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[Reportage] 100 citoyens européens réunis à Bruxelles pour discuter du futur de l’Europe

“Les institutions s’adressent directement aux citoyens : enfin” ! Ce cri du cœur résume l’état d’esprit des 100 Européens qui ont été réunis à Bruxelles, les 5 et 6 mai. Leur mission ? Elaborer un questionnaire de 12 questions, qui sera ensuite soumis à tous les citoyens européens désireux de s’exprimer sur l’avenir de l’Union européenne. Cette consultation s’inscrit ainsi dans le cadre des Consultations citoyennes sur l’Europe, organisées dans les 27 pays membres. Reportage.

Panel de 100 citoyens européens réunis à Bruxelles les 5 et 6 mai
Panel de 100 citoyens européens réunis à Bruxelles les 5 et 6 mai - © EU2018 - Source : EESC

On ressent comme quelque chose d’irréel lorsqu’on se promène un samedi matin, à 9 heures, dans le quartier européen de Bruxelles. Alors qu’en semaine y fourmillent des centaines de fonctionnaires européens en costumes et tailleurs, on n’y croise le week-end que de rares voitures, glissant entre les buildings de verre monumentaux.

Pourtant ce samedi-là est particulier. Nous sommes le 5 mai, et les différentes institutions européennes s’apprêtent à ouvrir leurs portes au public à l’occasion de la Journée de l’Europe. Plus exceptionnel encore, le Comité économique et social européen (CESE) accueille un événement rare : près de 100 Européens venus de tous les pays membres de l’UE à l’exception du Royaume-Uni, sont réunis pendant deux jours pour construire ensemble une liste de 12 questions, qui seront utilisées dans le cadre d’une consultation en ligne à l’échelle européenne. L’objectif ? Que chaque citoyen puisse s’exprimer sur l’avenir de l’UE.

Contrairement aux autres consultations citoyennes, qui émergent de la société civile, l’exercice a été lancé par la Commission européenne, en partenariat avec le CESE et à l’initiative notamment du gouvernement français. Cette dernière qui abrite les représentants des corps intermédiaires, a accepté de prêter durant le week-end ses locaux et interprètes. Pour Luca Jahier, président du CESE, l’ambition est d’empêcher les forces populistes de monopoliser le débat public : “si on ne regagne pas le terrain du dialogue direct avec les citoyens et les corps intermédiaires, on aura perdu la bataille de la démocratie libérale dans nos pays” , explique-t-il.

Passées les barrières de sécurité du bâtiment, il faut monter au sixième étage pour rejoindre l’hémicycle boisé de la salle 62. C’est là que se réunissent d’ordinaire les 350 conseillers du CESE. Mais cette fois, les sièges sont occupés par les 96 citoyens ordinaires recrutés de manière aléatoire par l’entreprise Kantar. Pas tout à fait par hasard cependant : les âges, pays d’origine, sexes et catégories socio-professionnelles sont censées représenter toute la diversité des pays de l’UE. On peut ainsi y croiser aussi bien une étudiante italienne, qu’une retraitée hongroise ou un consultant slovaque.

De la réunion d’introduction jusqu’à la restitution finale, les participants pourront s’exprimer et poser leurs questions dans leur langue maternelle. L’interprétation est assurée dans les 24 langues de l’UE, une condition nécessaire pour garantir la diversité des échanges.

Ateliers collaboratifs

C’est toutefois avec l’ouverture des premiers ateliers que la journée commence vraiment. Les participants sont répartis par groupe de quinze, dans sept salles du bâtiment. Le brassage est toutefois imparfait, réalisé en fonction des langues parlées. Les échanges démarrent par un tour de présentation : chaque participant évoque les sujets qui lui tiennent à cœur et précise les raisons de sa présence. Fabio, venu directement de Naples est enthousiaste : “les institutions d’adressent directement aux citoyens : enfin !”.

