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Qu’est-ce que la directive sur les travailleurs détachés ?

Début 2016, les Européens ont entrepris de réformer la directive sur les travailleurs détachés. Cette dernière datait de 1996 et selon les pays d’Europe occidentale, elle n’était plus adaptée à la réalité du marché du travail européen. A l’issue d’un long processus législatif, une révision de la directive a été définitivement approuvée le 29 mai 2018.

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Qu’est-ce que la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs ?

La directive de 1996 sur le détachement de travailleurs permet à toute entreprise de l’UE d’envoyer temporairement ses salariés dans un autre pays membre. Ces travailleurs dits “détachés” bénéficient des conditions de travail du pays d’accueil, mais les charges sociales restent celles du pays d’origine.

La directive prévoit notamment que les travailleurs détachés bénéficient d’un “noyau dur de droits” de l’Etat membre qui les accueille. Il concerne les périodes de travail, de repos et de congés payés. Les pays d’accueil doivent payer ces travailleurs au moins au salaire minimum.

Pourquoi la réformer ?

Les règles de la directive de 1996 peuvent engendrer des formes de “dumping social” . A l’heure actuelle, les travailleurs détachés, lorsqu’ils sont originaires de pays de l’Est et travaillent à l’Ouest, coûtent en effet beaucoup moins cher aux employeurs : ils ne sont généralement rémunérés qu’avec le salaire minimum du pays d’accueil et leurs charges sociales relèvent de leur pays d’origine.

L’un des problèmes fréquemment évoqués est également la lutte contre les infractions pratiquées par certains employeurs, contre le droit du pays d’accueil. Le travail le samedi et le dimanche, les heures supplémentaires non rémunérées ou encore la non intégration des frais de transport et d’hébergement au salaire sont des entorses fréquentes.

Les pratiques de faux détachement sont également nombreuses et sont assimilables à du travail illégal. Par exemple, des établissements “boîte à lettres” sont créés par une entreprise française dans un autre Etat membre avec des taux de cotisations sociales plus faibles, sans qu’ils exercent une activité réelle et afin de justifier du détachement de travailleurs recrutés dans cet autre Etat.

Qu’a proposé la Commission ?

L’ancienne commissaire européenne au Travail, Marianne Thyssen, a proposé en mars 2016 de réformer la directive. Elle a ensuite confirmé le 20 juillet 2016 que la révision proposée n’était pas contraire au principe de subsidiarité, contrairement à ce qu’affirmaient plusieurs pays d’Europe de l’Est.

La réforme de la directive sur les travailleurs détachés doit permettre, selon la Commission européenne, de mieux lutter contre le dumping social en garantissant aux travailleurs détachés dans un autre pays de l’UE le même salaire que leurs collègues locaux. En effet, comme l’expliquait Elisabeth Morin-Chartier, eurodéputée (PPE) de 2014 à 2019 et co-rapporteure de la directive pour le Parlement européen, l’Union européenne ne comptait que 15 membres en 1996 et les écarts de salaire minimum étaient de 1 à 3 entre les pays. Ils vont aujourd’hui de 1 à 7, à présent que l’UE compte 27 Etats membres.

La proposition de réforme dévoilée par la Commission européenne le 8 mars 2016 proposait de modifier la directive existante dans trois domaines : la rémunération des travailleurs détachés (“à travail égal, rémunération égale”), les règles entourant le travail détaché des intérimaires (mêmes conditions qu’un travailleur local pour un travailleur détaché par une agence d’intérim transfrontalière) et le détachement à long terme (limitation à 24 mois de la durée du détachement).

Quels pays étaient pour / contre ?

Ces propositions ont suscité des réactions favorables au sein des pays de l’ouest de l’Europe, aux premiers rangs desquels la France, l’Allemagne ou encore la Belgique. Ces Etats membres figurent parmi les principaux receveurs de travailleurs détachés et dénonçaient régulièrement la concurrence déloyale que cette main d’œuvre pouvait représenter dans le cadre législatif de 1996.

