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Référendum suisse sur l’immigration : trois questions à Catherine de Wenden

Le 9 février dernier, les Suisses ont exprimé leur souhait de limiter l’immigration dans leur pays et d’imposer des quotas. Un vote qui suscite de nombreuses interrogations sur les conséquences juridiques concernant les relations entre l’Union européenne et la Suisse mais également sur le comportement des Helvètes. Dans un entretien à Touteleurope.eu, Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS (CERI), docteur en science politique (Institut d’études politiques de Paris) et spécialiste des migrations internationales, analyse les résultats de ce référendum. Elle est l’auteur de l’ouvrage “Faut-il ouvrir les frontières ?” réédité le 6 janvier 2014.

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Touteleurope.eu : Comment analysez-vous ce vote ?

Catherine de Wenden : Il faut souligner que ce référendum est passé à seulement 50,3% et que les grandes villes suisses étaient contre. Beaucoup d’électeurs n’ont peut-être pas pris conscience de l’importance de ce vote, et que la Suisse est membre des accords de Schengen. Ils n’ont pas réalisé que ces accords de contrôle communs des frontières européennes sont aussi des accords concernant les frontières de libre circulation intérieure de l’Europe.
Faut-il ouvrir les frontières ?

Dans son ouvrage réédité début 2014, la chercheuse Catherine Wihtol de Wenden explique pourquoi les politiques de renforcement des contrôles aux frontières sont contre-productives.

Les électeurs n’ont également pas pris conscience du risque économique qu’ils prennent s’ils se ferment notamment aux Européens, qui sont nombreux à travailler en Suisse actuellement.

C’est une dénonciation, pas seulement de l’immigration, mais de la dimension économique des échanges dont bénéficient la Suisse. Ce pays est démographiquement et économiquement dépendant de l’immigration. Ceux qui ont voté veulent préserver leur tranquillité sans se rendre compte que leur prospérité est aussi due à la mondialisation de l’économie et à la présence de frontières ouvertes aux étrangers.

Les Français se rendent compte qu’ils sont les immigrés aussi de la Suisse. Les discours que l’on entend en France s’appliquent donc à eux et pour certains c’est une découverte ou un malaise. C’est la concrétisation de l’idée mythique de la Suisse aux Suisses.

Touteleurope.eu : Quelles sont les conséquences juridiques de ce vote sur l’accord de libre circulation conclu avec l’UE ?

Catherine de Wenden : Il faudrait que les accords de libre circulation soient remis en question et que le gouvernement et le parlement transforment l’initiative de votation en loi.

Il faudrait ensuite que la Suisse dénonce les accords de Schengen. Il ne faut pas oublier que la Commission européenne a déclaré regretter ce vote. Il y aura donc peut-être une nouvelle consultation. C’est une conséquence très grave pour la défiance à l’égard de l’Europe et pour la faible prise de conscience de ces électeurs à l’égard des engagements de la Suisse face à l’UE, dans laquelle elle est quand même encastrée au sens géographique du terme.

Nous sommes dans un paradoxe fondateur puisque tous les pays du monde, à l’exception de quelques-uns, sont dans une économie libérale et en même temps veulent sécuriser les frontières de façon de plus en plus sophistiquée. Si l’on était plus cohérent, il y aurait des frontières plus ouvertes. Nous sommes perdants économiquement à fermer les frontières, puisque cela rend plus difficile l’accès au marché du travail pour les employeurs, et pour les travailleurs, cela complexifie leur vie avec le système de visas, d’instruments policiers etc.

Il y a contraction entre le sécuritaire d’un côté et l’économie de l’autre. C’est étonnant que la Suisse, qui est un pays très prospère économiquement, ait pu voter de cette façon compte tenu du gain obtenu grâce à l’immigration. Beaucoup de pays de l’immigration qui veulent fermer des frontières sont dans un contexte dépendant de l’immigration.

Touteleurope.eu : Est-ce un mauvais présage pour les élections européennes ?

Catherine de Wenden : Sans doute. Il y a un retour du souverainisme, que l’on constate en Europe un peu partout, et la volonté de surveiller les frontières.

Au lendemain des révolutions arabes, la France avait décidé de fermer sa frontière avec l’Italie pour se prévenir de l’invasion qui allait en résulter. Résultat, il n’y pas eu d’invasion, 30 000 personnes sont arrivées. En Italie, nous avons assisté au même phénomène.

Nous avons l’impression de retourner avant l’ère du marché commun. C’est un discours d’un autre âge qui est fortement attendu dans l’opinion publique qui ne voit pas les bénéficies politique et économiques qu’elle tire de l’Europe et qui est dans cette volonté de repli sur soi dans un contexte de crise économique. Ces comportements ont déjà été observés lors de précédentes périodes de crises, comme par exemple dans les années 30.

Toutes les études économiques faites sur l’immigration montrent que l’immigration rapporte plus qu’elle ne coûte. C’est le cas par exemple des premiers travaux dans les années 70, plus récemment d’une étude réalisée par l’école de l’économie de Paris, d’une autre par l’OCDE, qui expliquent que l’immigration est positive économiquement.

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