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Piotr Maciej Kaczynski : “Clamer que la Pologne est russophobe n’est plus d’actualité”

Le 4 juillet, la Pologne se rendait aux urnes pour le dernier tour de l’élection présidentielle provoquée par la tragique disparition du Président Lech KaczyÅ“ski dans un accident aérien à Smolensk. Au terme d’une campagne électorale marquée par cette tragédie, le candidat modéré BronisÅ’aw Komorowski de la Plateforme civique (PO) s’est imposé face à JarosÅ’aw KaczyÅ“ski, candidat du parti Droit et Justice (PiS). A sa prise de fonction, M. Komorowski a démissioné de son parti, la Plateforme civique, pour devenir ” le Président de tous les Polonais “. Piotr Maciej Kaczynski, chercheur au Centre for European Policy Studies à Bruxelles, analyse l’importance de l’élection de B. Komorowski et les changements politiques susceptibles d’intervenir durant son mandat.

Touteleurope.fr : L’Europe a-t-elle fait partie des grands enjeux de la campagne électorale présidentielle en Pologne ? Quelles ont été les thèmes dominants de cette campagne ?


Principaux partis politiques en Pologne :

La Plateforme civique (PO), dirigée par Donald Tusk, est un parti conservateur de centre-droit.
Droit et Justice (PiS), dirigé par Jaroslaw Kaczynski, est un parti nationaliste conservateur de droite.
L’Alliance de la gauche démocratique (SLD), dirigée par Grzegorz Napieralski, est un parti de centre-gauche.
Le Parti populaire polonais (PSL) est un parti centriste.
Piotr Maciej Kaczynski : L’Europe n’a certainement pas été un élément décisif du choix des électeurs. Dans la majorité des pays européens, la politique étrangère est rarement un enjeu des scrutins nationaux et la Pologne n’a pas fait exception. L’influence de l’Europe a toutefois pu se faire sentir jusqu’à un certain point lors de cette élection dans la mesure où l’électeur devait choisir entre deux candidats issus de formations rivales qui se disputent le devant de la scène politique depuis 2005.

La principale raison de la perte du pouvoir par le parti Droit et Justice en 2007 et à chaque élection ultérieure tient aux résultats des politiques qu’il a poursuivies à l’intérieur comme à l’extérieur et, en particulier, à une politique européenne souvent controversée. La période durant laquelle Droit et Justice était au pouvoir a laissé de mauvais souvenirs tant sur le front de la politique intérieure que sur celui de la politique étrangère. La tragédie de Smolensk a naturellement aussi joué un rôle essentiel puisque les élections, originellement fixées à l’automne 2010 ont dû être organisées au printemps /été et que la campagne a été marquée par la disparition du président Kaczynski.



TLE : L’élection de Bronisław Komorowski a-t-elle des implications pour les partenaires européens de la Pologne ? Quel est son programme en matière européenne ?


PMK : en Pologne, B. Komorowski est connu pour ses convictions pro-européennes. Il n’a pas à proprement parler un programme européen spécifique mais, contrairement à son prédécesseur, il ne s’opposera pas systématiquement à la politique du gouvernement. Il s’agit là d’un tournant pour la Présidence, fortement marquée par l’acharnement du président Lech Kaczynski à contrer les initiatives du gouvernement.

Nous avons par exemple vécu des conflits embarrassants concernant la représentation du pays à l’échelon international. Tout cela est maintenant derrière nous. La première visite du nouveau président a été planifiée en concertation avec le ministère des Affaires étrangères. Toutes les questions relatives au programme et aux destinations de ses visites officielles seront préparées en coopération avec le ministère des Affaires étrangères.



TLE : B. Komorowski rapprochera-t-il la Pologne de la Russie ? Son élection aura-t-elle des conséquences positives sur les relations entre l’Union européenne et la Russie ?


PMK : Les deux candidats, Komorowski et Kaczynski, avaient des vues analogues et soutenaient tous deux un rapprochement plus étroit avec la Russie. C’est une des conséquences de la réaction russe à la tragédie de Smolensk. La politique polonaise n’est pas animée par un enthousiasme débordant, mais bien par le pragmatisme plutôt que par la russophobie.

