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Qu’est-ce que “l’Europe à plusieurs vitesses” ?

Le 25 mars 2017, les dirigeants européens ont prévu d’adopter une déclaration sur l’avenir de l’Union européenne, lors d’un sommet consacré au 60e anniversaire du traité de Rome. Plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement, en particulier François Hollande et Angela Merkel, souhaitent y faire figurer le projet d’une “Europe à plusieurs vitesses”, une option à laquelle le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker paraît également favorable. Si pour certains elle serait le signe de la fin de l’Union, d’autres y voient l’unique moyen de poursuivre la construction européenne.

Qu'est-ce que

Que signifie “Europe à plusieurs vitesses” , ou à “géométrie variable” ?

L’expression “Europe à plusieurs vitesses” est généralement utilisée pour désigner une construction européenne dans laquelle tous les Etats membres ne participent pas à l’ensemble des politiques communes.

Tout en partageant certaines valeurs et règles fondamentales, les Etats qui ne souhaitent pas prendre partie à l’une des politiques peuvent choisir de s’en exclure.

Dans une acception plus large, l’Europe à plusieurs vitesses peut aussi impliquer que certains Etats désireux de participer à une politique commune n’en aient toutefois pas la possibilité car ils ne répondent pas (encore) aux critères requis. C’est le cas pour certains pays hors zone euro ou espace Schengen.

L’Europe à plusieurs vitesses peut également être désignée par les expressions “Europe à deux vitesses” , “Europe à géométrie variable” ou encore, de manière plus péjorative pour les tenants d’une Union intégrée, “Europe à la carte” .

L’Europe, déjà à plusieurs vitesses ?

Si certains souhaitent qu’elle se développe davantage, “l’Europe à plusieurs vitesses” est déjà une réalité. En témoigne l’existence de la zone euro, à laquelle 4 Etats membres ont fait le choix de ne pas appartenir (5 autres Etats sur les 28 ayant vocation à y appartenir lorsqu’ils auront rempli les critères en ce sens), ou encore celle de l’espace Schengen , auquel 2 pays de l’UE ont également choisi de ne pas participer (4 autres ayant vocation à y entrer).

Les différents “cercles” de l’Europe

Source : Livre blanc sur l’avenir de l’Europe © Commission européenne (2017)

Du point de vue des modes de décision au niveau européen, “l’Europe à plusieurs vitesses” est aussi une réalité. Des outils institutionnels permettent déjà une intégration différenciée des Etats membres.

L’abstention constructive

L’abstention constructive permet par exemple aux Etats membres qui ne souhaitent pas s’associer à une décision nécessitant l’unanimité (donc dans des sujets considérés comme “sensibles” comme la politique étrangère ou la citoyenneté), de s’abstenir au cours du vote au Conseil européen ou au Conseil, sans pour autant empêcher l’adoption de la mesure. Si une “déclaration formelle” accompagne l’abstention, l’Etat membre n’a pas à l’appliquer, bien que tous ceux qui l’ont voté sont tenus de l’appliquer.

Par exemple, Chypre s’est abstenue de participer à la mission EULEX Kosovo lié à la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), mise en place fin 2008.

La coopération renforcée

Depuis le traité d’Amsterdam en 1997, les Etats membres peuvent aller encore plus loin dans l’intégration différenciée à travers la coopération renforcée. Cette procédure permet à un minimum de 9 Etats de poursuivre une politique commune sans y associer les autres membres de l’UE. Le Conseil doit accorder son autorisation pour que la coopération renforcée, sur proposition de la Commission européenne, soit appliquée, après avoir été approuvée par le Parlement européen. La première coopération renforcée est mise en œuvre depuis décembre 2010 en matière de droit applicable au divorce, par 14 Etats membres. Dans le domaine de la propriété intellectuelle, un brevet européen a été mis en place par une coopération renforcée entre 25 Etats membres en février 2013. Seules l’Espagne, l’Italie et la Croatie se sont tenues à l’écart, pour des raisons linguistiques.

L’opting-out

Enfin, des options de retrait dans l’Union européenne, ou “opting-out” en anglais, également qualifiées de droits de “non-participation” , peuvent être négociées par les Etats membres quand de nouvelles politiques communes sont décidées, afin de ne pas y participer et ainsi éviter une impasse politique.

Différentes options de retrait ont été accordées à plusieurs Etats membres au cours de la construction européenne. Quatre Etats membres en ont négocié : le Royaume-Uni, le Danemark, l’Irlande et la Pologne. A titre d’exemple, lorsque l’espace Schengen a été intégré dans les traités européens à Amsterdam en 1997, les Britanniques et les Irlandais ont obtenu une option de retrait leur permettant de ne pas faire partie de cet espace, contrairement à tous les autres Etats membres de l’époque.

