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Pauline Schnapper : “La classe politique britannique n’a pas fait la part des choses entre les coûts et bénéfices de l’immigration européenne”

A moins d’un mois des élections législatives, prévues le 7 mai, la campagne s’accélère au Royaume-Uni. Si les questions économiques et sociales font figure d’enjeu principal pour les électeurs, le thème de l’Europe est également présent. David Cameron, Premier ministre sortant, a en effet promis d’organiser un référendum sur la place du Royaume-Uni dans l’UE en cas de réélection. Une idée proche des positions radicales et antieuropéennes du UKIP, mais combattue par le Parti travailliste.

Pauline Schnapper, professeur de civilisation britannique contemporaine à la Sorbonne et auteure de plusieurs ouvrages, a répondu aux questions de Toute l’Europe et nous apporte son éclairage sur les enjeux européens des élections générales britanniques.

De droite à gauche : David Cameron, Ed Miliband et Nick Clegg

Touteleurope.eu : L’Europe est-elle au cœur de la campagne pour les élections générales britanniques ?

Pauline Schnapper : A première vue, la place de l’Europe dans la campagne n’est pas très importante. Il ne s’agit pas d’un des sujets dont on parle tous les jours dans la presse. Les débats tournent beaucoup plus autour des questions économiques et sociales, comme c’est souvent le cas dans ce genre d’élection. En revanche, je dirais que l’Europe est très présente en arrière-plan de la campagne, avec des références assez nombreuses, directes ou indirectes.

Par exemple, Ed Miliband, le leader du Parti travailliste, a été interpellé à deux reprises par des électeurs sur cette question à la télévision. On lui a demandé pourquoi il refuserait d’organiser un référendum sur une éventuelle sortie de l’Union européenne. Il a également essayé d’utiliser la question européenne pour rallier une partie des hommes d’affaires à sa cause en leur disant que s’ils veulent être sûrs de rester dans l’UE, il faut voter pour les travaillistes. Tony Blair a fait un prononcé un discours le 7 avril qui allait dans le même sens.
Et à cela s’ajoute bien sûr la place du UKIP dans la campagne, dont l’Europe est l’un des deux grands thèmes avec l’immigration (les deux étant d’ailleurs liés) et qui exerce une forte pression sur les Conservateurs.

David Cameron a promis un référendum s’il est réélu et qu’il échoue ensuite à modifier les traités. De quelles modifications s’agirait-il ?

Il est difficile de répondre à cette question. Lui-même s’est bien gardé de donner des indications précises à ce sujet et, surtout, sa position a évolué. Dans son discours de janvier 2013, au cours duquel il a promis ce référendum, il faisait allusion aux politiques sociales ou encore aux politiques de la pêche qu’il voudrait rapatrier au niveau national, alors qu’au cours des dix-huit derniers mois, le débat s’est davantage focalisé sur le sujet de l’immigration en provenance de l’Union européenne. Il a sous-entendu qu’il voudrait revenir sur le principe de libre-circulation, mais comme cela a été accueilli plus que froidement par la Commission et ses partenaires européens, au premier rang desquels l’Allemagne, il ne parle plus maintenant que de réduire l’accès aux prestations sociales pour les immigrés européens déjà présents, ce qui relève de la politique nationale.

Pauline Schnapper

Pauline Schnapper est professeur de civilisation britannique contemporaine à la Sorbonne et membre de l’Institut universitaire de France. Auteur de plusieurs ouvrages dont Le Royaume-Uni doit-il sortir de l’Union européenne ? (Documentation française - 2014), ses travaux portent sur la politique étrangère et européenne du Royaume-Uni, l’Ecosse ou encore le Pays de Galles.

Tout cela reste donc assez flou. Cette promesse de référendum était beaucoup plus une réponse à une situation de politique intérieure particulière qu’un acte tout à fait réfléchi. Par ailleurs, David Cameron n’a pas intérêt à se lier les mains vis-à-vis de ses partenaires européens en annonçant trop vite ce qu’il voudrait obtenir. Nous sommes par conséquent dans une incertitude assez grande.

David Cameron soutient que la libre-circulation coûte plus au Royaume-Uni que cela ne lui rapporte. Des études estiment le contraire. Qui croire ?

Je ne suis pas spécialiste de la question, mais, a priori, je fais plus confiance à des études scientifiques sérieuses qu’à un homme politique soumis à des pressions politiques bien identifiées. Je crois que l’échec, pas seulement de Cameron, mais de la classe politique britannique en général, est de ne pas avoir réellement fait la part des choses entre les coûts et les bénéfices induits de l’immigration européenne. Il y a donc au Royaume-Uni cette impression très largement partagée que l’immigration a coûté très cher, notamment sur le plan social et plus particulièrement dans les domaines du logement, de l’éducation et de la santé, oubliant qu’il y a aussi des bénéfices en termes de richesses créées ou de ressources fiscales pour l’Etat.

