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Philippe Herzog et la construction de l’Europe : “une tâche infinie”

Philippe Herzog, le président-fondateur de Confrontations Europe, sort un nouveau livre intitulé “Une tâche infinie”. Pour Touteleurope.eu, il revient sur les sujets abordés dans son livre sorti aux éditions du Rocher ce jeudi 14 octobre. Il rappelle avec force que notre civilisation n’est pas française mais européenne.

Touteleurope.eu : L’Europe est-elle en crise d’identité ?

Philippe Herzog : Oui, pour moi c’est évident. Rappelons-nous que notre civilisation est européenne, il n’y a pas de civilisation française. Cette identité est le ciment de la vie commune des Européens. Or aujourd’hui elle se désagrège. Les Etats-nations ont mené un combat contre la civilisation européenne qui a abouti à la catastrophe du XXème siècle. Nous avons connu un magnifique sursaut de civilisation après la seconde guerre mondiale. Mais il est inabouti et remis en cause aujourd’hui.

D’une part, face à cette mutation qu’est la mondialisation, dont les dimensions positives l’emportent sur les négatives, l’Europe a le plus grand mal à redéfinir son identité et sa place parmi les régions du monde. Et d’autre part, nos démocraties sont très fragiles, le manque d’appropriation des enjeux européens se traduit par une indifférence dangereuse avec le risque de repli. Retravailler à l’unité culturelle de l’Europe est un impératif si nous voulons continuer de construire notre histoire, c’est une tâche infinie, écrivait Karl Jaspers. Si nous ne l’assumons pas, le déclin est assuré.

Touteleurope.eu : Comment créer un espace public européen qui ne soit pas seulement la somme des espaces nationaux ?

Philippe Herzog : D’abord il faut le vouloir. C’est nécessaire si nous voulons nous unir afin de répondre aux défis qui nous sont communs : réinventer notre modèle social et économique, réinventer la place de l’Europe dans le monde. Comment faire cela ? Essentiellement par la formation d’une nouvelle société civile européenne. Ça se joue actuellement sur nombre de terrains : une renaissance de l’éducation européenne dans nos écoles, une mobilité des travailleurs dans l’espace européen, une anticipation des restructurations et un changement de gouvernement des entreprises. Mais bien sûr ceci exige l’appui des institutions européennes. La consultation et la participation ont reculé de l’époque Delors à l’époque Barroso. Il faut revivifier le dialogue social et civique, et par exemple un pacte pour la réforme du grand marché serait une opportunité à saisir.

Mais l’espace public européen se crée tout autant à l’intérieur de chaque nation. Chaque gouvernement devrait être mis en devoir de favoriser l’appropriation des dossiers européens par les citoyens. Actuellement la politique européenne d’un pays comme la France est ultracentralisée. Depuis longtemps l’Etat n’assume pas ses devoirs d’information et d’éducation. Là aussi des opportunités s’ouvrent, comme par exemple le semestre européen pour l’élaboration en commun des politiques budgétaires serait l’occasion d’un débat public interactif.

Touteleurope.eu : Vous intitulez un de vos chapitres “Que reste-t-il du communisme” . Pourquoi ?

Philippe Herzog : Pour redéfinir une identité collective, il ne faut pas faire table rase de notre héritage. Et à cet égard, je pense que les apports du christianisme et, sur une échelle d’autant plus courte, du marxisme, ont été considérables. Bien sûr cet héritage comporte des échecs et même des tares. C’est ainsi que le marxisme-léninisme, ce projet politique fondé sur la dictature, a abouti au totalitarisme.

Créée en 1992, Confrontations Europe est une association non-partisane réunissant des dirigeants d’entreprises, des syndicalistes, des acteurs territoriaux, associatifs et politiques, des intellectuels et des étudiants de plusieurs pays d’Europe autour d’un engagement : la participation de la société civile à la construction de l’Europe.