L’atelier se veut inclusif. Sur des post-it de couleur, les participants notent les thèmes qui, selon eux, devraient absolument être présents dans le questionnaire. La modératrice se charge de regrouper les thématiques similaires. Dans le groupe que nous suivons, ce sont les sujets de l’immigration, de l’environnement et de l’éducation qui sont principalement mis en avant. Dans une autre salle où sont rassemblés Hongrois, Polonais, Roumains, Maltais et Irlandais, on discute surtout des problèmes de la sécurité, de l’économie et du degré d’indépendance des pays membres. De manière prévisible, les thématiques abordées sont fortement corrélées au pays d’origine. Michel, qui fait partie du contingent français tempère : “on a différentes approches, mais en même temps, on se retrouve tout de même sur beaucoup de thématiques communes”.

Chacune de ces thématiques fait ensuite l’objet d’un débat. Et si les premières interventions sont timides, elles sont ensuite de plus en plus affirmées. Une Slovène aux cheveux carmins s’exclame : “dans mon pays, chaque migrant reçoit 1800€, alors qu’un retraité ou un chômeur n’obtient que 600€, ce n’est pas normal”. Côté italien, un retraité critique l’incapacité de son pays à gérer l’arrivée de migrants. “Nous ne sommes pas capable de respecter les droits de l’homme”, regrette-t-il. “Il y a ceux qui ont besoin d’aide, et ceux qui en profitent”, déclare une Croate, qui se voit objecter gentiment par une compatriote : “il ne faut pas oublier qu’en Croatie, on fuyait aussi la guerre il y a 20 ans”. A l’arrière de la salle, des volontaires de la Commission ne perdent pas une miette des débats et prennent en note l’intégralité des échanges. Si certains participants s’échauffent parfois, le débat est bienveillant et la modératrice accorde la parole à chacun à tour de rôle. Aussi, le réglage des micros et la mécanique de l’interprétation réduisent les possibilités de s’interrompre.

Ce ne sont pas seulement des préoccupations ou des inquiétudes qui se sont exprimées. Beaucoup témoignent de leur envie de progresser sur l’harmonisation des systèmes éducatifs et des programmes scolaires, de l’accès à la santé ou des salaires” , résume Michel, plutôt heureux de la teneur des échanges.

A deux reprises au cours de l’après-midi, l’ensemble des participants est réuni en “séance plénière” . Pour chaque groupe, deux porte-paroles résument les thèmes considérés comme les plus importants. La liste des sujets dégagés est affichée en anglais sur les écrans présents sur chaque table. Un par un, ils sont énumérés par une modératrice, traduits par les interprètes, et font l’objet d’un vote. Les participants choisissent alors les douze thèmes qui seront abordés par le questionnaire.

Elaboration d’un questionnaire

Quatorze volontaires - deux pour chaque groupe - acceptent ensuite de consacrer leur soirée à l’ébauche des questionnaires. Réunis dans une salle de l’hôtel avec des membres de la Commission, du CESE, et aidés par les modérateurs, ils détaillent pour chacun des thèmes retenus toutes les préoccupations et propositions exprimées dans leur groupe pendant la journée. Plusieurs collaborateurs de Kantar prennent minutieusement note des échanges et travailleront toute la nuit pour formuler une première version de questionnaire.

 

Après une nuit à l’hôtel, le panel se retrouve le dimanche matin pour une dernière étape : choisir les douze questions qui feront l’objet de la consultation. Toujours en petit groupe, ils doivent choisir parmi les 36 questions élaborées durant la nuit par Kantar. Encore une fois, le timing est serré : les participants disposent d’un peu plus d’une heure et demi pour débattre du questionnaire, faire leurs ajouts et voter pour les questions qui leurs paraissent les plus importantes. Comme la veille, les questions doivent être rassemblées par les organisateurs, et faire l’objet d’un vote final en plénière.

