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Pesticides : l’UE doit-elle interdire le glyphosate ?

Le glyphosate est l’herbicide le plus répandu dans le monde et contenu notamment dans le Roundup de Monsanto (entreprise rachetée par Bayer en 2018). Utilisé depuis 1974, son autorisation a été renouvelée fin 2017 dans l’UE après des mois de discussions et sur fond de controverse scientifique sur son caractère potentiellement cancérogène. En janvier 2019, le Parlement européen a voté en faveur de procédures plus transparentes pour l’autorisation des pesticides en Europe.

Qu’est-ce que le glyphosate ?

Le glyphosate est une molécule de synthèse, utilisée le plus souvent comme herbicide (désherbant). Adjoint à d’autres produits, il permet l’élimination des mauvaises herbes sur les surfaces agricoles, industrielles (comme les chemins de fer) ou paysagères (parcs et jardins). Herbicide le plus répandu dans le monde, il est notamment et principalement contenu dans le Roundup, l’un des produits phares de la marque américaine Monsanto, rachetée par l’Allemand Bayer en 2018. En moyenne, entre 2009 et 2014, 680 000 tonnes de glyphosate ont été épandues chaque année dans le monde. Un volume qui a atteint 826 000 tonnes en 2014 selon une étude parue dans la revue Environnemental Sciences Europe, et environ 8 000 tonnes en France en 2016, selon une estimation réalisée par Franceinfo.

Pourquoi le renouvellement de l’autorisation du glyphosate a-t-il posé problème ?

Autorisé depuis sa création en 1974, le glyphosate suscite le débat depuis mars 2015. A l’origine de la controverse : son classement comme “cancérogène probable” par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence intergouvernementale sous l’autorité de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) des Nations unies. Or ce résultat a été contredit en novembre 2015 par une étude rendue publique par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).

Dans l’incertitude, de nombreux Etats membres ont refusé de renouveler l’autorisation du glyphosate dans l’UE, qui arrivait à échéance le 30 juin 2016 (la France et l’Allemagne préférant s’abstenir). Dans l’attente d’une nouvelle étude, de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) cette fois, la Commission européenne n’a ainsi prolongé l’homologation du produit que jusqu’au 15 décembre 2017.

Finalement publiée en mars 2017, la nouvelle étude rejette, à l’instar de celle de l’EFSA, le caractère potentiellement cancérogène du glyphosate. Toutefois, sa dangerosité potentielle n’est pas écartée. En effet, comme le dénoncent nombre de scientifiques, d’ONG et de personnalités politiques, les rapports du CIRC, de l’EFSA et de l’ECHA ne sont pas comparables. Alors que le premier se prononce sur les produits commercialisés, comme le Roundup, les deux autres n’étudient que le glyphosate seul, sans les adjuvants qui renforcent ses effets. De plus, lorsque le CIRC base son analyse sur des études publiques, l’EFSA et l’ECHA travaillent principalement à partir de données directement transmises par les industriels, dont Monsanto, ce qui rendrait leurs conclusions contestables.

C’est ce qu’a en tout cas dénoncé le scientifique américain Christopher Portier dans une lettre ouverte adressée le 29 mai 2017 à Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. “Autant l’EFSA que l’ECHA ont échoué à identifier tous les cas statistiquement significatifs d’augmentation d’incidence de cancers, dans les études menées sur les rongeurs” , écrit-il. Avant de préciser avoir décelé “huit cas d’augmentation d’incidence significative de différentes tumeurs” , qui n’apparaissent dans aucune des deux publications. En conséquence, M. Portier appelle l’EFSA et l’ECHA à “conduire leur propre analyse” .

Principales dates :
  • 1974 : Lancement du glyphosate.
  • Mars 2015 : Le CIRC juge le glyphosate probablement cancérogène.
  • Novembre 2015 : L’EFSA juge le glyphosate probablement pas cancérogène.
  • Juin 2016 : Les Etats membres ne s’entendent pas sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate en Europe.
  • Mars 2017 : L’ECHA juge le glyphosate probablement pas cancérogène.
  • Mars 2017 : Début des révélations relatives aux Monsanto Papers.
  • 27 novembre 2017 : Renouvellement de l’autorisation du glyphosate à la majorité qualifiée par les Etats membres.
  • 10 août 2018 : La justice américaine condamne Monsanto pour avoir contribué, par ses produits, au développement cancer chez un jardinier, créant ainsi un précédent judiciaire.
  • 15 janvier 2019 : Le tribunal administratif de Lyon interdit le Roundup Pro 360 au nom du principe de précaution.
  • 16 janvier 2019 : Le Parlement européen demande l’amélioration du système d’évaluation et d’homologation des pesticides.
  • Fin 2022 : Nouvelle date d’expiration de l’autorisation du glyphosate en Europe.

