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Parlement européen : le nouveau groupe d’extrême droite pourra-t-il peser ?

Trois semaines après le scrutin européen, soixante-treize eurodéputés d’extrême droite, menés par le Rassemblement national et la Ligue italienne, ont annoncé la création du groupe parlementaire “Identité et démocratie (ID)”. Un succès pour Marine Le Pen ? Quelle influence peut-il acquérir au Parlement européen ?

Marco Zanni (Ligue), président du groupe ID et Marine Le Pen, lors de la conférence de presse annonçant la création du groupe - crédits : Parlement européen (copie d'écran)
Marco Zanni (Ligue), président du groupe ID et Marine Le Pen, lors de la conférence de presse annonçant la création du groupe - crédits : Parlement européen (copie d’écran)

Certes, les partis populistes d’extrême droite et souverainistes ont moins progressé que prévu lors des élections européennes du 26 mai 2019. Pour autant, en France et en Italie, le Rassemblement national (RN) et la Ligue terminent la course en tête avec respectivement 23 et 34 % des voix.

Le 12 juin, 73 eurodéputés (ils seront 76 après le Brexit) ont entériné la création d’un groupe d’extrême droite au Parlement européen, intitulé Identité et démocratie (ID), dans lequel siègeront notamment les élus des deux partis. Une formation plus imposante que la précédente “Europe des nations et des libertés (ENL)” , qui comptait 36 membres à la fin de la législature 2014-2019.

Cette alliance est l’aboutissement d’une campagne menée depuis plusieurs mois par Marine Le Pen et le leader de la Ligue Matteo Salvini. Mais les partis qui la composent se retrouvent-ils sur les mêmes objectifs ? Et quelle influence le groupe pourra-t-il avoir sur les travaux de l’institution ? Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’IRIS et directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean Jaurès, répond aux questions de Toute l’Europe.

Que partagent les membres du nouveau groupe d’extrême droite au Parlement européen ?

Ces partis se rejoignent autour de certains dénominateurs communs, en premier lieu le populisme. Pour eux, la meilleure forme de gouvernement est celle qu’exerce directement le “peuple” , par la démocratie directe. Dans cette vision, ce peuple aurait conscience de manière naturelle de ce qui est bon pour lui, tandis que les élites sont présentées comme dévoyées, corrompues, déconnectées des réalités.

Ils partagent ensuite un élément nationaliste très fort : l’idée que la nation est la seule mesure du bien. Seul échelon légitime de décision, le pays possède un intérêt propre, qui doit toujours être défendu et est perçu comme naturellement opposé aux intérêts des ensembles supranationaux.

Quelle est leur vision de l’Europe ?

Ils partagent l’idée que l’Europe existe, mais en tant qu’espace civilisationnel. Pour eux, l’Union européenne est une création artificielle. Ce qui donne l’impression qu’ils ne souhaitent pas voir l’Europe s’imposer comme une puissance politique - face aux États-Unis ou à la Chine par exemple - en mettant en commun ses ressources, sa puissance économique, sa politique étrangère ou de défense. Autrement dit, être une puissance dotée de ses propres instruments.

Au fond, quand ils parlent d’ “Europe des nations” , ces partis ont un projet qui s’apparente à un retour à ce qu’était le marché commun dans les années 1960-1970 : des pays qui gardent leur souveraineté juridique et économique, et décident de monter des coopérations communes à géométrie variable dans certains domaines qu’ils définissent.

Les élections européennes ont-elles été un succès pour tous ?

C’est un résultat en demi-teinte. Certes, le groupe Identité et démocratie (ID), composé de 73 membres, double ses sièges par rapport à l’ancienne Europe des nations et des libertés (ENL - 36 membres). Mais 50 de ces 73 sièges sont ceux du RN et de la Ligue, qui effectivement sont arrivés en tête dans leurs pays respectifs. Le parti italien, qui gagne 18 sièges, est incontestablement le grand vainqueur de cette élection.

