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Roms : Que dit le droit européen ? Qu’est ce qu’une infraction ?

Alors que le conflit sur les Roms se transforme en l’une des plus graves crises ayant opposé la France et la Commission européenne, Touteleurope vous fournit les clés nécessaires pour comprendre les enjeux de droit dans ce dossier. Que dit le droit européen ? La France est-elle en violation du droit ? Qu’est ce qu’une procédure d’infraction ?

La France viole-t-elle le droit européen ?

Afin de faciliter la compréhension de la directive 2004/38/CE, la Commission a publié un mémo qui en explique les dispositions. C’est de ce mémo que les citations suivies d’une * sont tirées.

Le texte sur lequel Commission et France se déchirent est la directive, adoptée en 2004, sur la libre circulation.

Le droit de libre circulation est prévu dès le traité de Rome, et c’est un des fondements de la construction communautaire ; pour autant, il n’est pas absolu ni inconditionnel. De nombreuses directives se sont succédé pour le préciser et le compléter. Par soucis de clarté, la directive adoptée en 2004 rassemble en un texte unique toutes les dispositions qui se rapportent à la libre circulation.

Ainsi la Commission rappelle-t-elle en premier lieu que “la libre circulation des personnes est l’un des fondements de l’UE et un droit fondamental des citoyens de l’Union”*. A ce titre, les Roms vivant dans l’UE, qui en sont des citoyens, jouissent de ces droits.

Formellement, c’est l’article 21 du TFUE (traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) qui dispose que “tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres” . Mais ce droit n’est pas exempt de conditions : c’est ce que précise la directive dite 2004/38/CE.

La directive établit d’abord un seuil en dessous duquel le droit de libre circulation est très peu encadré : trois mois. En dessous de trois mois, seul un passeport ou une carte d’identité valide est nécessaire pour séjourner dans un Etat membre, quand on a la nationalité d’un autre Etat membre.

Sont considérés comme des membres de la famille les enfants ou parents à charge, et le conjoint.

Par contre, au-delà de trois mois, l’Union pose une condition de ressources. Le citoyen doit travailler (au titre de salarié ou de travailleur indépendant), ou prouver qu’il dispose de ressources nécessaires afin qu’il ne soit pas une charge pour l’assistance sociale du pays d’accueil. Il doit, en outre, disposer d’une assurance maladie. Les membres de la famille d’une personne qui remplit ces conditions peuvent bénéficier du droit de séjour. Mais si elle ne remplit pas ces conditions, une personne peut être “éloignée” par l’Etat d’accueil.

Ce sont, en creux, des raisons que peut invoquer l’Etat français pour justifier l’expulsion de personnes qui ne seraient pas capables de subvenir à leurs besoins, comme c’est le cas pour les Roms qui sont le plus souvent très pauvres. Pierre Lellouche avait d’ailleurs déclaré que la libre circulation ne devait pas, “pour tel ou tel Etat membre, servir de défausse en direction d’autres Etats sur la gestion de ses propres problèmes de pauvreté” .

Par ailleurs, des raisons “d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique peuvent également justifier des restrictions de la liberté de circulation et de séjour (article 27 de la directive)” . La France a invoqué la multiplication des violences perpétrées par les Roms (et en particulier l’attaque d’une gendarmerie dans le Loir et Cher), ainsi que les “trafics d’êtres humains” au sein de cette communauté. Ces arguments sont rejetés par la Roumanie et les associations.

Bien entendu, il existe un vide juridique puisque rien n’empêche un citoyen, au terme de ces trois mois, de passer la frontière pour “réinitialiser” son droit de séjour. C’est d’ailleurs ce qu’un avocat français a encouragé un groupe de Roms à faire afin de mettre à jour cette contradiction. Cela fait dire à l’association Romeurope que cette politique a pour conséquence, outre le fait de “gonfler les statistiques du Ministère de l’Immigration artificiellement” , de “seulement déplacer les familles d’une commune à une autre, dans une précarité croissante” .

Mais bien que le texte prévoie des cas dans lesquels l’Etat puisse “éloigner” un citoyen, ces cas sont limités tant du point de vue des raisons que de la méthode de l’éloignement.

Le texte de la directive liste un certain nombre de facteurs à prendre impérativement en compte lorsqu’un éloignement est envisagé : “la durée du séjour de l’intéressé sur son territoire, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle dans l’État membre d’accueil et l’intensité de ses liens avec son pays d’origine” . Il n’apporte pas plus de précision sur la manière de prendre en compte ces éléments. Il explique simplement que l’Etat ne peut pas fixer de seuils, et que son appréciation doit être qualitative.

Pour ce qui est des raisons de l’éloignement, le texte dit que, “lorsque les États membres prennent la décision d’éloigner du territoire un citoyen de l’Union, ils doivent s’assurer au préalable que cette décision est proportionnelle à la menace pour l’ordre public ou à la charge pour le système d’assistance sociale que le citoyen concerné représente”*. Ainsi, le texte insiste sur l’importance d’une telle décision, qui doit être “équitable” . De plus, “une décision d’éloignement prise pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique doit être fondée exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné. Cela signifie que le comportement personnel doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société (article 27).”*

Le corollaire de cette dernière disposition, en ce qui concerne la méthode, est que l’Etat ne peut pas conduire d’expulsions collectives. C’est l’un des reproches qui est adressé à l’Etat français. Les associations dénoncent la façon dont les autorités distribuent dans les camps des avis d’expulsion à tous. Le gouvernement français s’en défend et il devra prouver à la Commission que chaque cas est bien examiné individuellement.

