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Pascal Perrineau : “Les démocraties européennes sont sous influence d’un courant ultranationaliste”

Pasacal Perrineau - DRPascal Perrineau dirige le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF). Ses travaux portent principalement sur la sociologie électorale, l’analyse de l’extrême droite en France et en Europe ainsi que sur l’interprétation des nouveaux clivages à l’œuvre dans les sociétés européennes.

Il a dirigé en 2005 l’ouvrage collectif “Le vote européen, de l’élargissement au référendum français” aux Presses de Sciences Po.

Belgique, Slovaquie, Pologne, France… Dans tous ces pays d’Europe, des formations populistes ou d’extrême droite participent aujourd’hui au gouvernement ou représentent une force politique majeure. Est-ce une coïncidence ou cela traduit-il un mouvement de fond ?

Cela dépasse la seule coïncidence. Le mouvement n’est d’ailleurs pas aussi récent qu’on veut bien le dire : depuis le milieu des années 80, on a vu réapparaître sur la scène européenne, à l’Ouest d’abord, à l’Est ensuite, des forces qu’on peut qualifier de nationales populistes. Ces forces ne sont pas complètement homogènes mais elles partagent des thèmes communs : hostilité à la construction européenne, préoccupation très forte par rapport à l’immigration et à la sécurité, angoisse identitaire.

Aujourd’hui, ce mouvement est en train de s’étendre et de s’implanter durablement dans certains pays comme la Belgique, la Suisse ou la Norvège. Les partis qui en sont issus participent à des gouvernements avec la droite, comme cela a été le cas en Autriche, aux Pays-Bas, et aujourd’hui en Pologne, mais aussi avec la gauche, comme en Slovaquie.

L’importance de ces formations dans le corps électoral fait qu’elles jouent un rôle important dans l’agenda politique, même dans des pays où elles ne sont pas au gouvernement - on le voit en France. Les démocraties européennes sont donc sous influence de ce courant ultranationaliste.

Toutes ces formations ont-elles noué des contacts au niveau de l’Union européenne ?

Il faut sortir des images médiatiques, de ce que certains appellent l’internationale “noire” ou “brune” . Par définition, il n’y a rien de plus difficile qu’une internationale des nationalistes. Au Parlement européen, hormis durant les deux mandatures entre 1984 et 1994, Jean-Marie Le Pen n’a jamais réussi à constituer un groupe rassemblant tout ou partie de ces formations nationalistes et populistes. A l’époque, ses alliés ultranationalistes italiens et allemands s’étaient opposés sur des questions de frontières.

A la suite des dernières élections européennes, le leader du Front national a pris des contacts avec l’ensemble de ces forces mais il a totalement échoué à former un groupe. Pour l’instant, ces formations sont éclatées entre les deux groupes à tendance souverainiste que sont l’UEN (Union pour l’Europe des Nations) et I/D (Indépendance/Démocratie), et les non-inscrits. Elles n’ont donc pas la capacité de peser sur la vie du Parlement européen.

Quand un tel courant électoral, populaire, qui traverse nombre de nos démocraties, ne trouve pas de débouché au niveau institutionnel, cela n’est pas vraiment sain. Cela renforce l’impression que ces groupes n’arrivent pas à se faire entendre, qu’ils sont exclus du jeu institutionnel et politique.

Quelle est la place dévolue à l’Union européenne dans le discours de ces formations ?

Ces forces ont besoin de présenter à une opinion désarçonnée des responsables en chair et en os, des “diables” . Cela peut être l’immigré, la finance apatride et bien sûr Bruxelles, qui joue un rôle dans cette démonologie. Beaucoup de leurs leaders disent : “ce qui vous arrive de pire dans votre vie de citoyen, sur le plan économique, social, politique, c’est la faute de Bruxelles” . L’Europe est présentée comme le cadre de la dissolution des nations, comme une puissance excessivement intrusive qui dissout les traditions, qui encadre les gouvernements nationaux et les diminue, qui gère les problèmes de loin.