Qu’est-ce que les “Monsanto Papers” ?

Pour nourrir leur critique des études menées par l’EFSA et l’ECHA et pour soutenir la thèse de la dangerosité du glyphosate, les opposants au produit peuvent également s’appuyer, depuis mars 2017, sur les “Monsanto Papers” . Dans la mouvance des “Panama Papers” qui ont révélé au grand jour les pratiques d’évasion fiscale de plus de 200 000 sociétés, les Monsanto Papers désignent des documents internes à l’entreprise Monsanto rendus publics par la justice américaine dans le cadre d’un procès intenté par plusieurs centaines de travailleurs agricoles victimes de cancers qui pourraient être dus à une exposition au glyphosate. Ces documents internes révèlent que Monsanto s’inquiète depuis 1999 du caractère potentiellement cancérogène du glyphosate.

D’une manière générale, le glyphosate suscite autant la controverse aux Etats-Unis qu’en Europe. Au sein même de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), les opinions s’affrontent. En effet, le département chargé de l’évaluation des pesticides (OPP) estime que le glyphosate est “improbablement cancérogène” . Tandis que le département de la recherche et développement (ORD) soutient l’inverse, se basant sur des études portant sur des rongeurs et jugeant durement les résultats obtenus par l’OPP.

En juin 2017, Le Monde publie de son côté une enquête journalistique accablante basée sur les Monsanto Papers. Selon le journal, en réaction au rapport défavorable du CIRC, en mars 2015, l’entreprise américaine aurait entrepris une intense campagne de dénigrement des travaux de l’agence de l’OMS et des autres instituts de recherche susceptibles de déclarer le glyphosate cancérogène.

En octobre 2017, le second volet de l’enquête du Monde sur Monsanto fait état du recours massif, par la firme américaine, au “ghostwriting” . Il s’agit, selon le journal français, d’une “forme grave de fraude scientifique” qui consiste, pour une entreprise, à fournir texte et étude à un auteur scientifique pour qu’il les signe de son nom. L’auteur, fort de sa réputation, est alors publié dans des revues scientifiques, et touche une rémunération, souvent élevée, de la part de l’entreprise commanditaire. D’après les Monsanto Papers, sur lesquels s’appuie Le Monde, l’entreprise aurait eu recours à de nombreuses reprises à cette pratique à partir de 2015 dans le cadre d’une riposte organisée au rapport défavorable du CIRC.

Au-delà du ghostwriting, un épisode d’Envoyé Spécial diffusé sur France 2 le 17 janvier 2019 indique que Monsanto aurait aussi rémunéré des scientifiques de renom pour que ces derniers discréditent des études défavorables au glyphosate.

En août 2018, la justice américaine a rendu son premier jugement contre Monsanto, condamnant la firme à verser 289 millions de dollars à un jardinier atteint d’un cancer en phase terminale, attribué à son exposition aux herbicides Ranger Pro et Roundup Pro pendant deux ans. Les jurés ont estimé que Monsanto avait agi avec “malveillance” et que les produits de l’entreprise avaient été un “facteur substantiel” dans la maladie du plaignant. En octobre, le jugement a été confirmé en appel, avec une réduction des dommages et intérêts à 78 millions de dollars, ouvrant la voie à d’autres condamnations de ce type.

Etalage de Roundup

Dans quelles conditions l’autorisation du glyphosate a-t-elle été renouvelée ?

S’appuyant donc sur le rapport de l’ECHA, publié en mars 2017, la Commission européenne a finalement proposé une prolongation de l’autorisation du glyphosate jusqu’en 2027 aux Etats membres. Mais dans un contexte de doute généralisé quant à la dangerosité de l’herbicide, la proposition n’a pas été acceptée par une majorité d’Etats membres.

Dès janvier 2017, une initiative citoyenne européenne avait été lancée pour demander l’interdiction du glyphosate au sein de l’Union européenne. Conduite par des organisations issues de l’ensemble des Etats membres, elle a recueilli plus d’1,3 million de signatures d’Européens, dépassant ainsi le seuil de 1 million nécessaire pour inciter la Commission européenne à légiférer en conséquence.

En juin 2017, le Parlement européen a également demandé l’audition des représentants de Monsanto, tandis que quatre eurodéputés ont saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour obtenir les études sur lesquelles l’EFSA s’était fondée en 2015 pour considérer que le glyphosate n’était “probablement pas cancérogène” .