A l’inverse, les pays d’Europe orientale ont très mal accueilli la proposition de révision de la directive. Principaux pourvoyeurs de travailleurs détachés, ils estiment que cette réforme est de nature à entraver la libre-circulation des personnes. C’est pour cette raison que 11 pays (Bulgarie, Croatie, Danemark, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie et Slovaquie) ont brandi un “carton jaune” à la Commission européenne en mai 2016.

Cette procédure prévue par le traité de Lisbonne permet en effet, en réunissant un tiers des pays membres, d’invoquer une atteinte au principe de subsidiarité, ce qui a bloqué la réforme jusqu’en juillet et l’intervention de la commissaire européenne, Marianne Thyssen. Elle a expliqué que “le détachement des travailleurs est une question, par définition, transfrontalière” , qui relèverait donc de la compétence de l’UE et non pas des Etats.

Quelles mesures ont été adoptées par le Conseil ?

Réunis en Conseil le 23 octobre 2017, les ministres du Travail de l’Union européenne ont conclu un accord permettant la révision de la directive sur les travailleurs détachés.

De longues négociations auront donc été nécessaires pour aboutir à une majorité. Un premier compromis entre les Etats membres avait été trouvé le 15 juin 2017, mais avait finalement été rejeté par la France. Nouvellement élu, Emmanuel Macron avait souhaité renforcer les dispositions, comme la limitation de la durée maximale du détachement à un an, obligeant les ministres européens du Travail à reprendre les discussions. Au cours de l’été, le président français a également fait une large tournée européenne pour convaincre ses homologues. Une opération qui a porté ses fruits, même si un pays comme la Pologne a continué d’opposer une fin de non-recevoir à la France, critiquant même publiquement “l’arrogance” de M. Macron.

En définitive, seuls quatre Etats membres ont voté contre l’accord du 23 octobre (Hongrie, Lettonie, Lituanie et Pologne), tandis que trois se sont abstenus (Croatie, Irlande et, à l’époque encore membre de l’UE, le Royaume-Uni). Celui-ci prévoit notamment :

  • D’instituer le principe “à travail égal, rémunération égale sur un même lieu de travail” : les travailleurs détachés dans d’un autre pays membre devront être payés un salaire équivalent aux salariés sur place, et non plus le simple salaire minimum. La mesure permettant que les cotisations sociales du travailleur détaché demeurent celles du pays d’origine n’était pas remise en cause. Même si le salaire était plus élevé, il serait donc toujours plus avantageux pour les entreprises d’employer des travailleurs d’autres pays de l’UE où les charges sociales sont plus faibles. L’objectif était alors de garantir un avantage pour les entreprises tout en améliorant les conditions de travail des travailleurs détachés.
  • Que toutes les règles valables pour les travailleurs locaux (prime de froid, de pénibilité, d’ancienneté, treizième mois…) s’appliquent aux détachés.
  • Que la durée du détachement n’excède pas 12 mois. La Commission recommandait une période de 24 mois mais la France y était opposée. Une extension de six mois supplémentaires était toutefois rendue possible à condition de motiver sa demande auprès de l’Etat d’accueil.
  • Que la réforme ne s’applique pas au secteur du transport routier. Celui-ci serait donc temporairement encadré par la directive de 1996, en attendant que d’autres négociations aboutissent sur ce dossier. L’Espagne, le Portugal et plusieurs pays de l’Est étaient très attachés à cette exemption.

Pourquoi cet accord n’est-il pas entré directement en vigueur ?

Chaque proposition législative de la Commission européenne est examinée à la fois par le Conseil des ministres européens (en l’occurrence du Travail) et par le Parlement européen. Ces deux institutions sont co-législatrices.

Par conséquent, les eurodéputés ont également travaillé sur le projet de révision de la directive, aboutissant après 18 mois d’âpres négociations à une position commune. Le rapport adopté par le Parlement européen le 16 octobre 2017 a été rédigé par la Française Elisabeth Morin-Chartier (ex-Les Républicains) et la Néerlandaise Agnes Jongerius (Parti travailliste).

