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Omar Ba : “l’Europe n’est pas la solution aux problèmes de l’Afrique”

Après “Soif d’Europe : témoignage d’un clandestin”, dans lequel il racontait son périple de trois ans pour émigrer en Europe, Omar Ba publie un nouveau récit. Dans “Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus”, il exprime ses désillusions face à une Europe qui se révèle loin du paradis imaginé, et dénonce ouvertement le mythe tenace d’un eldorado européen. Touteleurope l’a rencontré à l’occasion de la sortie de son livre.

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Omar Ba est né à Thiès au Sénégal. Arrivé en France en 2003 au terme d’un périple de 3 ans, il vit aujourd’hui en Ile-de-France. Dans “Soif d’Europe” , il relatait son voyage, de Dakar à Paris, balloté de pirogues en camions frigorifiques, refoulé plusieurs fois vers l’Afrique mais persistant à accomplir son voyage vers l’ “eldorado” européen.




“Aujourd’hui, je veux que mes amis entendent raison, qu’ils rêvent d’Afrique au lieu de fantasmer sur une Europe qui n’est pas comme ils l’imaginent”

Aujourd’hui, bénéficiant d’un titre de séjour en tant qu’étudiant, il constate avec amertume que son périple n’est pas terminé. Loin de goûter aux avantages promis, il apprend à vivre la dure condition d’immigré, faite de précarité et de désenchantements, sans logement décent, sans travail et parfois sans titre de séjour valable. Rentrer au pays ? Impossible sans faire honte à la famille et perdre son honneur : il faut penser aux proches restés au village et virer régulièrement une partie de ses maigres revenus.

A travers son témoignage, Omar Ba souhaite surtout dénoncer un tabou : l’effet dévastateur du mythe de l’eldorado européen, qui jette à la mer chaque année des milliers d’Africains portés par la promesse d’une vie dorée, et parfois les tue. Encore tiraillé par l’envie pressante de repartir et la nécessité de rester, il plaide pour que cesse ce mensonge meutrier et pour que ses amis et sa famille encore au pays “rêvent d’Afrique” . Enfin, l’auteur remet en cause l’école publique africaine, qui tournée vers l’Europe, dédaigne les réalités africaines et incite in fine la jeunesse diplômée à déguerpir.


Omar Ba défend ainsi l’idée d’une meilleure gestion des flux migratoires et fustige les politiques économiques qui favorisent l’expatriation des siens vers les pays les plus riches : “J’accuse ce discours de la poussée migratoire qui s’intensifie et qui, surtout, assassine.”

Omar Ba, qui êtes-vous ?

J’ai 29 ans, je suis Sénégalais. Je suis venu en France en 2003 pour faire des études, mais auparavant j’ai essayé de venir en Europe par des voies illégales, parce que je n’avais pas la possibilité de venir légalement. Aujourd’hui je suis en France, après être passé par l’Espagne pendant près d’un an. Je suis étudiant en sociologie et j’ai dernièrement travaillé pour une ONG, ce que j’ai justement suspendu pour faire la promotion de ce livre, pour transmettre le message que j’ai à transmettre aux Africains et aux gens qui s’occupent de l’immigration.


Quel est ce message ?

Le message, de façon très claire, c’est que j’ai eu l’impression de m’être trompé d’Europe quand je suis arrivé. Je me pose encore la question de savoir si c’est la même Europe qu’on me présentait quand j’étais dans mon pays, au Sénégal. Ce que j’essaie de faire passer, c’est que l’Europe n’est pas le paradis qu’on imagine de l’autre côté de l’Afrique.

Donc l’immigration tous azimuts n’est pas la solution aux maux de l’Afrique. En une phrase, c’est ça. On a beau demander à l’Europe d’ouvrir ses frontières pour les Africains, j’estime qu’à un moment donné, ce sont les Africains eux-mêmes qui doivent prendre en charge leur destinée, et que cette immigration massive vers l’Europe est une odieuse fuite en avant. Je pense qu’on retarde l’échéance, qu’on retarde les choses, qu’on n’essaie pas de voir la réalité en face, et que quand tout un continent a envie de déguerpir parce que sur place il ne pense pas avoir d’avenir possible, c’est très inquiétant.