Mais in fine, c’était aux Etats membres de l’Union européenne que revenait le dernier mot s’agissant du renouvellement, ou non, de l’homologation du glyphosate. Une réautorisation pour dix années supplémentaires ne recueillant pas l’assentiment de suffisamment de pays, la Commission européenne a proposé une nouvelle licence de cinq ans. Les Etats membres étant fortement divisés, le vote a été repoussé à deux reprises en octobre et novembre 2017. Ce dernier s’est finalement tenu le 9 novembre 2017, sans qu’une majorité qualifiée - 16 pays représentant au moins 65% de la population de l’UE - n’émerge.

Le 27 novembre 2017, un comité d’appel a donc été constitué par la Commission européenne afin de demander une dernière fois aux Etats membres de se décider sur le renouvellement ou non du glyphosate. En dernier recours et en l’absence d’une majorité des Etats membres, Bruxelles avait la possibilité de décider seule, mais refusait d’assumer cette responsabilité. C’est à cette occasion qu’une majorité qualifiée a finalement été trouvée pour une nouvelle autorisation de cinq ans. Parmi les pays ayant changé leur vote par rapport au scrutin du 9 novembre figure l’Allemagne, qui a cette fois validé la proposition de la Commission. Un choix décisif dans la mesure où elle représente à elle seule plus de 16% de la population européenne.

La France, pour sa part, militait pour un renouvellement limité à trois ans et a maintenu son vote négatif. Après le renouvellement de la licence européenne, Paris a d’ailleurs répété sa volonté de “sortir” du glyphosate d’ici trois ans au niveau national, même si cette disposition ne figure pas dans la loi Agriculture et Alimentation, promulguée le 1er novembre 2018.

Quelles suites ont été données au renouvellement de l’autorisation du glyphosate ?

Une commission spéciale a été constituée au Parlement européen pour évaluer, d’un point de vue global, les procédures d’autorisation des pesticides au sein de l’UE. Présidée par le Français Eric Andrieu (PS), cette commission a rendu son rapport en décembre 2018 après un an de travaux. Adoptées par les eurodéputés le mois suivant à une très large majorité (526 voix contre 66), ses recommandations sont nombreuses : établir des procédures d’autorisation plus transparentes, lancer une étude épidémiologique sur l’impact sanitaire des pesticides, publier l’intégralité des études sur la base desquelles sont prises les décisions, financer la recherche indépendante, ou encore garantir l’indépendance des agences d’évaluation des risques. Autant de préconisations mettant en évidence les carences des procédures européennes actuelles.

Ces dernières ont d’ailleurs fait l’objet d’une nouvelle enquête extrêmement critique, commanditée par plusieurs eurodéputés et publiée le 15 janvier 2019. Selon elle, l’institut allemand BfR, qui avait été chargé d’évaluer la toxicité du glyphosate pour le compte de l’UE, a plagié des études industrielles dont celles de Monsanto. Plus de 50% des chapitres clés du rapport sur lequel s’était appuyée la Commission européenne pour proposer le renouvellement de la licence du glyphosate en 2017 auraient ainsi été plagiés. Et au total, plus de 70% seraient le fruit de copiés-collés. Pour les enquêteurs, “il est clair que l’adoption par le BfR, sans recul critique, d’informations biaisées, incorrectes ou incomplètes fournies par les fabricants [de glyphosate] a influencé la base même de son évaluation” .

L’interdiction du glyphosate pourrait par conséquent être à nouveau réclamée par les scientifiques, les ONG et une partie des responsables politiques européens, avant même l’expiration de sa présente homologation, qui court jusqu’à fin 2022. A cet égard, l’annulation de l’autorisation du Roundup Pro 360 par le tribunal administratif de Lyon le 15 janvier 2019, au nom du principe de précaution, a encore accru la méfiance vis-à-vis du glyphosate et la pression sur les pouvoirs publics.

Existe-il des alternatives au glyphosate ?

A l’heure actuelle, le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé dans le monde, tandis que le Roundup détient une situation de quasi-monopole sur le marché. Dans ces conditions, aucune alternative n’existe pour permettre un éventuel remplacement immédiat du glyphosate.

Marc Tarabella, eurodéputé socialiste belge, le confirme : “des alternatives existent, mais elles ne sont pas commercialisées à cette échelle” . L’une d’entre elles, récemment validée aux Etats-Unis, viendrait d’ailleurs également de Monsanto. Pour Angélique Delahaye, députée européenne française membre des Républicains, il est donc urgent que l’Europe et les Etats membres “mettent de l’argent sur la table” pour développer des produits alternatifs au glyphosate.

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1 commentaire

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    lombard-farille

    non, pas besoin d’un produit de substitution !
    Climat, biodiversité, épuisement des terres, empoisonnement de l’air et de l’eau : l’agriculture doit faire sa mutation, le moment est venu de supprimer les herbicides. Si certains le font les autres le peuvent.
    A condition de soutenir les agriculteurs qui sont toujours les victimes et les lissés pour compte.