On retrouve les extrêmes droites sur toutes ces thématiques, mais à des degrés divers. Le Front national va très loin dans la dénonciation, prônant la sortie de l’euro et, pourquoi pas, de l’Union européenne. Certaines forces régionalistes, les “nationalismes de la périphérie” (NDLR- Vlaams Belang, Ligue du Nord, etc.), ont un discours un peu plus modéré sur Bruxelles. La “Grande Europe” joue un rôle important dans l’imaginaire de certaines tendances néofascistes de l’extrême droite italienne, qui rêvent d’un élargissement vers la Biélorussie et l’Ukraine.

L’interprétation donnée par une partie de la gauche à la montée de l’extrême droite est celle d’une réaction des populations aux politiques libérales menées par l’Union européenne. Cette interprétation est-elle recevable ?

Je ne crois pas beaucoup à la pertinence de cette explication. Si l’on veut y voir plus clair, il faut en finir avec tous ces slogans, avec ce nouveau “démon” qu’est l’ultralibéralisme, que l’on voit partout, même dans des politiques qui le sont assez peu. Je me méfie de ces catégories qui aboutissent d’ailleurs à des choses extrêmement perverses, comme lors de la campagne sur le traité constitutionnel européen, où une partie de l’ultragauche s’est retrouvée sur les mêmes thématiques que l’ultradroite, dans ce qu’on pourrait appeler un social-nationalisme. C’est d’une partie de l’ultragauche qu’est venue la thématique du plombier polonais, une thématique extrêmement perverse dans laquelle la xénophobie n’est pas loin.

Pour ma part, j’explique les raisons du succès de ces forces par une triple crise européenne : crise de la modernité économique, crise de la modernité sociale et culturelle et crise politique.

La première crise naît du processus de globalisation, dans lequel le capitalisme industriel d’assistance, organisé autour de l’Etat providence, cède peu à peu la place à un capitalisme post-industriel plus individualiste. Cette mutation engendre des inquiétudes dans les franges les plus exposées des catégories populaires, inquiétudes qui ne s’expriment plus par un vote à gauche mais à l’ultradroite nationaliste et populiste. Certaines de ces formations proposent de réserver les mécanismes de l’Etat providence aux seuls nationaux, une thématique qui rencontre un véritable écho dans les milieux populaires.

Deuxième aspect de cette crise : nous vivons aujourd’hui dans des sociétés ouvertes, multiculturelles. Les personnes les mieux préparées se disent qu’elles ont plus à gagner qu’à perdre dans cette ouverture. Qu’elles soient de gauche ou de droite, elles se sont pour la plupart retrouvées dans le “oui” au traité constitutionnel européen. Les milieux les moins éduqués, les moins élevés dans la hiérarchie sociale, estiment au contraire qu’elles ont plus à y perdre qu’à y gagner, que l’heure est venue de bloquer le processus et éventuellement de revenir en arrière vers des logiques de recentrage national. Ceci est à l’œuvre dans une partie de la gauche, et bien sûr dans l’ultradroite nationaliste et populiste, qui en la matière a une longueur d’avance.

Troisième et dernier aspect : une montée de la défiance vis-à-vis de la représentation politique. On assiste depuis des années à une montée des comportements protestataires, de l’abstention, à un rejet des clases politiques accusées de tous les maux. Et là encore, l’extrême droite a une longueur d’avance, parce qu’elle a une capacité à politiser le rejet de la politique.

En 2000, l’Union européenne avait condamné l’Autriche parce qu’elle avait fait entrer l’extrême droite dans son gouvernement. Quelle est aujourd’hui la position de l’Union sur ce sujet ?

Il faut croire que l’Union européenne a tiré les conséquences de ce qui a été perçu comme une intrusion excessive dans les choix électoraux nationaux. On peut aussi se demander si la position de l’Union européenne a eu une quelconque efficacité, puisque le parti de Jörg Haider est resté jusqu’au dernier moment dans le gouvernement du chancelier Schüssel.

Et puis je crois que lorsqu’on intervient sur le terrain de la défense des grands principes de la démocratie pluraliste, il ne faut pas avoir d’indignation sélective. On ne peut pas simplement se méfier des forces d’extrême droite. Il est aussi permis de douter de certaines de forces d’extrême gauche, qui par le passé sont loin d’avoir montré leur attachement à la démocratie représentative pluraliste telle qu’on la conçoit en Europe.

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