Mais la fameuse circulaire qui annonçait que les démantèlements de camps illégaux devaient concerner “en particulier les Roms” est à caractère discriminatoire, et est bien entendu incompatible avec le droit européen. Le ministre de l’Intérieur français a retiré cette circulaire pour la remplacer par une autre sans la mention litigieuse, mais cela jette le doute sur les intentions françaises. Paris s’est défendu en expliquant que les camps illégaux démantelés n’étaient pas seulement ceux de Roms.

Au contraire, la France insiste sur l’aspect volontaire des retours, ce qui est mis en cause par les uns et les autres. Bien que le gouvernement fournisse une aide aux personnes acceptant de partir (300 euros par adulte et 100 euros par enfant), un rapport de la Commission indique que “le seul fait de verser une aide forfaitaire au retour à un citoyen de l’UE n’est pas, en première analyse, suffisant pour exclure ces rapatriements du champ d’application de la directive” .

Précisons pour finir qu’en principe, les décisions d’éloignement “peuvent faire l’objet d’un recours devant une juridiction nationale. Le recours peut s’accompagner d’une demande visant à obtenir le sursis à l’exécution de la décision d’éloignement, dans l’attente de la signification du jugement. Dans ce cas, l’éloignement effectif du territoire ne peut pas avoir lieu sauf lorsque les personnes concernées ont déjà pu exercer un recours juridictionnel ou lorsque la décision d’éloignement se fonde sur des motifs de sécurité publique (article 31)”*.

A noter aussi qu’ “après une période de séjour ininterrompue de cinq ans dans le pays d’accueil, les citoyens de l’Union deviennent résidents permanents”*, cette fois sans condition.

Qu’est ce qu’une procédure d’infraction ?

La procédure d’infraction à laquelle la presse et la commissaire font référence fait partie de ce que l’on appelle, en droit européen, le “recours en manquement” .

Les directives, telle la directive de 2004 sur la libre circulation qui nous intéresse ici, sont des textes adoptés par les institutions européennes, et dont le contenu doit, dans un délai de deux ans, être intégré au droit interne des Etats membres, sous forme de lois votées par les Parlements nationaux.

Ainsi, ce sont les Etats membres qui sont responsables de ce que l’on appelle la “transposition” des directives. La Commission s’assure que les Etats s’acquittent de cette responsabilité. Dans la pratique, les Etats ne sont pas toujours respectueux des délais, et la Commission ne monte pas sur ses grands chevaux pour autant : elle préfère les rappeler à l’ordre de manière informelle avant de se lancer dans une procédure formelle.

Si néanmoins les Etats persistent dans l’inaction, la Commission dispose de pouvoirs pour les contraindre à agir, avec l’appui de la Cour de justice si nécessaire. C’est ce que l’on appelle le “recours en manquement” (prévu par l’article 258 du TFUE).

De la même façon, les Etats ne peuvent adopter de loi ou conduire de politique qui soit contraire aux dispositions des directives, et doivent honorer les obligations auxquelles les tient le droit de l’Union (qu’ils ont eux-mêmes adopté). C’est la même procédure qui s’applique.

Ici, Viviane Reding a annoncé qu’elle envisageait de lancer contre la France une “procédure de double-infraction” . Les deux éléments qui posent problème sont d’une part la mauvaise transposition de la directive de 2004 sur la libre circulation dans le droit français, et d’autre part la politique à l’égard des Roms elle-même qui ne respecterait pas la directive.

Concernant la transposition imparfaite, la France est loin d’être la seule dans ce cas puisque 26 Etats membres sur 27 sont concernés. Un rapport de la Commission qui fait état de la question indique que “lors d’une décision d’expulsion la législation française ne se réfère pas explicitement à l’obligation d’examiner toutes les circonstances individuelles (durée du séjour, âge, santé, situation familiale, degré d’intégration)” . C’est un manquement par rapport à la directive.

Concernant la non-conformité avec le droit, la question vient d’être discutée dans la première partie de cet article.

La procédure d’infraction vise à ce que l’Etat se mette volontairement en conformité avec le droit. En premier lieu, la Commission va “mettre en demeure” l’Etat, c’est-à-dire lui demander de s’expliquer sur ce qui, à ses yeux, constitue une violation du droit. Ensuite, la Commission va émettre un avis motivé, dans lequel elle va, dans le détail, expliquer en quoi elle estime que l’Etat est en infraction, et lui donner un délai pour se mettre en conformité. Si l’Etat persiste, la Commission a le pouvoir (mais pas l’obligation) de saisir la Cour de justice, et ce faisant demander une amende (article 260).

Le traité de Lisbonne fait même disparaître la nécessité de l’avis motivé, pour accélérer la procédure. En pratique la Commission peut se montrer conciliante et patiente si l’Etat se montre coopératif.

La France et les autres Etats membres ont déjà été condamnés à de nombreuses reprises. Notre pays détient le record de l’amende pour infraction, dans l’affaire dite des “poissons sous-taille” , qui condamnait la pêche illégale de trop petits poissons en France. Elle a du payer 20 millions d’euros de somme forfaitaire et 57,8 millions d’euros d’astreinte par période de six mois.

En savoir plus :

Roms : la France “surprise” par les déclarations de Viviane Reding - Touteleurope.eu

Mémo de la Commission : “Les Roms dans l’UE”

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