Le Danemark a, quant à lui, bénéficié de quatre options de retrait après le rejet par référendum du traité de Maastricht en 1992, concernant l’espace Schengen, l’Union économique et monétaire, la politique commune de sécurité et de défense ainsi que la citoyenneté européenne (qui a été rendue caduque par l’adoption du traité d’Amsterdam en 1997) . Les Danois ont ensuite approuvé la version modifiée du traité, comportant les quatre options de retrait, au cours d’un deuxième référendum en 1993.

Le Royaume-Uni a également négocié une option de retrait en ce qui concerne l’Union économique et monétaire, qui a été instituée par le traité de Maastricht instaurant la zone euro, à laquelle tous les Etats membres sont tenus d’adhérer lorsque leur économie est considérée comme suffisamment robuste.

Si le Royaume-Uni et le Danemark ont négocié leur non-participation à la zone euro, la Suède l’a obtenue de facto en n’intégrant pas le deuxième Mécanisme de taux de change européen (MCE II), une des cinq conditions nécessaires pour faire partie de la zone euro, bien que son économie le lui permettrait.

Il est à noter que des Etats n’appartenant pas à l’UE participent à certaines de ses politiques, ce qui peut donc être considéré comme une autre illustration d’une “Europe à plusieurs vitesses” . A titre d’exemple, l’espace Schengen compte 4 Etats qui ne sont pas membres de l’UE : l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse.

L’UE peut-elle aller plus loin dans cette voie ?

Si les Etats membres décidaient d’aller plus loin dans cette voie, l’architecture institutionnelle de l’UE pourrait à l’avenir être modifiée plus ou moins en profondeur, en fonction de la définition choisie pour l’Europe à plusieurs vitesses.

En l’état actuel des choses, sans aucune modification des traités, les coopérations renforcées pourraient être multipliées. Le problème est que sur certaines politiques communes déterminantes pour l’avenir de l’UE, les décisions doivent être prises à l’unanimité. C’est notamment le cas de la politique étrangère et de sécurité commune, ce qui bloque depuis plusieurs décennies la naissance d’une réelle Europe de la défense.

La mise en place d’une “Europe à plusieurs vitesses” efficace pourrait aussi passer par un changement de traité, réadaptant le processus décisionnel au niveau européen. L’idée serait de laisser davantage la possibilité aux Etats membres qui le souhaitent de poursuivre des objectifs communs avec d’autres, sans pour autant engager l’UE dans son ensemble.

Pour qu’un tel système fonctionne, beaucoup soulignent la nécessité d’améliorer la gouvernance des sous-ensembles existants déjà au sein de l’Union. Un gouvernement de la zone euro, détaché des prérogatives nationales, pourrait peut-être ainsi permettre à l’eurozone de ne pas être déchirée entre des Etats membres aux intérêts divergents.

Quels seraient les avantages d’une Europe à plusieurs vitesses ?

Les partisans d’une Europe à plusieurs vitesses aboutie estiment qu’elle permettrait de surmonter les blocages institutionnels tout en rendant le processus de décision communautaire plus flexible. Selon eux, le fonctionnement actuel de l’UE ne permet que de parvenir à des “consensus mou” , à savoir des décision aux effets limités, qui ne permettent pas à l’Europe de réellement avancer. Cela permettrait d’accélérer la construction européenne et ainsi l’intégration des Etats membres participant à ces politiques communes. Les pays moteurs de l’UE pourraient, par la réussite de leurs politiques communes, alors inciter les Etats récalcitrants à les appliquer.

Un autre argument est qu’un tel système garantirait un meilleur respect du principe de subsidiarité, qui distingue les politiques qui doivent être menées au niveau national de celles qui doivent l’être au niveau communautaire . Les Etats membres pourraient ainsi librement choisir les politiques qu’ils ne peuvent réussir seuls et s’abstenir de participer à celles qu’ils peuvent pleinement assumer par eux-mêmes.

Et ses inconvénients ?

De l’autre côté, certains estiment que “l’Europe à plusieurs vitesses” creuserait les écarts entre Etats membres, qu’ils soient économiques (particulièrement en termes de développement) ou politiques (niveau d’intégration). Elle pourrait même être discriminatoire et conduire à l’exclusion de certains pays, malgré eux, des politiques communes. Cette crainte est notamment présente à l’Est.

Les opposants à une construction européenne différenciée y voient même une mise en péril du projet européen. Pour eux, une telle orientation conduirait les Etats membres à se soucier exclusivement de leurs intérêts nationaux, dans une Europe “à la carte” ou “self-service” , où l’unité de l’UE serait fortement compromise. Ils considèrent par ailleurs que “l’Europe à plusieurs vitesses” éloigne la perspective d’une Europe plus intégrée, à l’image de celle souhaitée par les Pères fondateurs. Celle-ci comporterait une définition moins restrictive de la majorité, dans laquelle les Etats accepteraient d’être mis en minorité lors des votes.

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