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Philippe Nardin : “Nous souhaitons donner plus de corps, plus de possibilités, plus de moyens dans le mécanisme européen de protection civile”

Colonel Philippe Nardin est Chef de la Mission internationale de la Direction de la Défense et de la Sécurité Civiles française. Il a coordonné le premier exercice de protection civile européenne, EURATOX 2002, et a participé depuis à d’autres simulations. Il est également intervenu dans des opérations réelles lors du Tsunami de 2004 et récemment au Liban.

“Au niveau opérationnel, lorsque vous mettez les équipes ensemble, il n’y a jamais de souci. Les gens ont l’habitude, souhaitent et veulent travailler dans la complémentarité, dès lors que les engagements sont clairs, que le respect est mutuel et que les capacités des équipes sont connues. Après, il n’y a pas de problèmes sur le terrain. ”

Les 27 et 28 octobre 2002, le premier exercice de protection civile de dimension européenne s’est déroulé en France au camp militaire de Canjuers (Var). Cinq autres pays ont participé à l’opération : l’Autriche, l’Espagne, la Grèce, l’Italie et la Suède.

L’objectif d’Euratox 2002 était de simuler les conséquences d’un attentat terroriste impliquant des matières radiologiques et chimiques.

Touteleurope.fr a interrogé le Colonel Philippe Nardin sur son expérience de terrain.

Colonel Nardin, vous avez commandé le premier exercice de protection civile européenne, EURATOX 2002. Quel bilan tirez-vous de cette opération ?

EURATOX 2002 fut le 1er exercice européen sur un thème très ciblé : le problème des attentats, dont la possibilité d’attentats de type NRBC .
Suite aux attentats du 11 septembre 2001, l’Union européenne et les Etats membres ont exprimé la volonté de travailler dans ce domaine et sur les conséquences d’un attentat majeur.

EURATOX a permis de mettre en œuvre, au niveau européen, un certain nombre d’équipes d’intervention provenant des différents Etats de l’UE, avec :
une coordination française puisque l’exercice avait lieu sur le territoire français ;
une coordination européenne dans le cadre du mécanisme européen de protection civile, activé par le Centre d’information et de suivi à Bruxelles, qui diffuse des informations permanentes à l’ensemble des pays.

Un certain nombre d’observations et de recommandations ont été émises à l’issue de cet exercice.

Les premières recommandations concernent la doctrine opérationnelle afin de mettre en œuvre, au niveau des Etats membres de l’Union européenne, des dispositifs de protection civile adéquats à chaque situation. Il faut à la fois une bonne complémentarité entre les services des sapeurs pompiers, de la protection civile et les services de la gendarmerie pour l’ensemble du dispositif.

Deuxièmement : la mise en place systématique d’officiers de liaison afin d’encadrer ces détachements européens. Cela a permis de ne pas être tributaires des moyens de transmission. Ces officiers ont pu se greffer sur leur propre dispositif. Ils étaient encadrés par un poste de commandement qui leur donnait des directives et qui suivait l’ensemble des détachements concernés.

Le troisième point a concerné l’intéropérabilité d’un certain nombre d’équipements.

“Lorsque le matériel n’était pas compatible, nous avons fait en sorte que les détachements travaillent sur des secteurs isolés, en autonomie avec leurs propres équipements, pour que chaque équipe fournisse les mêmes prestations.”

Le quatrième enseignement concerne la chaîne de remontée de l’information. En effet, dans le cadre d’un attentat, le pouvoir en place souhaite avoir des informations plus rapidement que tout ce qui peut remonter par la chaîne d’information classique. Il faut pratiquement dédier sur place une cellule d’autorité, ainsi qu’une énorme cellule presse.
Dans le cadre d’EURATOX, nous attendions près d’une centaine de journalistes (presse écrite, presse radio, presse télévisée…).
Mais l’exercice a débuté en même temps que la prise d’otages à Moscou et les problèmes de terrorisme NRBC. En réalité, nous jouions le même scénario que ce qui se passait en réel à Moscou.
De 100 journalistes au départ, nous nous sommes retrouvés avec près de 300 journalistes, ce qui nous a posé quelques soucis pour les canaliser.

Les journalistes faisaient des comparaisons avec ce qui était en train de se dérouler à Moscou. Des chaînes japonaise et allemande nous suivaient en permanence.

Cela nous a amené à gérer spécifiquement la presse pour ces grands événements, avec des dispositions particulières.

Et sur le plan humain, avez-vous senti que les équipes avaient vraiment envie de travailler ensemble ?

Au niveau opérationnel, lorsque vous mettez les équipes ensemble, il n’y a jamais de souci. Les gens ont l’habitude, souhaitent et veulent travailler dans la complémentarité, dès lors que les engagements sont clairs, que le respect est mutuel et que les capacités des équipes sont connues. Après, il n’y a pas de problèmes sur le terrain.

Une autre opération de protection civile européenne est-elle prévue en France ?

Euratox est l’opération la plus ancienne mais d’autres opérations ont suivi en 2003, 2004, 2005 et 2006.

A l’heure actuelle, au delà de la partie exercice, le mécanisme européen de protection civile fonctionne normalement.
Il a été activé depuis à plusieurs reprises et nous nous sommes retrouvés en engagement opérationnel sur le terrain.

“Le dernier en date a eu lieu en mai 2006, lors du tremblement de terre de Yogyakarta sur l’île de Java, en Indonésie, dans lequel la France, qui coordonnait le dispositif, a engagé des moyens en complémentarité avec d’autres pays.”