Une phase de conciliation entre le Conseil et le Parlement et à laquelle a également participé la Commission européenne s’est ainsi ouverte à partir de novembre 2017 afin de trouver un compromis. De fait, sur plusieurs points, les institutions se trouvaient en désaccord :

  • La durée maximale du détachement. A la différence des ministres, les parlementaires européens s’étaient entendus sur une durée limite de 24 mois. En effet, pour les co-rapporteures du texte, il s’agissait d’un élément “symbolique” dans la mesure où la durée moyenne du détachement des travailleurs est de 98 jours.
  • L’incorporation ou non du transport routier à la directive. Les eurodéputés y étaient majoritairement favorables, contrairement aux ministres.
  • Le délai d’application de la directive. Le Parlement européen souhaitait que le délai habituel de 2 ans s’applique, alors que le Conseil s’était entendu sur un délai de 4 ans.
  • L’extension de la base légale de la directive aux droits sociaux. Le Parlement européen y était favorable, pas les ministres.

Quelles dispositions ont finalement été retenues ?

Le 1er mars 2018, à l’issue d’une nouvelle séance de négociations marathon, Mmes Morin-Chartier et Jongerius, ainsi que les représentants du Conseil et de la Commission, ont annoncé publiquement avoir trouvé un accord pour la révision de la directive sur les travailleurs détachés. Parmi les principales dispositions retenues, figurent :

  • La reconnaissance du principe “à travail égal, rémunération égale, sur un même lieu de travail” . Ce point ne soulevait pas de divergence particulière entre les deux institutions.
  • L’application des conventions collectives du pays d’accueil aux travailleurs détachés, qui pourront ainsi bénéficier des mêmes primes ou encore des mêmes remboursements que les nationaux. Ici également, les positions du Conseil et du Parlement n’étaient pas différentes.
  • La limitation à 12 mois du détachement. Le Conseil a ici obtenu gain de cause sur le Parlement.
  • La limitation à 2 ans de la durée de transposition de la révision de la directive. En la matière, la position du Parlement a été retenue alors que le Conseil préférait un délai de 4 ans.
  • L’exclusion du secteur des transports routiers du champ d’application de la directive. Un texte législatif européen spécifique, élaboré ultérieurement, encadre cette activité. Ici aussi, la position du Conseil a prévalu.

L’adoption formelle de la nouvelle directive sur le détachement des travailleurs a eu lieu le 29 mai 2018 : le Parlement européen, réuni en session plénière à Strasbourg, a approuvé le compromis trouvé avec le Conseil.

Ce vote est un marqueur politique de cette mandature 2014-2019 du Parlement européen. Il reflète les réalités sociale, économique et politique de l’Union européenne. Il donne une orientation claire vers une Europe plus sociale avec une concurrence plus saine entre les entreprises et de meilleurs droits pour les travailleurs. En votant en faveur de cet accord, le Parlement européen permet aux travailleurs d’avoir de meilleures conditions de travail tout en assurant une protection nécessaire pour les entreprises” , s’est félicitée Elisabeth Morin-Chartier.

Le transport routier, exclu de cette réforme, a fait l’objet d’une proposition distincte de la Commission européenne. Nommée “Paquet mobilité” , cette proposition a été formulée en mai 2017. Après trois ans d’âpres débats, le Conseil de l’UE est parvenu à un accord en première lecture le 20 février 2020, et le Parlement européen l’a approuvée le 9 juillet 2020. Là aussi, la réforme a fait face à l’opposition virulente des pays de l’Est.

Cette révision prévoit notamment de renforcer la lutte contre la fraude et les établissements “boîte à lettres” . Le Paquet mobilité impose notamment aux entreprises de rémunérer les conducteurs aux conditions du pays d’accueil. Il encadre également la durée des détachements en imposant un retour régulier des conducteurs détachés dans leur pays d’origine, et en instaurant un délai de carence avant que le conducteur puisse effectuer des opérations de cabotage (par exemple, un transporteur hongrois effectuant une livraison entre son pays et l’Allemagne devra attendre quatre jours avant de pouvoir effectuer de nouvelles opérations limitées au territoire allemand).

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