes. A l’occasion des trente ans de la chute du mur de Berlin, elle a accepté de répondre aux questions de Toute l’Europe sur les conséquences de cet événement historique quant à la construction européenne et au couple franco-allemand.

La foule escalade le mur de Berlin devant la porte de Brandenburg en 1989 - Crédits : Lear 21 / Wikimedia Commons CC BY-SA 3.0
La foule escalade le mur de Berlin devant la porte de Brandenburg en 1989 - Crédits : Lear 21 / Wikimedia Commons CC BY-SA 3.0
Sabine Thillaye - Crédits : Assemblée nationaleSabine Thillaye est députée de la 5e circonscription d’Indre-et-Loire. Née en 1959 à Remscheid, près de Düsseldorf en Allemagne de l’Ouest, elle possède la double nationalité franco-allemande.

Cheffe d’entreprise, elle s’engage parallèlement au sein d’associations européennes ou franco-allemandes, avant de se lancer en politique au sein du parti LREM en 2016.

Elue aux élections législatives l’année suivante, elle préside la commission des Affaires européennes et le bureau de l’Assemblée franco-allemande.

Certains dirigeants européens voyaient en la réunification le retour d’une domination allemande sur le continent. Ces craintes étaient-elles fondées ?

On peut comprendre ces craintes mais je ne pense pas qu’elles étaient fondées. Celles venant de l’Europe en premier lieu car la réunification allemande était aussi une réconciliation du continent. La chute du Mur et de manière plus large, de l’URSS, a lancé le processus d’élargissement vers l’Est et a permis la réconciliation entre Est et Ouest.

Ensuite, l’Allemagne a effectué au cours de l’après-guerre un grand travail pour s’inscrire dans la coopération et la construction européenne. Démographiquement et géographiquement, cette réunification donnait un poids accru à l’Allemagne avec l’intégration des Länder de l’Est. Mais je ne pense pas qu’il y avait en Allemagne de volonté politique de devenir hégémonique au sein de l’UE.

La relance du processus européen qui a suivi la réunification (Traité de Maastricht, monnaie commune…) a-t-elle été menée par l’Allemagne ? Ou était-ce un moyen pour les autres pays européens de contrebalancer la puissance allemande ?

C’est une question complexe. Du côté allemand, l’abandon du Deutschemark, très fort à l’époque, a été psychologiquement difficile : le passage à l’Euro était un geste des Allemands vers l’Union européenne, en faveur de la construction européenne. Au regard de ses voisins, il est vrai que la réunification a notamment mis à l’épreuve la relation franco-allemande. A une certaine époque, c’était en effet la France qui détenait la puissance politique en Europe occidentale. Il est donc logique qu’elle ait pu se sentir menacée par ce nouvel équilibre et qu’elle ait voulu rééquilibrer les pouvoirs.

Justement, beaucoup parlent du couple Kohl-Mitterrand comme du dernier “vrai” couple franco-allemand, les couples suivants ayant tous connu des divergences plus ou moins marquées. En se réunifiant avec sa sœur de l’Est, l’Allemagne a-t-elle cessé de regarder vers son voisin de l’Ouest ?

Non, je ne pense pas du tout. Quand je vois les réactions extrêmement positives de la société civile allemande par rapport aux propositions du président Macron dans son discours de la Sorbonne, je n’ai pas l’impression que l’Allemagne regarde plus vers l’Est. Cependant, du fait de sa situation géographique, l’Allemagne a toujours été obligée de ne pas négliger l’Est. Cela peut parfois être mal compris en France, tout comme les Allemands ont parfois du mal à comprendre le fait que la France regarde vers le Sud, vers le pourtour méditerranéen : la situation géographique conditionne le regard politique.

Mais je vois bien avec mes collègues du Bundestag qu’il y a beau y avoir des divergences et des problèmes dans le couple franco-allemand, la volonté politique est bien présente, et la conscience est forte qu’il faut s’entendre. La France et l’Allemagne ont toutes deux une conviction européenne importante, qu’elles doivent entretenir sans s’appuyer uniquement sur les gouvernements, mais sur les parlementaires et la société civile.

Les cicatrices de la séparation sont-elles encore profondes dans le paysage politique allemand ? Y a-t-il une pratique de la politique ou des paradigmes différents à l’Est et à l’Ouest ?

C’est difficile à dire, les députés qui ont une vision qu’on pourrait qualifier de différente proviennent essentiellement de l’AfD, et ont des positions très tranchées quant à la construction et au fonctionnement de l’UE. Mais il est vrai que de manière générale, au vu des scores très forts de l’AfD dans les Länder d’ex-RDA, la réunification n’est peut-être pas encore complètement achevée dans les esprits.

Ayant grandi en RFA, on nous enseignait que la Loi fondamentale avait été mise en place dans l’attente d’une réunification et d’une nouvelle Constitution commune. Or en 1990, les Allemands de l’Est ont intégré la Loi fondamentale telle quelle. Il y a donc sans doute une certaine frustration à l’Est, de la part de personnes qui ne se sont pas senties suffisamment considérées et qui ont eu l’impression de devoir accepter trop brutalement les règles en vigueur à l’Ouest.

De l’autre côté, il y a des Allemands de l’Ouest qui ont le sentiment d’avoir beaucoup donné financièrement à l’Est. En cause : le “Soli” , l’impôt de solidarité entre l’Ouest développé et l’Est en développement, mis en place après la réunification et dont il a été décidé le 21 août dernier qu’il serait supprimé à l’horizon 2021. Il a été payé par 90 % des contribuables et a rapporté depuis 1994 près de 330 milliards d’euros, soit 19 milliards d’euros par an. Cet argent n’a toutefois pas été dirigé vers un fonds spécifique, ce qui a pu générer des frustrations à l’Est comme à l’Ouest.

Enfin, il y a également une différence sur le plan historique : très jeunes, les Allemands de l’Ouest de ma génération ont été confrontés à notre histoire, amenés à regarder le fascisme en face, pour comprendre ce qu’était le national-socialisme, comment c’est arrivé. Or en RDA, il n’y avait rien de tout ça : pour les autorités, le seul fascisme était à l’Ouest. L’histoire n’a pas été enseignée de la même manière. Personnellement, je pense que l’Est et l’Ouest n’ont pas eu les mêmes bases, les mêmes clés en main.

A titre personnel, en tant que Franco-Allemande, comment avez-vous ressenti la chute du Mur depuis la France ?

Autour de moi, de la part des citoyens, j’ai senti beaucoup d’empathie et d’enthousiasme : les gens auraient aimé être à Berlin pour vivre ce moment très fort. Des craintes ont également été exprimées, particulièrement chez les élus et dans les journaux, qui se demandaient quelles seraient les conséquences d’une Allemagne réunifiée.

A titre personnel, j’ai appris la chute du Mur à la radio. J’ai ressenti une grande émotion car c’était quelque chose que je ne croyais pas possible. J’ai grandi dans l’idée que ce Mur était là pour toujours et qu’il ne tomberait pas. C’est pour cela que depuis ce jour, je pense que tout est possible, qu’il ne faut jamais dire “jamais” : les choses ne sont pas immuables…

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