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Olivier Costa : “Pour soumettre à nouveau le texte à référendum, il faudrait soit en retrancher quelque chose, soit y ajouter quelque chose”

Docteur en science politique, Olivier Costa est chargé de recherche au CNRS et Professeur à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, à l’Université libre de Bruxelles et au Collège d’Europe à Bruges. Chercheur reconnu, il est spécialiste du système institutionnel de l’Union européenne et des questions de démocratie et de légitimité dans l’Union européenne.

18 Etats membres ont ratifié le Traité constitutionnel et 2 ont rejeté le texte lors d’un référendum. Alors que la période de réflexion sur l’avenir du traité s’achève, le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, sous sa forme actuelle, est-il, à vos yeux, définitivement enterré ?

Il me semble tout à fait improbable que le texte soit adopté en l’état. Les pays qui ne l’ont pas encore ratifié sont peu disposés à relancer le processus (voir l’échec de la démarche de Mme Merkel auprès du Président tchèque) ; quant aux gouvernements français et néerlandais, ils ne sont absolument pas disposés à soumettre à nouveau le même texte à référendum, comme cela avait été fait en Irlande pour le traité de Nice. Cette option serait d’ailleurs très problématique d’un point de vue démocratique. La logique du référendum n’est pas de proposer encore et encore le même texte aux citoyens, jusqu’à ce qu’ils l’acceptent. Certes, les choix d’une génération ne peuvent lier les générations suivantes ; mais ce raisonnement impliquerait d’attendre encore au moins cinq ans.

Pour soumettre à nouveau le texte à référendum avant les prochaines élections européennes, il faudrait soit en retrancher quelque chose (la troisième partie relatives aux politiques ? Mais les 18 s’y sont opposés à Madrid), soit y ajouter quelque chose (un volet social ? Encore faudrait-il que la France et les Pays-Bas soient en état de faire connaître leurs attentes). Dans un tel cas, il faudrait par ailleurs reprendre le processus de ratification dans les 18 pays qui ont déjà validé le texte originel, ce qui ne sera pas nécessairement de tout repos.

Les gouvernements espagnol et luxembourgeois ont pris l’initiative de réunir à Madrid, le 26 janvier 2007, les représentants des 18 gouvernements qui ont ratifié la Constitution européenne. Quelles vont être, selon vous, les suites de cette réunion ?

L’histoire de l’intégration européenne des cinq dernières années a convaincu les spécialistes de l’Union européenne qui ne l’étaient pas encore que les sciences sociales sont totalement incapables de prédire l’avenir… Je m’en garderai bien. Je ferais toutefois deux remarques.

En premier lieu, la réunion de Madrid est avant tout une opération de communication - dans le bon sens du terme. C’est la première fois que les partisans de la Constitution (qui sont majoritaires dans l’Union, rappelons-le) expriment leur soutien à ce texte. Dans un contexte général de morosité et de pessimisme, c’est une bonne chose. Vu de France, on a parfois l’impression que tout le monde a tiré un trait sur le texte, que nous avons révélé à nos partenaires tous les travers de la construction européenne : c’est faux.

Il faut toutefois nuancer la portée potentielle de cette réunion. Tout d’abord, elle est purement informelle et n’a pas abouti à des conclusions très claires ; les “18” se sont contentés d’affirmer leur attachement à la Constitution et leur refus de l’adoption d’un traité plus modeste, recentré sur ses dispositions institutionnelles et sur la Charte des droits fondamentaux. Par ailleurs, compte tenu de l’histoire de l’intégration européenne, il semble totalement improbable qu’une relance puisse se faire sans la participation des sept pays qui n’étaient pas présents ou représentés (la Suède et le Danemark) à Madrid. Je pense tout particulièrement à la France et aux Pays-Bas, qui sont à la fois des membres fondateurs de la Communauté, des acteurs-clés de tous ses progrès depuis les années 1950 et les pays qui sont à l’origine du blocage.

La réunion de Madrid a néanmoins eu le mérite de rouvrir le débat et d’apporter un soutien marqué à la présidence allemande dans ses efforts pour relancer le processus constituant.

Le 11 janvier 2007, Josep Borrell, ancien Président du Parlement européen, a déclaré que “la suppression de la Partie III poserait problème car elle ne contient pas seulement des dispositions anciennes” . Etes-vous d’accord avec cette analyse ?

Josep Borrell dit vrai. La troisième partie est une réécriture de l’ensemble des dispositions des traités relatives aux politiques. Elle prévoit de nombreux aménagements, et notamment une extension du champ de la procédure de codécision et du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil qui est de nature à favoriser le fonctionnement de l’Union à 27 Etats ou davantage. Retrancher la troisième partie reviendrait à vider la Constitution d’une partie de sa substance et exigerait l’ouverture d’une nouvelle négociation sur la question des politiques de l’Union.


Pensez-vous qu’il soit possible - et souhaitable - de recommencer le processus constitutionnel à zéro, au besoin en convoquant une nouvelle Convention, comme le réclament certaines voix, notamment en France ?

Je crois que c’est un point de vue fantaisiste. Il fait fi à la fois de l’agacement qu’a suscité le rejet du traité en France et aux Pays-Bas chez nos partenaires, et des réalités européennes de 2007. Contrairement à ce que veulent encore nous faire croire les partisans du “non” , les conditions ne sont pas réunies pour adopter un “meilleur” traité ou une Constitution plus sociale. La négociation doit désormais s’opérer à 27, et non plus à 15, avec des pays d’Europe centrale et orientale peu pressés d’accroître le degré d’exigence des normes européennes, et qui s’opposent pour certains à tout renforcement des politiques sociales de l’Union.

