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Pervenche Berès : en Europe, “il faut que des voix résistent pour faire valoir ce que nous sommes”

Quel regard porter sur les 60 premières années de la construction européenne, célébrées le 25 mars prochain à l’occasion de l’anniversaire du traité de Rome ? Comment envisager les prochaines décennies alors que l’Union européenne tremble sur ses bases et semble fragilisée comme jamais ?

Pour répondre à ces questions, Toute l’Europe est allé à la rencontre de Pervenche Berès, députée européenne depuis 1994. Pour celle qui est née quelques jours avant la signature du traité de Rome en mars 1957, l’avenir de l’UE se jouera sur la capacité des Européens à “améliorer le fonctionnement de la zone euro”.

Pervenche Berès

Touteleurope.eu : Après 5 mandats de députée au Parlement européen, quel constat portez-vous sur 60 ans de construction européenne ?

Pervenche Berès : C’est la question d’une vie !

Je crois que la construction européenne a été un formidable espoir porté par les pères fondateurs après la Seconde Guerre mondiale. S’ils avaient imaginé ce que le monde allait devenir, je ne crois pas qu’ils auraient fait autrement. Quand on voit le poids relatif de l’Europe à l’échelle mondiale, on se dit que l’idée d’unir ce que sont aujourd’hui les Etats membres de l’Union européenne était la bonne. On ne l’a pas fait pour ça, on l’a fait pour empêcher que ne revienne la guerre entre la France et l’Allemagne. Mais aujourd’hui, on voit bien que la question qui compte c’est celle des Etats-continents.

Ce qu’ont fait les pères fondateurs pour construire pas à pas un Etat-continent “Europe” , était la meilleure des idées, si elle avait été menée à son terme, si cela avait bien marché. Je dis avec regret “si cela avait bien marché” , parce que je pense que cette idée est toujours d’une grande modernité et que malheureusement, au moment où l’on est rattrapés par une autre histoire, celle de l’émergence d’autres Etats-continents, nous devrions avoir cette force d’origine, celle des pères fondateurs, dont j’ai parfois l’impression qu’elle s’est perdue.



Cette interview s’inscrit dans le cadre de notre couverture du 60e anniversaire du traité de Rome. Découvrez notre dossier spécial

On manque de pères fondateurs ou de continuateurs aujourd’hui ?

A moins que ce ne soit de mères fondatrices ! Dans tous les cas, il nous manque cette alchimie très particulière qui fait que des responsables politiques nationaux sont prêts à s’engager dans une forme de dépassement national, en complicité avec des acteurs européens qui soient capables de jouer les passeurs. On parle toujours de la magie de la Commission Delors, mais c’est oublier qu’elle a bénéficié de l’engagement et du soutien de Mitterrand et Kohl.

Il ne faut pas être naïf : les grands hommes politiques, quand ils s’engagent dans ce type de dépassement du cadre national, c’est que cela coïncide avec leurs intérêts. Mais c’est justement la bonne combinaison pour faire avancer l’Europe. Il faut une certaine surface politique, une certaine vision, une certaine habileté. Aujourd’hui, je trouve que face aux nouveaux défis, qui sont à la fois technologiques, démographiques, politiques et géostratégies, l’Europe souffre trop de la maladie de ses Etats membres et réciproquement… Face aux nouveaux défis, les Etats membres ont du mal à projeter leur récit national et l’Europe souffre d’une stratégie des petits pas qui s’est enfermée sur la question du marché intérieur sans en mesurer les limites et alors que ses progrès l’obligeaient à poser la question politique.

A un moment, l’esprit s’est perdu en chemin ?

Oui probablement. Je vais prendre trois exemples.

D’abord la Politique agricole commune (PAC). A partir de 1974, on sait très bien que les objectifs de la PAC, tels qu’ils ont été définis au départ, sont atteints, et qu’il convient donc d’y réfléchir à nouveau. Mais vu de chacune des capitales, on a l’impression que le travail est terminé. Par conséquent, avant que l’on ne se mette vraiment à repenser une PAC, il a fallu des crises. A l’heure actuelle, nous sommes en train de nous engager dans un nouveau cycle, notamment sous l’impulsion de la France, au sein duquel on intègre beaucoup plus les questions de la biodiversité ou encore du respect de la nature. Mais ce processus prend tellement de temps qu’il peut être douloureux. Cela explique en partie que le monde agricole ne se sent plus suffisamment soutenu par Bruxelles.

Deuxièmement, j’ai très souvent souffert d’une espèce de divorce entre l’idée selon laquelle l’Europe ne peut avancer sans la France qui est un pays fondateur, et le fait que la France continue de considérer l’Europe comme un objet extérieur. Dans la vie politique nationale, cette distanciation vis-à-vis de ce qui se passe “à Bruxelles” n’aide pas à s’approprier le projet et à le faire évoluer. J’ai par exemple vu au cours de ce quinquennat le président de la République être à la fois extrêmement lucide sur l’état de l’Europe, et en même temps entravé par son analyse sur l’état de la France, ses propres paralysies et la difficulté anticipée de rouvrir le débat européen.

Enfin, troisième exemple, qui occupe l’actualité [interview réalisée quelques heures avant le vote du Parlement sur l’accord UE-Canada, dit CETA le 15 février, ndlr] : celui du commerce international. Lorsque Karel de Gucht [ancien commissaire européen au Commerce] lance, avec la complicité de M. Barroso, les travaux du TTIP, il veut y aller à la hussarde avec un agenda très libéral. Il n’écoute aucun des signaux qui lui disent que l’on est en train de passer d’accords de protection à des accords de précaution, et que ces accords changent de nature ; que l’on ne peut plus les négocier comme avant. Au contraire, ils avancent à marche forcée feignant de considérer que rien n’a changé et que l’on peut imposer au forceps la coopération réglementaire à des ensembles démocratiques. Quel gâchis !