C’est même aussi inquiétant que tous les maux dont souffre l’Afrique par ailleurs, notamment les dictatures et les guerres, si on a plus envie, si on a plus la possibilité de rêver en Afrique et de rêver d’Afrique, de rester en Afrique pour réussir en Afrique (parcequ’il y en a qui réussissent en Afrique et qui ne sont jamais venus ici !). Moi j’ai du venir en Europe et y passer quelques années pour me rendre compte que j’avais des tonnes de possibilités que je pouvais saisir dans mon pays, et que je ne les voyais pas ! Qu’est-ce que je voyais ? Je voyais l’Europe, je voyais l’exil, je voyais simplement l’émigration comme solution à mes problèmes. Et comment venir, tout simplement.



Comment êtes-vous arrivé en Europe ?

J’ai d’abord essayé de venir légalement, comme tout le monde, sauf que quand on veut venir légalement, il faut à la fois des moyens, il faut justifier de ressources suffisantes pour pouvoir vivre en Europe et un dossier solide à donner au service consulaire pour avoir un visa (or je n’étais pas excellent à l’école). De plus nous n’étions pas suffisamment informés sur la procédure légale, mais surtout sur la procédure illégale, il faut vraiment le savoir ! Parce qu’on estime que c’est plus simple et moins cher d’y aller illégalement ! Evidemment on entend dire qu’il y a des pirogues qui s’échouent et des gens qui meurent, mais on se dit que ce sont là des exceptions et que, de toute façon, il y a des gens qui y arrivent.

Je suis parti en pirogue le 5 septembre 2000, après avoir fait le tour de toutes les procédures légales supposées pouvoir m’ouvrir les portes de l’Europe. Et mon seul objectif c’était de partir… j’ai constitué un poids pour ma famille, pour mes proches, pour tout le monde. Je me sentais de trop, en fait, parce que quelqu’un qui ne part pas et qui ne réussit pas au pays, c’est quelqu’un qui a raté sa vie.

J’ai subi une pression sociale, psychologique, éducative aussi : parce que l’école participe beaucoup à forger l’image de cette Europe où tout va bien… Ce que nous apprenons à l’école, c’est ce qui marche en Europe et dans les pays du Nord… sans qu’on en voie les coulisses : on ne s’appesantit pas sur la dureté des batailles économiques, les récessions, les mauvaises passes de ces pays là, on ne voit que leur stade de développement avancé. De toute façon, à l’école, dans la société, dans les familles, on n’a pas de contre-information sur l’Europe. On n’a qu’une parole qui nous est transmise, selon laquelle l’Europe c’est l’avenir.

Donc à l’école par exemple, on apprend l’Union européenne, on apprend l’Alena, on apprend les institutions de tous ces pays-là. Moi je connaissais parfaitement comment fonctionnait le Parlement européen, la Commission, les eurodéputés… alors que dans mon propre pays, d’abord je ne votais pas, mais je connaissais également mal le fonctionnement des institutions.

Et cette façon-là de nous apprendre les choses était aussi une façon de nous dire que finalement, ce qui se passe se passe là-bas et pas ici. J’ai bien conscience qu’en nous apprenant ça, l’objectif des autorités est de nous faire comprendre que, ce que d’autres ont réussi à faire est aussi possible ici. Sauf que quand on peut aller en Europe, on ne perd pas son temps à rester en Afrique pour faire comme eux en Afrique ! Si tout marche là-bas et qu’on peut en profiter…


Que diriez-vous à ceux qui souhaitent émigrer en Europe ?

De toute façon on continuera à venir, mais quelqu’un qui veut venir en Europe doit d’abord réfléchir ! Moi je n’ai pas réfléchi quand je venais, mais je suis suffisamment averti aujourd’hui pour dire à une personne qui veut venir d’y réfléchir à deux fois. Légalement ou illégalement. Même quand on vient légalement, c’est une déchirure profonde, parcequ’on laisse une famille, on laisse des amis, on laisse une vie derrière soi. Et en plus on vient sur la base d’une fausse image qu’on se fait de l’Europe.