D’où viennent les 23 membres restants ? Du Vlaams Belang flamand, qui était déjà membre de l’ENL. De l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), auparavant dans le groupe Conservateurs et souverainistes (CRE) et qui s’est rapprochée de Marine Le Pen. Du FPÖ autrichien, déjà là lui aussi. Du parti tchèque Liberté et démocratie directe de M. Okamura, qui avait participé à plusieurs meetings aux côtés de la Ligue et du RN, donc ça n’est pas non plus une surprise. Du Parti du peuple danois, c’est une nouveauté car il siégeait auparavant avec CRE, comme les Vrais finlandais qui ont aussi rejoint ID. Le Parti de la Liberté (PVV) du néerlandais Geert Wilders, est toujours là. Les conservateurs estoniens de EKRE, pour la première fois représentés au Parlement, ont accepté de rejoindre ID.

Marine Le Pen et Matteo Salvini ont cependant échoué à attirer plusieurs groupes importants : le Brexit Party de Nigel Farage, les Espagnols de Vox, les Polonais de Droit et justice (PiS) et le Fidesz mené par le Premier ministre hongrois, M. Orbán.

Pourquoi ?

L’objectif de M. Farage, c’est d’assurer le Brexit immédiat, pour ensuite peser dans de probables législatives anticipées. C’est un agenda strictement national. Il ne veut pas vraiment nouer des alliances puisqu’il souhaite, le plus tôt possible, quitter le Parlement européen. Par ailleurs, M. Farage a certes durci son discours sur l’immigration et le multiculturalisme, mais sa matrice intellectuelle est le conservatisme britannique et non l’extrême-droite.

Les trois députés de Vox sont des partisans résolus du maintien de l’unité espagnole. Leur bête noire, ce sont les indépendantistes catalans et les nationalistes basques. Pour eux, il était donc invraisemblable de siéger avec les indépendantistes flamands de Vlaams Belang ou avec la Ligue qui est initialement un parti régionaliste antiunitaire italien.

En ce qui concerne la Pologne et la Hongrie, le président du parti Droit et justice Jarosław Kaczyński et celui du Fidesz Viktor Orbán appartiennent à la famille des conservateurs et passent leur temps à dire qu’ils ne sont pas d’extrême droite. Pourquoi se tireraient-ils une balle dans le pied ? Ils ont un modèle, la démocratie illibérale, et n’en font pas mystère. Mais idéologiquement, historiquement, ils ne sont pas d’extrême droite.

Par ailleurs, quand on est chef d’un gouvernement polonais, il est compliqué de siéger avec un parti allemand d’extrême droite : l’Histoire a laissé des traces en Pologne. Ou encore avec des partis qui font les yeux doux à la Russie, le voisin de l’Est dont les Polonais, toutes tendances politiques confondues, se méfient.

Enfin, le parti de M. Orbán compte 13 eurodéputés et n’a pas intérêt à quitter le Parti populaire européen (PPE), dont il n’a été que suspendu. En continuant d’exercer un bras de fer constant avec les conservateurs, il pourra obtenir un compromis pour garder sa ligne tout en ayant de l’influence. Et en écartant les critiques de l’Ouest lui reprochant d’être d’extrême droite.

Le groupe ID peut-il gagner en influence au Parlement ?

L’objectif de Marine Le Pen est d’obtenir au moins une présidence de commission parlementaire. Autrement dit que, en vertu des règles démocratiques, le “cordon sanitaire” instauré autour d’ENL ne soit plus justifiable.

Dans le cas contraire, ses membres utiliseront ce levier politique comme preuve du caractère non-démocratique des institutions de l’UE qu’ils dénoncent. Et en effet, la logique ne voudrait-elle pas qu’un groupe ayant recueilli un nombre significatif de sièges et donc de voix obtienne un tel poste ?

Pour autant, une large majorité des députés au Parlement européen reste résolument pro-européenne et pourrait tout aussi légitimement s’y opposer.

Quoi qu’il en soit, le but des souverainistes de tout bord - du groupe ID ou les autres -, c’est de tenter de saper le système de l’intérieur. En essayant d’avoir une présidence de commission parlementaire donc, ou en comptant sur le fait que certains des futurs commissaires européens pourraient être davantage sur leur ligne - le Polonais, l’Italien ou le Hongrois éventuellement.

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