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Réviser les frontières pour faire la paix : mission impossible pour le Kosovo et la Serbie ?

L’année 2018 sera-t-elle celle de la normalisation des relations entre Belgrade et Pristina ? Les présidents serbe et kosovar ont rouvert le dialogue intensément pendant l’été, autour d’une idée controversée d’échange de territoires pour régler leurs différends. Mais certains Etats membres se sont vite inquiétés d’une solution qui pourrait réveiller les revendications ethniques dans les Balkans. Et au niveau local, les provocations nationalistes ont largement refroidi le dialogue début septembre…

Federica Mogherini et Aleksandar Vučić, en mars 2018 en Serbie - Crédits : Oliver Bunic / Union européenne
Federica Mogherini et Aleksandar Vučić, en mars 2018 en Serbie - Crédits : Oliver Bunic / Union européenne

Voilà près de vingt ans que la Guerre du Kosovo a pris fin. Depuis, l’ancienne province albanaise de Serbie a proclamé unilatéralement son indépendance en 2008, et malgré la signature en 2013 d’un accord ouvrant la voie à une normalisation de leurs relations, les négociations ont largement patiné entre Belgrade et Pristina.

A la fin du mois d’août 2018, lorsque les présidents serbe et kosovar ont officiellement soutenu un “accord final” radical reposant sur un échange de territoires, de nombreux observateurs ont donc repris espoir. Mais dès le 7 septembre, alors que les deux chefs d’Etat devaient se réunir sous l’égide de l’UE, le navire a pris l’eau…

Que proposaient les présidents serbe et kosovar ?

Le Kosovo compte aujourd’hui 1,8 million d’habitants. 90 % sont albanais, la plupart musulmans, mais 6 % sont serbes, des chrétiens orthodoxes isolés et souvent non albanophones.

Pour mettre un terme aux rivalités ethniques qui perdurent depuis la fin de la guerre, et parvenir à un accord qu’il qualifiait dès le mois de juin de “pragmatique” et “gagnant-gagnant” , le président kosovar Hashim Thaçi, vétéran de l’armée de libération du Kosovo, se disait donc prêt, cet été, à offrir à la Serbie les territoires à majorité serbe du nord de son pays.

En échange, le président serbe Aleksandar Vučić, qui a fait ses classes au parti ultranationaliste serbe, aurait reconnu la pleine souveraineté du Kosovo et laissé entrer dans son giron des municipalités à majorité albanaise du sud de la Serbie.

Le Forum pour la paix, organisé à Paris mi-novembre, s’annonçait comme une bonne occasion d’entériner leur rapprochement, selon Le Monde. Les Etats-Unis, puissants parrains du Kosovo, avaient annoncé en août ne plus s’opposer à une redéfinition des frontières, une question jusqu’alors taboue dans cette région des Balkans. Federica Mogherini, la Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, avait aussi signalé qu’elle reconnaîtrait un accord mutuel entre la Serbie et le Kosovo, tout comme la France qui se rangeait à cet avis.

Mais cette solution n’a jamais fait consensus. Ni auprès des populations et des responsables politiques serbes et kosovars, ni auprès des Etats membres de l’Union européenne… Qui n’ont pas manqué de le faire savoir, entachant fortement le processus.

La Guerre du Kosovo, une guerre ethnique
A la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, le Kosovo, une ancienne région de l’Empire ottoman à majorité albanaise et musulmane, a été intégré à la Fédération de Yougoslavie. Mais à la désintégration de celle-ci, les velléités nationalistes du président serbe Slobodan Milošević ont abouti à un conflit ouvert avec ce territoire autonome, considéré par les Serbes chrétiens orthodoxes comme un berceau de leur religion. La Guerre du Kosovo a ainsi opposé, de mars 1998 à juin 1999, les forces nationales serbes et les séparatistes kosovars albanais, avec un bilan de plus de 13 000 morts.
En 1999, après une intervention de l’OTAN pour mettre fin au conflit, le Kosovo a été placé sous l’administration de l’ONU. Il a proclamé son indépendance le 17 février 2008, et sa souveraineté a été reconnue par une centaine de pays de l’ONU. Mais toujours pas par la Serbie, ni par cinq Etats membres de l’Union européenne (Espagne, Roumanie, Slovaquie, Grèce, Chypre).

Faire la paix ou raviver les tensions ?