Moi je suis là depuis plusieurs années, et je sais que 90% de ce qu’on me racontait sur l’Europe (notamment sur le plein-emploi, sur la luxure, sur la fête, sur la possibilité d’avoir tout de suite un logement, de s’insérer très vite, de trouver tout de suite de l’argent et de pouvoir rentrer au pays)… est totalement faux ! Parce que je dois déployer 3 fois plus d’efforts qu’un autre… je ne dis même pas pour réussir, mais simplement pour m’installer en France. Là j’en suis encore à chercher à m’installer en France. Ca fait quand même quelques années que je suis là, mais je suis encore dans une situation précaire.

Et je veux partager cette expérience pour que les jeunes qui viennent ne perdent pas leur temps. Moi j’ai perdu 3 années clandestinement, 3 années de ma vie. Aujourd’hui j’ai le sentiment de perdre encore des années parce que je dois déployer 3 fois plus d’efforts qu’un autre. C’est cette perte de temps là que je veux éviter à tous ces gens qui ont envie de venir, et la déchirure de quitter sa famille aussi. Enfin, c’est aussi par amour pour l’Afrique que je dis aux jeunes de réfléchir ou même de rester en Afrique.


En quoi l’Europe que vous avez trouvée est-elle différente de celle que vous imaginiez ?

Je vais vous raconter une anecdote. Quand j’étais à Saint-Etienne avant de venir à Paris, j’étais étudiant et j’étais parti chercher du travail chez un primeur. Je lui donne un CV farfelu, et il me dit : “Est-ce que vous avez un projet professionnel?” Je suis tombé des nues ! Parce que mon seul projet de vie c’était de venir en Europe. Si je savais que je devais encore avoir un projet professionnel après être venu… j’y aurais réfléchi à deux fois.

Ce que j’étais venu chercher, c’était déjà un avenir, c’est-à-dire du travail, pouvoir entretenir ma famille… Je suis parti de mon pays par altruisme. Si cela ne tenait qu’à moi, je pourrais supporter ce que je vivais dans mon pays. Mais je devais soulager ma famille, mes proches (je suis le deuxième d’une famille de 9 enfants).

Quand je suis arrivé en Europe, je me suis pris une grosse claque, parce que ce n’était pas du tout ce que j’imaginais. Déjà je tombe sur des gens qui font la manche… et qui s’adressent à moi, en plus (j’étais relativement bien habillé, avec une chemise). Ca m’a déstabilisé !

Aujourd’hui je pense que j’ai eu la chance d’avoir ce déclic assez tôt, pour être parfaitement lucide. Je suis très vite devenu lucide quand je suis arrivé en Europe. Je me suis rendu compte qu’ici, comme en Afrique, c’est la vie. C’est différent mais c’est la vie. Des fois ça va, des fois ça ne va pas, et pour des gens comme moi, des fois ça ne va pas du tout ! Parceque je ne suis pas dans mon pays, parceque je suis un immigré, tout simplement. Et que je dois chercher les bases d’une nouvelle vie.

C’est ce que j’essaie d’expliquer dans ce livre (et là je me situe à un autre niveau par rapport aux polémiques sur l’immigration, les sans-papiers, les régularisations…), c’est, d’abord, pour tous ces gens qui ont envie de venir en Europe, que l’Europe n’est pas la solution à vos problèmes. Tous les développements du livre démontrent ça.

L’Europe n’est pas la solution aux problèmes des familles africaines, de l’Afrique, des pays africains. Il faut savoir que 80% de l’argent des immigrés va dans la consommation privée. Donc on fantasme sur le poids des immigrés et tout l’argent qu’ils envoient. On compare même avec l’aide au développement qui serait trois fois moindre que cet argent là, mais c’est de la rigolade !

On est face à un problème et on l’évite, et dans 20 ans, dans 30 ans, peut-être qu’on sera encore là à se dire qu’on s’est trompés. Je pense que les solutions à nos problèmes en Afrique, c’est à nous Africains de les trouver. Ce n’est pas en venant massivement ou en voulant venir massivement en Europe, ou en attendant de l’Europe qu’elle se bouge (bien qu’elle doive se bouger). Je pense qu’il y a un minimum qui nous incombe, mais ce n’est pas en déguerpissant tous que quoi que ce soit va s’enclencher.