En 2017, il y a le 60e anniversaire du traité de Rome, des élections en France, en Allemagne, aux Pays-Bas et peut-être en Italie. C’est le dernier guichet pour relancer l’Europe ?

Le président autrichien s’est exprimé devant le Parlement européen [le 14 février] et nous a donné une formidable leçon de résistance et de combativité. J’espère qu’elle pourra être entendue dans les capitales où se croisent les mêmes adversaires de la démocratie que ceux qu’il a eu à affronter [au second tour de l’élection présidentielle autrichienne, il a battu l’extrême droite de justesse]. Il a utilisé une image qui lui correspond bien en tant qu’élu écologiste : ‘couper un arbre, ça va toujours plus vite que de le voir pousser et de se préoccuper de son développement’. L’histoire de l’Union européenne est un peu à ce point de rendez-vous.

Le 60e anniversaire du traité de Rome est un événement important et il faut que tous ceux qui peuvent contribuer à en faire un succès le fassent. De ce point de vue-là, il est important que le Parlement européen apporte sa propre contribution, comme il le fait avec les trois rapports adoptés lors de la session de février, dont le mien, sur le budget de la zone euro. Toutes les portes ne sont pas fermées. Si Martin Schulz gagne en Allemagne, si un pro-Européen gagne en France…

Jean-Claude Juncker a récemment fait part de sa lassitude et de son intention d’arrêter le combat européen à la fin de son mandat de président de la Commission en 2019. Cet état d’esprit peut-il se propager ?

Le fait que Jean-Claude Juncker indique qu’il ne se représente pas, au moment où s’engage la deuxième moitié de son mandat, lui donne d’une certaine manière une plus grande liberté. Il pourra avoir les coudées plus franches pour avancer sur certaines propositions.

Pour ma part, j’appelle à l’esprit de résistance. Personne ne peut penser que les batailles qui sont devant nous seront faciles. Parce que nous sommes plus nombreux, parce que le monde est plus complexe, parce que notre mode de gouvernance a énormément changé. La logique avec laquelle la construction européenne a été mise en route, qui est celle du haut vers le bas, n’est plus d’actualité. Mais il faut que des voix résistent pour changer ce qui doit l’être et faire valoir ce que nous sommes.

Ce Vieux Continent a quand même été le lieu où on a pu porter, avec succès, la COP21. Certes la diplomatie française a été à l’œuvre, mais elle n’a pas réussi seule. Elle a réussi, car elle s’est appuyée sur un camp de base, l’Europe, qui a toujours été en avance sur ces sujets ; c’est cela qui s’est cristallisé. A l’heure où l’on dit le multilatéralisme moribond, cela donne des raisons d’espérer.

Pour l’élection présidentielle, votre parti est conduit par Benoît Hamon, qui propose, dans son programme, une alliance des gauches européennes. Croyez-vous en cette stratégie ? Peut-elle servir une relance de l’Europe ?

Qu’il faille d’abord réunir son camp avant d’aller parler aux autres, je pense que c’est une évidence. La question est : à quel moment passe-t-on au débat avec les autres ? A la fin, il faut entrer dans une discussion qui permette de trouver l’équilibre, car en Europe on n’a jamais raison tout seul.

De mon côté, j’ai été très frappée, au cours de la crise financière, par le fait que beaucoup d’Etats membres ont été individuellement la cible des marchés, chaque pays se battant seul avec son créancier principal. Je me suis alors demandée pourquoi ces pays n’organisaient pas entre eux une sorte de “mouvement des non-alignés” pour peser dans la négociation. De fait, une telle alliance aurait pour l’essentiel regroupé des Etats du sud et de gauche. Elle a fini par se mettre peu ou prou en place, mais après que le mal ait été fait. L’essentiel est qu’une telle alliance permettre d’améliorer le fonctionnement de la zone euro, pas d’y renoncer. C’est la tâche d’une gauche de gouvernement. L’euro est le maillon qui tient l’Union européenne ensemble.

Projetons-nous en 2027, au 70e anniversaire du traité de Rome. Si ça ne tenait qu’à vous, à quoi ressemblerait l’Europe ?

Je ne répondrai pas pour les Britanniques, car Mme Theresa May, poussée par les “durs” de son parti, a tiré toutes les conséquences du Brexit en réactivant, au XXIe siècle, le “splendide isolement” . Mais les Européens ne doivent ni être naïfs face au départ des Britanniques, ni céder à la tentation qui serait de ne pas aborder à 27 les sujets de division. Parmi eux, il y a l’inachèvement de l’Union économique et monétaire. Les pays actuellement non membres de la zone euro, qui sont légitimement attachés à l’Union européenne comme espace de protection à l’échelle mondiale, de libertés, de droits et d’échanges, doivent comprendre que la solidité de l’euro est essentielle. Ils doivent donc accepter que nous consolidions l’édifice et s’engager à rejoindre l’euro le plus rapidement possible.

D’ici la fin de cette année 2017, année d’élections dans beaucoup d’Etats membres, nous devons définir un bouquet de 4-5 priorités qui permettent d’avoir les 27 Etats membres à bord et qui dessine un chemin commun pour l’avenir.

Propos recueillis par Jules Lastennet

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