Outre le problème des minorités serbes et albanaises vivant dans les régions échangées, une redéfinition des frontières ouvrirait, selon la ministre des Affaires étrangères autrichienne, une dangereuse “boîte de Pandore” dans les Balkans, où subsistent de nombreuses revendications territoriales basées sur les ethnies (comme celles de la minorité serbe en Bosnie-Herzégovine par exemple). En août, l’Allemagne a aussi exprimé ses craintes à propos de l’accord présenté par les dirigeants serbe et kosovar. “Nous pensons que cela rouvrira beaucoup de vieilles blessures dans la population, et c’est pourquoi nous sommes très sceptiques” , a expliqué Heiko Maas, le ministre fédéral des Affaires étrangères, lors d’une réunion du Conseil de l’UE à Vienne.

Le Premier ministre kosovar lui-même, à la tête d’un parti politique minoritaire mais en coalition avec celui du président, a prévenu qu’une partition du Kosovo “conduirait à la guerre”. En effet, selon Le Figaro, l’Église orthodoxe de Serbie, ultranationaliste, rejette cette solution autant que l’opposition radicale kosovare refuse “la moindre concession” aux Serbes.

Sans grande surprise, des centaines d’opposants se sont donc mis sur le chemin du président Aleksandar Vučić, le 9 septembre, alors qu’il tentait de se rendre dans une enclave serbe du nord du Kosovo pour y présenter ses idées pour la paix. Après une première vexation qui l’avait dissuadé de rencontrer son homologue à Bruxelles le 7 septembre, le dirigeant a alors opéré un revirement à 180 degrés. S’exprimant à Mitrovica devant des milliers de Serbes du Kosovo, il a nié tout projet d’échange territorial et même rendu hommage à Slobodan Milošević, l’ex-président de Yougoslavie inculpé avant sa mort pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide…

Pourquoi une telle accélération cet été ?

Les accords signés depuis 2013 entre les deux pays sont déjà loin d’avoir tous été appliqués. Le dialogue a régulièrement été rompu au gré de provocations réciproques, comme celles de ces derniers jours. Dès lors, pourquoi avoir envisagé subitement cet été un “accord final” encore plus radical et moins consensuel que ce qui avait été mis sur la table jusqu’à présent ?

La reconnaissance du Kosovo par la Serbie est, d’abord, une condition sine qua non à la poursuite des négociations entourant l’entrée de ces pays dans l’Union européenne. Le Kosovo n’est, à ce stade, qu’un “candidat potentiel” , mais la Serbie a déposé sa candidature officielle à l’UE dès 2009. Elle a obtenu le statut de pays candidat en 2012 et espère la rejoindre lors du prochain élargissement, envisagé en direction des Balkans en 2025. “Il n’y a pas de meilleure solution, assurait donc encore en août le président serbe Aleksandar Vučić sur Euronews. Nous déploierons d’immenses efforts pour tenter de trouver une solution à la crise du Kosovo.”

A défaut de reconnaissance, l’ancienne province albanaise de Serbie restera, de son côté, à la porte des organisations internationales.

Selon Jean-Arnault Dérens, le rédacteur en chef du Courrier des Balkans interrogé par France Culture, “l’agitation diplomatique” de ces dernières semaines, “sûrement très hypocrite” , aurait aussi permis au président kosovar Hashim Thaçi de “masquer la volonté de ne pas faire fonctionner le tribunal international pour les crimes attribués à l’ancienne guérilla albanaise au Kosovo” , dont ont fait partie plusieurs hauts dirigeants actuels. Le dirigeant kosovar n’avait qu’un choix, selon ce spécialiste : “La prison ou le prix Nobel de la paix…”

Est-ce à dire que tout espoir est perdu pour 2018 ? Certains observateurs estiment que le dialogue devrait quand même reprendre dans les prochaines semaines, les deux pays ayant tout intérêt à trouver rapidement une solution à leur conflit. Car la fenêtre européenne pourrait se refermer après tant de camouflets. En effet, si l’élargissement de l’UE aux Balkans a pu être relancé dans un contexte d’influences russe et chinoise grandissantes dans la région, un certain nombre d’Etats membres estiment que le moment n’est plus le mieux choisi pour importer les problèmes des Balkans dans l’Union. Si la question des minorités est réglée entre le Kosovo et la Serbie dans les prochains mois, resteront celles du crime organisé, de la corruption ou du respect de l’Etat de droit dans toute la région.

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