Créée en 1992, Confrontations Europe est une association non-partisane réunissant des dirigeants d’entreprises, des syndicalistes, des acteurs territoriaux, associatifs et politiques, des intellectuels et des étudiants de plusieurs pays d’Europe autour d’un engagement : la participation de la société civile à la construction de l’Europe.
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Cela étant, il y a une vérité de Marx qu’il ne faut absolument pas perdre : une compréhension profonde de la dynamique du capitalisme, un refus de confier notre sort collectif à l’Etat (Marx n’était pas un jacobin) ; la volonté d’émancipation sociale des travailleurs. Alors que nombre de marxistes ont interprété celle-ci comme une invitation à la radicalité, je souligne que Marx donnait à voir les responsabilités individuelles et collectives d’assumer les défis de la productivité et de la production. J’en retiens, et c’était aussi le message des socialistes utopiques, que la participation des travailleurs à la gestion est une grande ambition pour l’avenir.

Touteleurope.eu : Vous proposez de passer un New Deal européen pour sortir de la crise. Sur quels piliers s’appuierait-il ?

Philippe Herzog : Observons tout simplement la situation actuelle : contrairement à ce qu’a dit le président de la Commission M. Barroso, nous sommes loin d’avoir fait le plus dur pour sortir de la crise, au contraire elle peut encore s’aggraver.

Des efforts sont engagés sur le front de la stabilité financière et de la consolidation budgétaire. Il y aurait beaucoup à en dire. La réglementation des banques par exemple peut être contournée et le sera si nous ne parvenons pas à durcir la réglementation des marchés, à changer la gouvernance des établissements, et à inventer un mécanisme qui fasse payer les investisseurs en cas de crise. Quant à la consolidation budgétaire, elle est indispensable mais elle doit être raisonnable. Les propositions actuelles de retour à 60% de la dette publique par rapport au PIB conduiraient à la récession. Pour réussir la consolidation budgétaire, il faut une réforme profonde de l’Etat et un nouveau contrat social.

Cela étant, actuellement l’Union ne marche que sur un pied, elle va tomber si son deuxième pied fait défaut : il faut construire une nouvelle croissance, et pas seulement stabiliser. Cela veut dire sans retard investir dans les compétences humaines et les biens publics, réhabiliter l’industrie. A cet égard, j’appelle à saisir deux opportunités : la rénovation du marché intérieur que va proposer Michel Barnier avec une grande détermination, et la réforme du budget européen où ici aussi la Commission s’engage positivement ; sans un véritable budget il n’y a ni stimulation, ni solidarité. Le New Deal consistera en un compromis historique qui assume ce chantier d’une nouvelle croissance, condition fondamentale d’une reprise de la confiance des citoyens.

Touteleurope.eu : Vous titrez votre conclusion “Violence ou partage” . Y a-t-il un danger de retour en arrière aujourd’hui ?

Philippe Herzog : Bien sûr. Comment ne pas voir que des potentiels de violence aggravée se manifestent ? A l’échelle du monde, pour sortir de la crise globale, nous avons besoin d’une coopération sans précédent, or les différentes puissances font de la résistance, c’est le moins qu’on puisse dire. Au niveau de l’Europe, les peurs des citoyens face aux défis de l’ouverture, de l’élargissement et de l’immigration par exemple, entrainent déjà des replis. Et dans nos sociétés les divisions, la recherche d’identités individuelles sans conscience du besoin d’une nouvelle identité collective ne vont pas sans des désillusions et des drames.

Je veux souligner aussi les limites de l’action pour les droits de l’Homme. Il faut être capable de reconnaître les diversités et de partager les traditions pour un nouvel universalisme. Il faut être capable de bâtir le co-développement et donc d’endiguer les tentations de la protection et du repli. Pour toutes ces raisons, mon livre fait appel aux forces spirituelles où qu’elles soient pour de nouveaux engagements, afin que les Européens se montrent capables d’œuvrer à un monde partagé pacifiquement.

En savoir plus :

le site de Confrontations Europe

voir la présentation du livre sur le site de Confrontations Europe

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