Il est clair qu’on ne peut plus parler d’une attitude russophobe de la Pologne. Les Polonais ne sont pas hostiles à la Russie et ne cherchent pas à saper les négociations européennes avec la Russie. La Pologne aimerait contribuer à rapprocher la Russie de l’Europe. Il ne s’agit pas pour la Pologne de devenir plus russophile, mais plutôt de convaincre la Russie de devenir davantage europhile !



TLE : Quelles politiques le nouveau président mettra-t-il en œuvre au niveau national ? Soutiendra-t-il l’introduction de mesures fortes de réduction et d’austérité budgétaires ?

PCM : Le défi est grand. Le gouvernement était en place depuis deux ans et demi et il restait donc encore un an et demi avant la fin de son mandat. Il tirait prétexte du véto qu’opposerait le président Kaczynski à ses propositions pour s’abstenir de prendre des mesures fortes. Il a désormais les mains libres. Reste que l’imminence des élections n’est pas de nature à encourager les décisions radicales. Un des engagements pris lors du dernier scrutin était que l’âge de la retraite ne serait pas relevé et que les retouches à la réforme des retraites seraient restreintes. Les mesures d’austérité les plus difficiles devraient toucher le domaine de la fiscalité indirecte, c’est-à-dire la TVA, et la chasse au gaspillage dans le système de santé. Les principales réformes visent la rationalisation la plus rapide possible du système de santé et la réduction d’autres prestations sociales. Des mesures d’austérité sont donc bel et bien proposées mais elles demeureront partielles en raison de l’échéance électorale de l’année prochaine.



TLE : Cette élection a opposé deux candidats de droite : la gauche a-t-elle un quelconque pouvoir en Pologne ?


PCM : Les partis de gauche pèsent de peu de poids en Pologne. Ils représentent environ 13 % de l’électorat. La gauche a proposé un candidat très jeune, à l’expérience limitée et qui doit encore gagner en maturité. Il est peu probable qu’elle réussira à aller au-delà de ce faible niveau. Comme les sondages l’avaient créditée d’un score entre 6 % et 9 %, elle a été satisfaite de ces 13 % qui l’ont ramenée à son niveau de 2007. Malheureusement, rien ne semble indiquer qu’elle pourra atteindre 20 %, niveau à partir duquel elle pourrait se poser en rivale des grands partis dans les villes ou, avec l’apport des couches les plus défavorisées, en rival de celui des deux grands partis de droite qui n’est pas au pouvoir.

Théoriquement, le vivier électoral de la gauche polonaise se trouve du côté des jeunes électeurs urbains et des couches défavorisées. Or les électeurs jeunes et moins jeunes votent d’abord conservateur ou libéral et rarement à gauche. Quant aux électeurs des couches défavorisées de la population, séduits par les valeurs conservatrices que porte le parti de Kaczynski, ils sont encore moins susceptibles de voter à gauche. Toute erreur du parti au pouvoir bénéficiera à l’autre grand parti de droite et non aux partis de gauche.


Les élections législatives ont davantage d’importance car le pouvoir exécutif réel est aux mains du gouvernement. Le président est très puissant puisqu’il peut exercer un droit de véto dont le président Kaczyński n’a pas manqué d’user et que Komorowski a pris l’engagement de ne pas utiliser. Il participera au gouvernement de manière constructive sans être impliqué dans la gestion directe du pays.

Le président ne peut pas être démis de ses fonctions : il est là pour orienter le débat et donner une orientation sur l’avenir de la société polonaise. Ce type de débat l’aidera à acquérir une stature politique au-delà d’objectifs politiques à court terme. Les prochaines élections législatives auront lieu durant la Présidence polonaise de l’Union européenne et peut-être pourra-t-on constater alors un lien plus marqué entre les questions européennes et les préoccupations d’ordre intérieur.

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Komorowski : le candidat libéral devient président de la Pologne - Touteleurope.fr

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