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Pablo Iglesias : un Bolivarien bientôt à la tête de l’Espagne ?

Universitaire, gauchiste et surtout Indigné, Pablo Iglesias a été officiellement élu, le 15 novembre, à la tête du mouvement Podemos. “Nous pouvons” dans la langue de Cervantes. Figure charismatique et maintenant leader incontesté, son ascension est fulgurante, pour ne pas dire autocratique. Un mot pourtant théoriquement antinomique avec l’ADN de Podemos. Gratifié de 27 % des intentions de votes pour les prochaines élections législatives en Espagne, ce parti de gauche radicale, antisystème, pourrait bien arriver en tête.

Pablo Iglesias

Podemos, parti de l’indignation

Pablo Iglesias et l’extrême-gauche en Espagne : interview de Juan Pedro Quinonero, correspondant du quotidien espagnol ABC à Paris

Pablo Iglesias et l'extrême-gauche en Espagne

Podemos est né dans la rue. Par un soir de mai 2011 sur l’une des plus grandes places de Madrid. L’atmosphère est étouffante : le mouvement des Indignés enchaine les rassemblements pour signifier son refus de l’austérité qui étrangle le pays. Presque trois ans plus tard, la situation n’a pas radicalement changé. Le taux de chômage se maintient autour des 25 % et la pauvreté se remarque partout en Espagne. Pas étonnant dans ce contexte que le parti Podemos, suite politique des Indignés, ait récolté environ 8 % des suffrages lors des élections européennes de mai 2014, envoyant à Bruxelles 5 eurodéputés.

Podemos a moins d’un an d’existence légale, mais c’est comme s’il faisait déjà partie des meubles en Espagne. Sa popularité ne cesse de s’accroître dans le pays, alimentée par une rigueur qui ne s’atténue pas, une croissance molle et surtout par les scandales de corruption qui décrédibilisent la classe politique traditionnelle. La bagatelle de 350 élus espagnols serait dans le viseur de la justice. Le gouvernement de Mariano Rajoy est conspué. Pour dire le moins, le terrain est favorable pour un parti se présentant comme une alternative antisystème.

L’extrême-gauche aux élections européennes 2014

L'extrême-gauche aux élections européennes 2014

Le 15 novembre dernier, les choses s’accélèrent encore avec l’élection de Pablo Iglesias à la tête de Podemos. Plus qu’une élection, un plébiscite. 88,7 % des voix ! Le vote sur Internet - le parti est à la pointe des nouvelles technologies - a marché à plein pour le désormais eurodéputé. Au passage, il a éliminé la concurrence avec détermination, menaçant même de quitter le mouvement s’il n’était pas élu. De toute façon, son charisme et sa popularité sont telles en Espagne que ses rivaux n’avaient aucune chance. Sur le papier, ces derniers sont pourtant plus proches du projet initial de Podemos, à savoir une “organisation très ouverte où tout le monde est son propre porte-parole” .

Personnalisation de pouvoir, programme politique flou

Le leadership de Pablo Iglesias, c’est précisément le contraire. Sous la houlette, Podemos devient “Pablemos” , une entité autocratique, pour reprendre les mots de l’hebdomadaire Marianne. Sa figure balaye les autres poids lourds du parti et la direction est presque exclusivement composée de fidèles. Ce serait d’ailleurs pour ne pas permettre l’émergence de personnalités parasites que Pablo Iglesias milite pour que Podemos ne participe pas aux élections municipales et régionales de début 2015. Officiellement, il s’agit de préparer les législatives, prévues en novembre de la même année.

De cet homme, devenu une quasi rock-star politique, on commence à en savoir plus. Enseignant-chercheur de formation, il donne des cours de sciences politiques à l’Université Complutense de Madrid, a rédigé une thèse sur les “mouvements sociaux post-nationaux” et se présente volontiers comme un disciple du sociologue italien Gramsci, dont le travail est populaire à l’extrême gauche. Ancien militant communiste et de l’aide gauche du PSOE - le parti socialiste espagnol - il est issu du sérail politique même s’il l’avoue rarement. Son programme politique peut se résumer en une formule : la “restructuration ordonnée” du système économique et politique espagnol.

Un vaste projet qui reste encore à préciser selon ses détracteurs, à commencer par la presse espagnole qui ne rate aucune occasion de l’écharper. Le grand quotidien El Pais a quasiment mis un contrat sur sa tête.

Unes de journaux espagnols sur Pablo Iglesias : Naissance d’une étoile ou Populisme mortel ?Quand ses propositions économiques ne sont pas taxées de simplisme ou d’irréalisme, ses idées politiques et sociales sont durement combattues. De fait, ses références et son admiration avouée des régimes bolivariens d’Hugo Chavez au Venezuela ou de Rafael Correa en Equateur ont effrayé. Pablo Iglesias, qui doit sérieusement travailler sa maitrise de la communication télévisuelle, est également resté très flou sur ses positions quant aux poussées régionalistes de la Catalogne et du Pays basque. Il prône une “Espagne des nations” , une pirouette qui n’a satisfait personne.

Vers la fin de la “transition démocratique” ?

Si sa volonté de mettre un terme à la période de transition démocratique qui a succédé au franquisme et qui a solidement implanté le bipartisme en Espagne est très clivante, Pablo Iglesias peut néanmoins compter sur le discrédit croissant vis-à-vis des partis de gouvernement. Elu en 2011 avec plus de 40 % des voix, le Parti populaire (conservateur) au pouvoir a vu ses intentions tomber à environ 20 %. Le PSOE arrive quant à lui régulièrement derrière Podemos dans les sondages. Les deux nouveaux scandales de corruption révélés ces dernières semaines ne font que renforcer le ras-le-bol espagnol et la tentation d’un choix radical en novembre 2015.

Dans son entreprise, Pablo Iglesias pourra compter sur le soutien de tous les mouvements similaires qui ont émergé partout où la crise a sévi en Europe. Syriza en Grèce. Le mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo en Italie. Ou encore le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon en France. “Nous vous regardons avec fraternité et amour” , a ainsi adressé le Français à son collègue du groupe de la Gauche unitaire européenne du Parlement européen. Tant que la crise ravagera le pays et que la classe politique espagnole ne sera pas sortie des scandales, Pablo Iglesias, son programme politique limité et son exercice solitaire du pouvoir, auront de beaux jours devant eux.

Et tant pis si, comme les militants l’avouent parfois, “on ne sait pas trop ce qu’il fera” s’il est élu.

Portrait réalisé en partenariat avec 28’ARTE

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