Si un référendum sur la place du Royaume-Uni dans l’UE avait lieu demain, quel serait le résultat ?

Les sondages, seules données dont on dispose, sont extrêmement changeants. Ce qui est clair c’est que l’opinion est très divisée. Il n’y a pas de majorité écrasante, ni dans un sens ni dans l’autre. A l’heure actuelle, les sondages indiquent que les Britanniques choisiraient probablement de rester dans l’UE, mais on ne peut savoir par avance ce que donnerait le résultat au terme d’un véritable débat et d’une campagne électorale. Si Cameron parvenait à obtenir une renégociation des traités, les électeurs seraient probablement encore plus nombreux à choisir de rester.

Admettons que Cameron soit réélu et qu’il parvienne à modifier les traités. Il ferait certainement campagne pour rester dans l’UE, mais le reste de son parti le suivrait-il ?

C’est une autre grande question ! Il est vraisemblable que non. David Cameron espère en effet une renégociation qui serait un succès pour lui. Dans ce contexte, il ferait campagne pour rester dans l’UE. Mais il y a fort à parier qu’une partie au moins des Conservateurs et les électeurs de UKIP trouverait cette issue insuffisante, quelles que soient les concessions obtenues. Actuellement, il y a quand même entre 80 et 100 députés conservateurs, soit environ un tiers du groupe parlementaire, qui ne verraient pas d’inconvénient à sortir de l’Union européenne.

Dans le cas d’une nouvelle coalition entre les conservateurs et les libéraux-démocrates, ces derniers, qui ne sont pas eurosceptiques, accepteraient-ils une alliance avec la perspective d’un référendum sur l’Europe ?

Tout d’abord, les libéraux-démocrates sont très mal partis dans cette élection. On leur annonce une déroute et ils pourraient se retrouver avec seulement 20 ou 25 députés. Cela ne ferait donc pas d’eux un partenaire de coalition très puissant, ni peut-être suffisant pour les Conservateurs. Cependant Nick Clegg [leader des libéraux-démocrates, ndlr], qui refusait jusqu’à présent l’idée même d’un référendum sur l’Europe sauf dans le cas de nouveaux transferts de compétences à Bruxelles, a annoncé qu’en cas de nouvelle coalition avec les Conservateurs, il ne s’opposerait pas à ce qu’un référendum soit organisé. En échange, d’après la presse britannique, il pourrait essayer d’obtenir d’autres concessions, comme le droit de vote des ressortissants européens vivant au Royaume-Uni. Clegg commence donc à modifier son discours en vue des résultats du mois prochain.

La City est plutôt contre l’idée d’un “Brexit” . Une sortie de l’Europe ne serait-elle en effet pas une erreur économique pour le Royaume-Uni ?

Je suis assez d’accord. Il y a une dimension idéologique extrêmement forte dans une partie de la classe politique : le UKIP et l’importante minorité eurosceptique du Parti conservateur. Pour eux, tout ce qui a trait à l’Europe est devenu négatif, au point qu’il est difficile d’avoir un débat rationnel sur l’impact économique de l’appartenance à l’UE. Beaucoup de représentants du monde des affaires ne partagent pas cette attitude et sont plus pragmatiques.

Les Travaillistes sont presque les seuls à combattre ouvertement l’idée du référendum. Sont-ils pour autant des europhiles convaincus ou s’agit-il plus d’une tactique politique ?

Les Travaillistes, depuis une vingtaine d’années, sont devenus réellement Européens, du moins à l’échelle britannique. Certes, vu du continent, si on analyse leurs discours sur l’Europe, cela parait tout à fait tiède. Ils sont critiques du fonctionnement des institutions, du déficit démocratique ou encore de l’euro. Mais sur l’échiquier politique britannique, ils sont extrêmement loin des conservateurs sur l’Europe.

D’une manière générale, on a l’impression que David Cameron a abandonné le terrain, non seulement européen, mais international au profit de la France et de l’Allemagne. Est-ce délibéré ? Est-ce une erreur stratégique ?

C’est une critique qu’on adresse effectivement beaucoup à David Cameron depuis quelques mois. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une tactique délibérée. C’est d’abord une conséquence du fait qu’il se soit marginalisé en Europe. Sur des dossiers aussi cruciaux que ceux de l’Ukraine et de la Russie, il n’est plus au centre du jeu. C’est également un retour de bâton de la guerre en Irak. Durant l’été 2013, le Parlement britannique a voté contre une intervention en Syrie, alors que David Cameron était prêt à s’engager. L’échec de l’invasion en Irak a créé plus qu’une prudence, une réticence extrêmement forte des Britanniques à s’engager militairement à l’extérieur. David Cameron n’y est pour rien et a dû en tenir compte. Mais cela ne devrait pas avoir une grande incidence lors des élections du mois de mai. La politique étrangère ne joue normalement pas un rôle très important pour les électeurs, lors des législatives en tout cas.

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