N’est-ce pas aussi à cause de l’Europe si les conditions d’entrée et de vie des migrants y sont si difficiles ?

L’Europe est en train de faire une chose qui me semble tout à fait contre-productive, vis-à-vis même de l’Europe. Si je dois donner un conseil à l’Europe, c’est d’arrêter de construire cette Europe forteresse, qui a les mêmes effets que l’ouverture des frontières : on dit que c’est en ouvrant les frontières qu’on va créer un appel d’air et que tous les Africains, les pauvres, les miséreux du monde vont venir. Eh bien, le problème est que si on les ferme, même hermétiquement ou partiellement, c’est un autre appel d’air. Parceque si on ferme les frontières, l’Europe aura l’air d’une chasse gardée, et on aura encore des discours de plus en plus présents en Afrique sur le fait que l’Europe c’est le paradis, l’eldorado.

Ce que j’attends surtout de l’Europe, et je le demande solennellement, c’est qu’elle apporte son aide, dans le cadre d’une campagne de sensibilisation… je pense qu’il faut même une éducation nouvelle des candidats à l’émigration, notamment en Afrique, sur la vraie Europe. Et là l’Europe devra contribuer à casser son propre mythe, pour qu’on cesse d’y voir le paradis ! Vous voyez un peu la difficulté ?

Malgré les politiques d’immigration légale, l’immigration illégale continue à progresser. Donc la solution n’est pas de fermer les frontières. La solution est ailleurs : en Afrique.

Une autre chose que j’attends de l’Europe c’est qu’elle soit plus claire dans sa politique d’immigration, qui est vue en Afrique comme une politique anti-immigration (et pas seulement illégale). Et ça c’est un malentendu entre l’Afrique et l’Europe qu’il faut résorber par une plus grande discussion. Et, je m’attaque aussi aux responsables africains, qui doivent s’impliquer davantage dans cette gestion des flux migratoires. Je suis persuadé qu’il faut une gestion des flux migratoires. Mais ce qui me sidère c’est l’absence des responsables africains dans cette gestion. Quand on débat de l’immigration, c’est toujours en Europe, dans les pays du Nord, que le problème inquiète ou qu’il tracasse. Mais j’ai l’impression que ça n’intéresse pas les pays en voie de développement dont les gens partent. Le mutisme et le silence des pays africains, je les dénonce aussi dans ce livre.

Une gestion des flux migratoires n’est pas forcément une politique anti-immigration. De toute façon l’immigration on ne pourra jamais l’arrêter, ça fait partie du monde. Mais il faut une immigration organisée, basée sur la vérité, par sur des mirages, pas sur des mensonges, pas sur une conception des pays d’accueil comme des paradis, comme des sociétés nanties à tout point de vue.

Je veux que quelqu’un vienne en Europe en connaissance de cause… et légalement !

Quelqu’un qui comme moi va prendre une pirogue pour venir en Europe, et qui peut-être va rester au fond des océans… je suis pour qu’on lutte contre cette immigration là, de la façon la plus ferme possible. Et lutter contre cette immigration là ne veut pas dire s’attaquer aux migrants, qui sont des victimes. Je pense qu’il faut démanteler les réseaux de passeurs qui sont devenus sous-régionaux, régionaux, transafricains même. Car j’ai l’impression que l’Europe travaille surtout à se barricader. Alors que les solutions à ce problème là se trouvent surtout en Afrique.

Donc il faut des gens qui puissent décider à notre place, et interdisent de faire ça. Il n’ y a pas de sot moyen pour empêcher quelqu’un de mourir. C’est ça que j’essaie de faire passer.


Ne vous attendez-vous pas à des critiques de la part des Africains ?

En fait, je donne des mauvaises nouvelles, concernant l’Europe qui encore fait rêver des millions d’Africains. Mais j’ai le sentiment de faire ce que je dois faire. Je pense que je n’ai pas le droit de me taire, de ne pas partager ce que j’ai vécu avec des millions de jeunes qui peut-être vont rester au fond des océans. Parce qu’il faut savoir que personne n’en parle. Les médias en parlent pendant quelques temps, au creux de l’actualité, et après on passe à autre chose. Sauf que tous les jours il y a des jeunes qui risquent leur vie dans des embarcations de fortune pour venir en Europe. Je ne suis pas irresponsable au point de me taire, même si je vais me faire jeter en Afrique. Je ne me fais pas d’illusions, je sais qu’il y aura une grande hostilité de la part de beaucoup d’Africains qui vont me prendre pour quelqu’un qui fait la politique d’immigration de l’Europe. Mais cette accusation ne peut pas tenir, parce que je ne suis pas Européen !

Mon pays c’est le Sénégal, ce n’est ni la France ni l’Espagne ni l’Italie ! Je suis africain, j’aime profondément l’Afrique, et je ne veux pas même qu’un seul Africain meure en mer parce qu’on lui a raconté des conneries sur l’Europe. Si j’ai réussi à convaincre un seul Africain de ne pas risquer sa vie ou de ne pas prendre un billet d’avion pour venir sur la base de cette fausse image de l’Europe, j’aurai accompli ma mission.

Evidemment, je ne me fais pas d’illusions : les donneurs de mauvaises nouvelles ne sont pas très bien vus ! Mais le fait est que c’est la vérité. J’aurais bien aimé dire aux Africains, après quelques années, que l’Europe, c’est le paradis. Mais je ne peux pas donner cette bonne nouvelle là. Il faut arrêter de raconter des bobards aux Africains en leur racontant que l’avenir c’est ailleurs. Et c’est tellement ancré que personne n’a plus envie de réussir en Afrique, personne n’a plus envie d’entreprendre quoi que ce soit en Afrique. On dirait que l’Afrique hérisse les Africains !

Ils se diront : celui-là il a réussi, mais c’est tout à fait faux ! Aujourd’hui j’ai encore un titre de séjour qui ne me permet pas de travailler dans tous les domaines. Donc je suis encore un étranger, un immigré. Et je suis tout à fait fondé pour dire à d’autres immigrés ou à d’autres immigrés potentiel qu’il faut agir en connaissance de cause, et qu’il faut arrêter de jeter la faute sur l’Europe. Tout ce qui ne va pas en Afrique n’est pas la faute des pays du Nord, même s’ils en ont une grande responsabilité.

De toute façon les pays du Nord auront toujours une politique d’immigration. Ca a toujours été le cas, qu’on soit de droite ou de gauche. Il n’y a jamais eu des frontières ouvertes à tout le monde. Il faut arrêter cette hypocrisie aussi entre la droite et la gauche.

Il faut arrêter de rêver, et de penser qu’à un moment les pays du Nord vont ouvrir leurs frontières, et que tous les Africains vont venir s’installer. Ce serait le chaos ici comme là-bas, et c’est déjà le chaos là-bas parce que plus personne n’a envie d’y faire sa vie.

Quand je dis que je n’y crois plus, ça veut dire que je crois en l’Afrique. Je suis venu, j’ai vu et je n’y crois plus, car cela fait quand même plusieurs années que je suis là, et certains sont là depuis 30 ou 40 ans, et ces gens-là je les côtoie tous les jours, et ils me disent qu’en venant ici ils avaient tous envie de rester en France quelques années et de rentrer au pays. Sauf que l’échéance est retardée à chaque fois, parce qu’il faut prendre des crédits, s’installer, se marier… du coup, c’est l’ “enlisement” , c’est le mot qu’ils utilisent. Ils ont encore aller vivre en Afrique, aux côtés des leurs, parce qu’on n’est jamais mieux que chez soi ! Mas ils ne peuvent pas.

Et moi je suis en train de comprendre ce qu’ils ont essayé de me dire. J’ai toute ma famille au pays : mon père, ma mère, mes frères et sœurs, et je n’ai qu’une envie : c’est de vivre avec ces gens-là. Alors qu’ils ne peuvent pas venir, et ils ne veulent même pas. Parce que je les ai convaincus de vraiment faire leur vie là-bas, et de ne pas risquer leur vie pour venir en Europe, pour finalement vivre dans la nostalgie, la frustration, la discrimination, l’instabilité et la précarité.

Aujourd’hui mon titre de séjour peut être supprimé par une autorité compétente sans qu’elle aie à m’en donner les raisons. Donc tous ces gens qui me regardent, m’écoutent, doivent savoir, si ce sont des immigrés, que moi je suis un immigré. Je suis Africain, j’aime profondément l’Afrique. Si j’avais le minimum chez moi, je ne serais pas venu en Europe. Mais quand on vient en Europe, on a une vie à construire, on a une stabilité à chercher, au moins pour sa famille. Parce que si je ne travaillais pas en Europe, si j’en étais resté à ma frustration du début, je ne serais pas là aujourd’hui. Parce que je me serais fait expulser, et donc je n’aurais servi à rien. Je reste aussi pour ma famille. Si je rentre, ce sera aussi pour ma famille.


Quels sont vos projets pour les années à venir ?

Pour vous dire… cela corrobore absolument tout ce que je défends : je ne sais pas ! C’est complètement fou, mais encore aujourd’hui je ne peux pas dire ce que j’ai envie de faire. J’ai fait des études de sociologie, j’avais pour ambition d’enseigner un jour la sociologie au Sénégal. Mais j’ai suspendu la thèse parce qu’il me fallait travailler, pour vivre et pour payer mes études. Là j’ai suspendu cette thèse, que je vais reprendre de toute façon, mais mon objectif, qui a été bousculé quelques fois mais qui est resté, c’est vraiment d’enseigner la sociologie dans une Université d’Afrique. notamment au Sénégal. Ce qui me permettra d’avoir la possibilité de bouger un peu, avec des partenariats avec d’autres universités…

Cela aussi je le développe dans le livre : je veux que vraiment les étudiants en Afrique n’aient plus cette nécessité de quitter l’Afrique pour faire des études. Plusieurs dispositifs ont été mis en place sans fonctionner, mais il y a encore moyen de trouver des partenariats qui permettent aux étudiants de rester en Afrique et d’avoir accès à une éducation de qualité, notamment par l’Université virtuelle africaine qui est encore en cours…

De mon côté je prépare encore mon départ, même si je ne sais pas encore quand je vais partir, mais cette envie de faire ma vie en Afrique est constante chez moi. Je suis là en ce moment pour faire passer ce message, et je suis plus entendu en étant en France qu’en Afrique !


Parce que ce qui fait rêver, ce sont les médias, généralement occidentaux, qui montrent une image mirobolante de l’Europe, c’est Internet surtout (j’en parle dans le livre). Donc l’Europe est plus proche de nous virtuellement en Afrique, mais très éloignée en fait. Du coup on vit dans la frustration permanente de voir l’Europe tous les jours, dans les séries télévisées, dans les médias et sur Internet, sans pouvoir profiter de cette Europe qu’on nous monte. Cette façon là de présenter les choses est complètement orientée pour faire croire aux Africains que c’est la belle vie. Je ne sais pas si c’est conscient ou inconscient, mais c’est comme ça. Et dès qu’on parle de l’Afrique, c’est l’inverse ! Du coup, quand ici je regarde les médias, je me dis : de quelle Afrique parle-t-on ? Et desfois je doute même de mon envie de rentrer en Afrique, tellement on me présente ce continent avec un catastrophisme terrible.

La manipulation mentale passe par des canons médiatiques, virtuels, que moi-même j’ai envie d’utiliser pour justement dire autre chose, pour rétablir l’équilibre entre ce qui est vrai de ce qu’on dit de l’Europe et ce qui est faux, et montrer la vraie Europe : celle qui contient des SDF, des gens fauchés par la vie, des gens logés dans des conditions insalubres. Si je suis en Afrique, j’aurai beaucoup plus de mal à me faire entendre.

Omar Ba est l’auteur de “Soif d’Europe” , aux éditions du Cygne, et de “Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus” , aux éditions Max Milo. Diplômé de sociologie, il a du interrompre sa thèse pour travailler à plein temps dans une ONG qui favorise la mise en place de politiques éducatives adaptées dans 23 pays. Il est devenu un intervenant régulier dans les débats sur l’immigration.

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