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Numérique : le classement des pays européens

Quels sont les pays qui parviennent à tirer profit de la révolution numérique en cours ? À travers l’Europe, le numérique n’est pas vécu, utilisé et intégré de la même façon : c’est ce que démontre le DESI, un outil de mesure mis en place depuis deux ans par la Commission européenne. Cet index compare les performances numériques des 28 états membres : à partir de ces données, nous avons établi une carte des atouts et faiblesses des pays européens, en nous penchant plus particulièrement sur quatre d’entre eux.

Classement européen numérique
L’indice DESI est obtenu à partir de 5 indicateurs [1] :
- connectivité
- capital humain
- utilisation d’internet par les citoyens,
- degré de numérisation des entreprises
- services publics

Le Digital Economy and Society Index (DESI) propose une moyenne par pays variant entre 0 et 1, 1 étant la meilleure performance possible pour un pays donné.

D’après cet index, les écarts entre pays sont importants : le Danemark prend la première place du classement alors que l’Italie, grande économie européenne, affiche un retard considérable. D’autres pays se sont transformés par de vastes programmes de réformes : c’est le cas de l’Estonie, aujourd’hui véritable “société digitale” . Quant à la France, son bilan est contrasté.

Le classement européen

La carte ci-dessous dresse un bilan des atouts et faiblesses des 28 Etats membres pour chacun des cinq indicateurs.

Focus sur quatre pays emblématiques

Parmi tous ces pays, quatre méritent une attention particulière : le Danemark, sur la première marche du podium depuis deux ans ; l’Estonie, où s’est créée l’entreprise Skype et où les citoyens votent régulièrement en ligne ; l’Italie, qui accuse un retard numérique qu’elle chercher à combler ; et enfin la France, proche de la moyenne mais qui ambitionne de devenir un champion numérique.

Performances numériques : moyenne européenne et scores du Danemark, de l’Estonie, de l’Italie et de la France.

Danemark : le numérique “par défaut”

Tableau Danemark DESI

Le Danemark est arrivé premier au classement DESI en 2014 et 2015, avec une moyenne de 0,68 soit 1,6 points de plus que la moyenne de l’UE. Deux de ses grandes forces sont l’utilisation d’internet par la population et l’intégration du numérique par les entreprises.

88% des Danois utilisent les banques en ligne et 82% pratiquent le e-commerce. Ils sont également grands amateurs de vidéos à la demande (VOD). Le Danemark occupe la seconde place en termes d’intégration numérique, notamment par l’utilisation de la facturation électronique, du Cloud et du e-commerce.

Le grand atout du Danemark reste son administration extraordinairement numérisée. Son score de 0.81 dépasse largement la moyenne européenne de 0.55 point. Et pour cause : 71% des Danois utilisent internet pour remplir des formalités administratives (eGovernement), 92% des médecins échangent les données médicales sous forme numérique et tous dispensent des “e-Prescriptions” .

La stratégie danoise est de mettre en place le numérique partout où cela est possible (“digital by default”) pour les services publics et les liens entre administrations, services de santé et citoyens. