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Relance économique : pourquoi les négociations coincent au Conseil européen

A Bruxelles, le président du Conseil européen Charles Michel discute avec le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel - Crédits : Conseil européen
A Bruxelles, le président du Conseil européen Charles Michel discute avec le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel - Crédits : Conseil européen

Quatre jours de discussions, des réunions informelles, des portes qui claquent et des négociations qui patinent. Réunis en Conseil européen depuis le vendredi 17 juillet, les Vingt-Sept chefs d’Etat et de gouvernement doivent s’accorder sur le budget pluriannuel 2021-2027 de l’Union européenne, ainsi que sur le plan de relance destiné à faire repartir l’économie du continent, sinistrée par la pandémie de Covid-19. Si l’enjeu est de taille, les désaccords le sont tout autant, ce qui explique que ce sommet soit le plus long depuis celui de Nice, en décembre 2000. Afin de mieux comprendre pourquoi les échanges sont si intenses et compliqués, Toute l’Europe dresse un état des lieux des forces en présence. Et des lignes de fracture qui vont avec.

La proposition discutée

Pour mieux saisir l’enjeu, rappelons d’abord les termes de départ de la discussion engagée par les Vingt-Sept. Cette dernière repose sur la proposition de budget pluriannuel et de plan de relance, formulée le 10 juillet par le président du Conseil européen Charles Michel. Elle fixe le montant du budget pluriannuel à 1 074 milliards d’euros, préserve les rabais dont bénéficient le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suède, et propose la constitution de nouvelles ressources propres.

A ce budget serait adossé un plan de relance d’un montant de 750 milliards d’euros, financé par un emprunt mutualisé. Ces 750 milliards seraient répartis entre des transferts (500 milliards d’euros d’allocations directes aux Etats membres sous forme de subventions) et des prêts (à hauteur de 250 milliards). Il servirait à financer des plans de relance nationaux, qui devraient être approuvés par le Conseil à la majorité qualifiée.

Sur cette base, les Vingt-Sept se répartissent en trois camps majeurs : les Pays du Sud et le couple franco-allemand, les frugaux et le groupe de Visegrád. Tous discutent sur trois points polémiques, sur lesquels chacun défend une position divergente : la répartition entre transferts et prêts, la gouvernance des fonds et les rabais. Voici les exigences de chacun.

Les Etats du Sud et le couple franco-allemand : priorité aux transferts et à la levée des rabais

  • Qui sont-ils ?

Groupe le plus fourni (Espagne, Italie, Slovénie, Grèce, Portugal, Irlande, Belgique, Luxembourg, France et Allemagne), il est à l’origine de cette idée de mutualisation des emprunts au niveau européen. L’Allemagne les a rejoints plus tardivement à l’occasion de l’initiative franco-allemande, formulée le 18 mai dernier. Ces Etats sont attachés à préserver la part la plus élevée possible de transferts dans le plan de relance, dans le but de ne pas alourdir les dettes nationales des Etats les plus touchés par la crise.

  • Que défendent-ils ?

Ils défendent donc une répartition similaire à celle proposée par Charles Michel, soit 500 milliards d’euros de transferts, et 250 milliards de prêts. Au cours des discussions qui se sont tenues lors de ce Conseil européen, ils ont néanmoins proposé aux frugaux, qui leur sont opposés sur ce point, d’abaisser la part de transferts à 450 milliards d’euros. Selon Le Monde, ils refuseraient de passer sous la barre des 400 milliards d’euros, tandis que Charles Michel, à la recherche d’un compromis aurait proposé de s’accorder sur 390 milliards de transferts. Le montant total de 750 milliards semblant acquis, dans cette configuration, les prêts s’élèveraient pour leur part à 360 milliards d’euros.

Autre point sur lequel la France était tout particulièrement inflexible avant le début des discussions : la levée des rabais octroyés au Danemark, à la Suède, à l’Autriche, aux Pays-Bas et à l’Allemagne. Les discussions iraient pour l’instant dans le sens du maintien de ces rabais, à en juger par la nouvelle proposition formulée par Charles Michel au cours du sommet.

Les frugaux : priorité aux prêts et à une gouvernance stricte

  • Qui sont-ils ?