C’est donc quelque chose qui fonctionne bien.

Le dispositif a également été engagé sur les feux de forêt en Espagne. Même si nous sommes intervenus à la fois dans un cadre bilatéral et dans le cadre du mécanisme européen de protection civile.

Quels moyens la France met-elle à disposition de l’Union européenne pour intervenir dans les opérations de protection civile ?

Ce sont exactement les mêmes moyens que ceux qui existent déjà sur le territoire français. Il n’y a pas de duplication, il n’y a pas de force spéciale européenne de moyens. Ces moyens sont mis en oeuvre dans le cadre d’une mutualisation et d’une solidarité européenne, sur la base d’une décision des chefs d’Etat et de gouvernement prise suite aux attentats de Madrid en mars 2004. Lorsqu’un Etat est attaqué ou sinistré, c’est la totalité de l’Union qui est attaquée ou sinistrée, avec une obligation de réponse par mutualisation et respect de la souveraineté.

Il est donc possible aujourd’hui de mettre à disposition de l’Union européenne, en fonction de la situation opérationnelle en France, tous les moyens dont nous disposons, tout en gardant un volet de sécurité s’il faut faire face aux éventuelles interventions sur le territoire français.

Nous avons des équipes et du matériel d’intervention dans tous les domaines (feu urbain, feux de forêts, risques chimiques, radioactifs ou nucléaires, glissements de terrain…), susceptibles d’être mis à disposition de l’UE.

“La France peut, dans un délai très rapide et en cas de nécessité, détacher près de 500 personnes, en plus du matériel et des équipements.”

Vous revenez du Liban. Les opérations commandées par la France ont-elles été coordonnées au niveau européen ?

Le Liban est une opération particulière puisque nous nous trouvons dans le cadre d’un conflit.

Cela obéit à des règles d’engagement de moyens de protection civile qui passent à la fois par l’Union européenne, dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) et également par les Nations Unies, dans le cadre du protocole additionnel de Genève sur l’emploi des moyens de protection civile en situation de crise.
Nous sommes intervenus au Liban sur ces deux points.

Le premier sur toute la partie d’intervention ou de secours s’est traité en bilatéral, dans le cadre des Nations Unies et de la Croix rouge internationale : il n’y a pas eu d’intervention européenne sur cette partie, même si tous les rapatriements qui ont été réalisés ce sont faits bien évidemment sans distinction dans les deux camps.

Dans le cadre européen, nous avons surtout activé la force consulaire d’intervention européenne. La France y a joué pleinement son rôle, y compris son rôle de coordination en accord avec nos amis Finlandais, qui occupent actuellement la Présidence de l’Union européenne. Nous avons coordonné et mis en œuvre toute la phase d’évacuation des ressortissants européens avec les ambassades ou les consulats au Liban et surtout avec tous les postes diplomatiques basés à Chypre, puisque de nombreux rapatriements ont eu lieu à Chypre en ce qui nous concerne. En fonction des vols et des arrivées, la coordination s’est faite avec les ambassades concernées dans les pays européens.

Toute cette partie consulaire européenne a très bien fonctionné avec la Présidence finlandaise de l’Union européenne.

Comment se joue la complémentarité entre la PESC et l’ONU ?

” La complémentarité PESC/ONU a très bien fonctionné dans la mesure où nous étions dans un mandat des Nations Unies, qui prenait l’Union européenne comme base de travail. Cela n’a donc posé aucun problème.”

Aujourd’hui, comment voyez-vous évoluer la protection civile européenne ?

Je dirais qu’aujourd’hui, il y a une volonté d’avancer au niveau européen.

“Peut-être pas nécessairement avec la même vitesse, car il existe un décalage entre les pays du Nord et les pays du Sud.”

Les pays du Sud, qui connaissent malheureusement beaucoup plus de risques (feu de forêt, glissement de terrain, tremblement de terre…) que les pays nordiques, où les risques naturels se produisent rarement.

Les pays nordiques sont quant à eux beaucoup plus préoccupés par les risques industriels, par le risque lié à l’homme, si je puis m’exprimer ainsi, et tout ce qui est accident domestique. Ils n’auront donc pas obligatoirement, dans certains cas, la volonté d’avancer au même rythme pour arriver à un véritable mécanisme et surtout à une véritable capacité de renforcement de l’Union européenne en matière de protection civile.

Nous nous trouvons pour l’instant sur un cycle à deux vitesses, mais qui avance quand même assez vite pour tout ce qui est pays du sud, Europe centrale et autres, parce que nous sommes en permanence confrontés aux catastrophes.

Nous sommes actuellement en train de refondre le mécanisme européen de protection civile, lancé en 2001 dans le cadre de la Présidence française de l’UE.
Nous souhaitons aujourd’hui donner plus de corps, plus de possibilités, plus de moyens dans ce dispositif.

… dispositif de refonte qui passe notamment par les propositions de Michel Barnier

… qui passe notamment par les propositions que la France a faites dans un certain nombre de notes écrites de la Délégation française et qui passe aussi et surtout par ce que souhaite Michel Barnier, que nous soutenons totalement dans cette démarche.

“Même si, pour être très clair, la France soutient ces propositions qui ne sont pas des propositions françaises.”

Ce sont les propositions du Délégué spécial du président de la Commission européenne et du président de l’Union européenne en exercice, en matière de protection civile. Et la France soutient ces propositions.

Propos recueillis le 21/09/06

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