Par ailleurs, les ratés du processus de ratification ont mis à jour des divergences profondes entre les Etats membres quant à leur conception de l’Europe, de ses frontières, de ses objectifs, de sa nature politique, de son régime. Il existe désormais des opposants déclarés à l’idée d’une constitution (la Tchéquie, la Pologne, le Royaume-Uni, et dans une moindre mesure le Danemark et la Suède, sans parler de la France et des Pays-Bas), ce qui n’était pas le cas à l’époque de la Convention sur l’avenir de l’Union.


Selon Angela Merkel, si les Etats membres ne parviennent pas, d’ici 2009, à trouver une solution institutionnelle, ce sera un “échec historique” . Partagez-vous cet avis ?

Je me méfie des Cassandre. L’histoire de l’Union est jalonnée de prédictions catastrophistes et d’appels à un sursaut. On a sans cesse annoncé le blocage de l’Union, sa désagrégation, or elle fonctionne toujours. Il reste que les progrès de l’intégration ont toujours été le résultat de la définition d’un objectif et d’une échéance ; en l’absence de leadership politique, cela permet de susciter une mobilisation collective.

L’échéance des élections européennes de 2009 me semble pertinente, dans la mesure où elle est de nature à mobiliser les citoyens sur la thématique européenne et leur donnera l’occasion, dans les pays où un nouveau traité ne sera pas soumis à référendum, de s’exprimer malgré tout. Il ne sera pas facile de boucler le processus d’ici là, mais je crois que les responsables nationaux et européens ont assez attendu. Ce calendrier n’aura toutefois de sens que si les négociateurs anticipent cette fois-ci l’éventualité d’un rejet du futur texte par un ou plusieurs Etats membres, et prévoient des dispositions ad hoc.

A l’heure actuelle, je crois que cinq options sont envisageables - et je laisse volontairement de côté celle, irréaliste, de la reprise à zéro de la négociation sur une Constitution d’essence fédérale :

1. le statu quo : comme l’a montré le premier rapport de l’Observatoire des institutions européennes (Elargissement : comment l’Europe s’adapte, Presses de Sciences po), les institutions ne fonctionnent pas si mal que ça. Si le nombre de textes adopté a décru et s’ils sont peut-être moins ambitieux que par le passé, la décision est statistiquement plus rapide que dans l’Union à 15 et les cas de blocages plus rares qu’on ne le croit. Les institutions européennes ont une capacité à s’adapter à l’évolution du contexte politique qui surprendra toujours. Sans réforme des traités l’Union ne pourra certes pas développer de nouvelles politiques ou faire face à un nouvel élargissement, mais elle pourra gérer les problèmes courants en attendant un contexte politique plus favorable. Je pense qu’il y a, sur tous les continents, un besoin objectif d’intégration pour faire face aux défis d’aujourd’hui (modification du climat, migrations, concurrence économique de la Chine et de l’Inde, recherche, lutte contre le terrorisme…) qui poussera tôt ou tard les leaders nationaux à s’engager à nouveau sur la voie de l’intégration.

2. La réouverture des négociations sur la Constitution, avec une priorité à la réforme des conditions de la révision elle-même et de l’entrée en vigueur du traité. L’idée serait de permettre l’application de la Constitution dans certains Etats membres seulement et de prévoir un statut spécifique pour les Etats qui ne peuvent pas ou ne veulent pas ratifier le texte. Ce sera un point de négociation très délicat, dans la mesure où les gouvernements sont peu portés à se priver de leurs moyens de contrôle du processus d’intégration - même s’il ne les affecte pas directement. La menace de la négociation d’un traité spécifique, excluant les Etats récalcitrants, pourrait toutefois emporter la décision.

3. La “Constitution plus” suggérée à Madrid : l’idée serait de rouvrir une négociation pour ajouter à la Constitution des dispositions relatives à des politiques qui tiennent à cœur aux citoyens ou qui semblent particulièrement nécessaires aujourd’hui (immigration, énergie, lutte contre le réchauffement planétaire, espace social européen…). Ce faisant, on montrerait aux citoyens que la Constitution ne s’adresse pas qu’aux opérateurs économiques, dans un esprit libéral, mais aussi à eux. Ce scénario est réaliste si la mobilisation des 18 perdure et si les responsables politiques français et néerlandais, ainsi que ceux des pays qui ont interrompu le processus de ratification, parviennent à formuler des demandes précises.

4. un nouveau texte, largement basé sur la Constitution actuelle, mais dont l’application se limiterait aux “18” : l’idée - peu crédible d’un point de vue diplomatique et géostratégique - serait de créer deux catégories d’Etats membres, les partisans de l’intégration et les eurosceptiques. Ceci impliquerait toutefois une architecture juridique et institutionnelle dont la complexité s’opposerait à l’objectif de clarification qui avait engendré la Constitution.

5. on pourrait enfin - comme le suggère depuis des années Paul Magnette, Professeur à l’ULB, et comme commencent l’envisager certains responsables européens et nationaux - procéder à une autre distinction. On procèderait, d’une part, à une réforme a minima du traité sur l’Union européenne, en y intégrant les réformes institutionnelles suggérées par la Constitution, une fusion des trois piliers et les modifications de la politique étrangère et de la coopération en matière de justice et d’affaires intérieures qui font aujourd’hui consensus. Ce traité serait complété par un second relatif aux questions économiques et sociales. Il pourrait s’agir d’un simple protocole social (permettant à certains Etats membres de l’Union d’y échapper) ou d’un traité plus ambitieux, limité par exemple à la zone Euro, porteur d’une véritable solidarité entre les Etats concernés (budget important, fonds de cohésion, gouvernement économique, politique fiscale…).


Propos recueillis le 01/02/07

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