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Numérique : le retard européen

Le numérique irrigue aujourd’hui tous les secteurs de l’économie mondiale. Pourtant, l’Europe peine encore à tirer son épingle du jeu face au leader américain.

l'Europe du numérique

Pionniers, les Etats-Unis ont une longueur d’avance

Outre-Atlantique : c’est ici que le centre de gravité de l’écosystème numérique mondial se situe. Plateformes, entreprises, logiciels, de New-York à San Francisco, les Etats-Unis ont démarré leur 3e révolution industrielle il y a déjà plusieurs dizaines d’années et s’immiscent aujourd’hui dans tous les secteurs.

A l’origine : un programme militaire sur lequel travaillent des universitaires américains. Considéré comme l’ancêtre d’Internet, le premier réseau reposant sur le routage de paquets apparaît en 1969. L’ArpaNet se développe alors à travers quatre “nœuds” hébergés par des universités californiennes, pour en atteindre plusieurs centaines dans le monde au début des années 1980. Puis le réseau militaire poursuit son évolution, pour atteindre un objectif global : relier tous les ordinateurs du monde et réaliser l’une des plus grandes révolutions technologiques de tous les temps. Et dès le début des années 90, avant même la généralisation du web, les États-Unis prennent des dispositions législatives et fiscales pour acquérir le leadership sur cette technologie.

Aujourd’hui, les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur 161 licornes (ces entreprises non côtées en bourse mais dont la valorisation dépasse le milliard de dollars) qui opèrent dans le secteur du numérique, 93 sont situées aux États-Unis, 38 en Asie et seulement 15 en Europe, selon le président du Comité “Jeunes entreprises du numérique” allemand Tobias Kollmann. “L’Europe n’est pas réellement présente sur le marché international concurrentiel de l’Internet dominé par les start-up du numérique” , ajoute celui-ci.

Selon le rapport d’Olivier Sichel “L’échiquier numérique américain : Quelle place pour l’Europe ?”, en 2012, l’Amérique du Nord représentait 41% de l’excédent brut d’exploitation (ou EBITDA) de l’économie numérique mondiale, en hausse de cinq points par rapport à 2002. A eux trois, Google, Bing et Yahoo représentaient près de 99% du marché de la recherche en ligne en Europe et monopolisaient ainsi les portes d’entrée d’Internet.

Toutefois, tempère Gilles Babinet, “Digital Champion” de la France auprès de la Commission européenne, “l’écosystème européen commence à décoller” . L’entreprise suédoise Spotify, par exemple, est leader mondial du streaming musical et ni Apple, ni Google ni Amazon ne parviennent pour l’instant à le concurrencer.

L’absence de stratégie européenne pointée du doigt

Même si l’affaire PRISM a ébranlé les Etats-Unis, le pays domine toujours le marché avec plusieurs trains d’avance. Pour la plupart des experts, le retard de l’Europe s’explique par une absence de prise de décision commune au sein des Etats membres, par un niveau de numérisation très disparate et par un manque de stratégie numérique européenne.

Peu à peu, les géants américains ont réussi à s’implanter en Europe, notamment grâce à des techniques d’optimisation fiscale leur permettant de ne payer quasiment aucun impôt en Europe. Face aux questions liées au droit à l’oubli ou encore la domination des plateformes par des entreprises européennes, les acteurs européens se sont laissés dépasser.

L’Europe a manqué d’une approche politique ambitieuse sur l’Internet. Un avis partagé par Benoît Thieulin, ancien président du Conseil national du numérique (CNNum), qui pointe du doigt cette absence de stratégie européenne et rappelle que les Etats Unis, contrairement à l’Europe, ont fait des choix stratégiques et des investissements dans le numérique. Lors du lancement de la stratégie de Lisbonne il y a quinze ans, la France était un leader dans les télécoms, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Le retard de notre continent dans le domaine du numérique est patent

Bruno Alomar, économiste

Le retard de notre continent dans le domaine du numérique est patent” , juge également Bruno Alomar, économiste et ancien haut fonctionnaire à la Commission européenne, dans une tribune pour Les Echos. En cause : le manque d’investissement européen sur ce secteur, et la crainte des grandes entreprises européennes traditionnelles de se faire “ubériser” . Mais surtout, le réflexe de chaque pays de mener ses propres objectifs, loin d’une approche européenne intégrée et coopérative. Peut-être insuffisantes, les initiatives du marché unique numérique pâtissent en tout cas de l’absence de vision commune des Etats membres et d’une trop faible conscience de la révolution numérique en cours.

Même si la Commission Barroso 2 s’est dotée d’une commissaire européenne chargée de la Stratégie numérique, Neelie Kroes (poste aujourd’hui occupé par Mariya Gabriel), les résultats n’ont pas été concluants. Quant au projet de marché unique du numérique, déjà jugé peu ambitieux par les acteurs du numérique lors de son lancement en 2015, fait encore l’objet de nombreuses négociations entre Etats membres et au Parlement européen.

Quelles perspectives ?

Pour Gilles Babinet, le succès du numérique aux Etats-Unis est lié à quatre principaux facteurs d’émergence : un accès abondant au capital, un système universitaire de qualité et capable de collaborer avec le monde de l’innovation, des écosystèmes de taille critique mêlant start-ups, entreprises et universités polarisées sur le sujet du numérique, et enfin politiques publiques accommodantes (interdiction de taxes des Etats fédéraux sur l’e-commerce par exemple). Et outre quelques exceptions, l’Union européenne n’est actuellement performante dans aucun de ces domaines. Mais M. Babinet reste optimiste : “Il y a plus de personnes qualifiées en Europe qu’en Chine ou aux Etats-Unis. C’est ce qui permettra de faire la différence, à condition que les politiques publiques soient structurées autour de cet objectif” .

“D’ici à 2020, l’économie numérique pourrait contribuer à une augmentation du PIB de l’Union européenne d’au moins 4 %, voire de 12 % selon le scénario le plus optimiste. Le numérique est donc source de productivité, de croissance et d’emplois” .

Rapport parlementaire d’Axelle Lemaire et Hervé Gaymard - 8 octobre 2013

Resserrer les liens entre les start-up et les entreprises des industries traditionnelles ou PME et favoriser leur collaboration est également un prérequis pour Tobias Kollmann. Tandis que pour la Vice-présidente du CNNum Amal Taleb, “l’éducation” , “le financement” ainsi qu’un “cadre juridique clair” sont essentiels au développement du numérique européen. “Il serait bon d’essayer de forcer les acteurs non européens à s’aligner sur nos normes européennes, notamment en matière de protection des données personnelles, d’infrastructures, de règles d’identification et d’autres thèmes relatifs à la sécurité. Ainsi, les entreprises européennes pourront se développer dans un environnement juridiquement fiable, ce qui représente un avantage concurrentiel.” , juge-t-elle.

Si le retard de l’Union européenne est une réalité, certains Etats membres sont toutefois bien placés dans la course au numérique. E-carte d’identité, vote électronique, administration numérique… 10 ans après son adhésion, l’Estonie est souvent citée comme exemple d’un pays qui a su s’adapter à l’émergence du numérique. Une révolution sous l’impulsion notamment de Toomas Hendrik Ilves, président de la République d’Estonie.

Dans cette vidéo réalisée le 7 décembre 2017 à Paris, Siim Sikkut, conseiller principal de l’information du gouvernement estonien, revient sur le succès du numérique en Estonie : services digitalisés, protection des données personnelles, e-residency…

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