Premier problème : le questionnaire élaboré n’est disponible qu’en anglais, faute de temps pour la traduction écrite. Ce qui n’est pas du goût de tous les participants. Un peu plus tard, certains s’étonnent que des sujets qui n’avaient pas été évoqués en session plénière apparaissent dans le questionnaire. L’un des volontaires ayant participé à la session de travail nocturne explique : “En plénière, les groupes n’avaient pas pu exposer leurs échanges dans le détail. C’est ce qu’on a fait hier, lors de la session de travail. Chacun a pu exprimer ses préoccupations, et pour moi, elles sont toutes présentes dans le questionnaire”. Une fois le débat clôt, chacun vote pour les douze questions qu’il souhaite voir figurer dans la consultation.

Sara, qui est venue du Danemark, estime que les douze questions choisies reflètent bien les sujets abordés pendant les ateliers. “Mais douze questions, c’est peu, il n’est pas certain que l’on puisse refléter toutes les opinions”, s’inquiète-t-elle. Tommie, qui vient quant à elle du Luxembourg, regrette que des sujets comme le sauvetage des banques et l’égalité femme-homme soient passés à la trappe. Plusieurs voix s’élèvent ainsi pour que deux consultations soient lancées : le questionnaire comprenant les douze questions, ainsi qu’un autre plus long, qui reflèterait toutes les positions évoquées durant le week-end.

Et après ?

Institutions européennes obligent, les activités du panel d’Européens s’achèvent par un… questionnaire de satisfaction. Les retours sont positifs. Seule une minorité exprime une frustration liée à la barrière de la langue ou au manque de temps.

En fait, ce sont surtout des inquiétudes sur l’utilisation de cette consultation qui sont avancées. Pour Mary, il ne suffit pas de demander l’avis des gens, il faut que cela soit suivi d’actions concrètes. Pour cela, la Commission tout comme le CESE estiment que ce sera aux États membres de s’emparer des préoccupations exprimées lors de la consultation. “A la Commission, nous considérons qu’il s’agit d’un matériel proposé aux chefs d’Etats, qui leur permettra d’alimenter leur réflexion” , déclare Sixtine Bouygues, directrice générale adjointe de la communication. Même son de cloche pour Luca Jahier, qui espère que le résultat du panel sera utilisé par les gouvernements dans leur propre pays.

Autre inquiétude pour une Chypriote, , qui craint que la participation ne soit biaisée car organisée seulement en ligne. “S’il s’agit seulement d’une consultation sur internet, tout le monde ne pourra pas y avoir accès, les personnes âgées par exemple”, souligne-t-elle. Face à ces préoccupations, la Commission se veut rassurante et explique qu’elle déploiera tous les moyens à sa disposition pour effectuer la publicité. Monica, retraitée maltaise, est toutefois sceptique, étant donné le faible taux de participation de ces dernières années aux élections nationales et européennes.

Pour évaluer les résultats concrets de cette consultation, c’est une fondation allemande, la Bertelsmann Stiftung, qui a été mandatée. Anna Renkamp, chargée de projet, explique que la fondation compte évaluer si chacun a eu une chance de faire entendre sa voix lors de la consultation, si celle-ci est transparente, si les participants sont représentatifs de la diversité de la population. “Puis nous regarderons également les résultats des questionnaires qui seront proposés en ligne”, précise-t-elle.

A l’issue du week-end, tout le monde semble néanmoins enthousiaste d’avoir participé à l’événement et d’avoir rencontré des citoyens venus de l’Europe entière. “En définitive, je suis étonné de l’excellent niveau de réflexion, et je suis touché par le fait que tout citoyen non-expert ait tout de même un avis intéressant à donner” , conclut ainsi Michel.

Le questionnaire définitif issu du panel des 100 Européens a été publié le 9 mai, à l’occasion de la Journée de l’Europe. Il est accessible sur le site de la Commission européenne.

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