Ce groupe constitué de l’Autriche, des Pays-Bas, du Danemark et de la Suède est également soutenu par la Finlande. Son sobriquet illustre son attachement à la rigueur budgétaire, à la responsabilité étatique et sa frilosité face au principe des transferts. En effet, les frugaux, tous contributeurs nets au budget de l’Union européenne, estiment qu’ils “donnent déjà” aux Etats du Sud et de l’Est, qui comptent parmi les plus gros bénéficiaires nets (sauf l’Italie) au budget de l’Union. Ils estiment donc qu’un emprunt européen, qui permet aux Etats européens moins bien notés sur les marchés financiers de bénéficier de la crédibilité des Etats aux finances plus “saines” , leur permet en quelque sorte de profiter de l’attitude vertueuse de ces derniers sans avoir à faire d’efforts eux-mêmes de rationalisation de leurs dépenses publiques.

  • Que défendent-ils ?

S’ils ont finalement accepté cette idée de mutualisation des emprunts au niveau européen au vu des conséquences de la crise, ils s’attachent désormais à ce que ceux-ci soient reversés au maximum sous forme de prêts. “Aider les autres” , mais pas à n’importe quelle condition : c’est ainsi que le Premier ministre néerlandais Mark Rutte avait présenté sa position, partagée par ses homologues frugaux.

Depuis l’ouverture des discussions, ils ont d’abord cherché “à réduire le montant des subventions [ou transferts] à 150 milliards, voire les amener à zéro” , raconte une source européenne au journal Le Monde. Ils auraient assoupli leur position en acceptant 350 milliards, la proposition de Charles Michel (390 milliards) restant donc au-delà de leur offre.

Les frugaux sont aussi très vigilants sur la question du contrôle des fonds versés aux Etats membres. Ils défendaient initialement l’idée selon laquelle les plans de relance nationaux devraient être approuvés à l’unanimité au Conseil européen ou au Conseil de l’UE. Une position que récuse notamment l’Italie. La dernière proposition de Charles Michel suggère de maintenir ce mécanisme de contrôle, mais à la majorité qualifiée seulement. Or à la majorité qualifiée, les cinq membres de ce camp ne parviendraient pas à peser suffisamment pour rejeter un plan de relance qui ne leur conviendrait pas.

Le groupe de Visegrád

  • Qui sont-ils ?

Camp constitué de quatre pays d’Europe centrale et anciens membres du bloc soviétique (la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie), le groupe de Visegrád s’est formé en 1991 dans l’optique de s’ouvrir sur l’ouest et de favoriser l’adhésion de ses membres à l’OTAN et l’UE, objectifs atteints pour tous entre 1999 et 2004. Il agit depuis comme plateforme de représentation des intérêts de ces pays au sein de l’Union européenne et à l’international.

  • Que défendent-ils ?

Ces Etats figurent parmi les bénéficiaires nets de l’Union européenne, notamment grâce à la politique de cohésion, une politique majeure du budget européen, au même titre que la PAC. Ils sont donc très attentifs à ce que le plan de relance adossé au budget pluriannuel n’ampute pas cette dernière. La Pologne et la Hongrie sont également pointés du doigt pour leurs réformes sociétales et politiques qui menacent l’Etat de droit, comme en attestent les récentes procédures d’infraction lancées par la Commission européenne à leur encontre.

Or, plusieurs pays du Nord de l’Europe - les Pays-Bas en tête - aimeraient conditionner l’accès aux fonds du plan de relance au respect de l’Etat de droit, menaçant ainsi Varsovie et Budapest de ne pas en bénéficier. Au cours du Conseil européen, la Pologne et la Hongrie, rejointes par la Slovénie, ont fait savoir qu’elles bloqueraient les négociations si une telle condition était maintenue. Le groupe de Visegrád a été rendu encore plus frileux par l’inscription du respect de l’Etat de droit dans le projet de budget pluriannuel formulé par Charles Michel le 10 juillet dernier.

Le processus d’adoption du budget

Ce Conseil européen n’est pas la dernière étape avant l’adoption du budget pluriannuel et du plan de relance. Il doit ensuite être validé par le Conseil de l’UE, mais aussi par le Parlement européen, qui s’avère pour l’instant hostile aux orientations prises par les Vingt-Sept et prône un budget pluriannuel plus ambitieux, comme en atteste la résolution qu’il a votée en mai 2020. Le chemin peut donc être encore long.

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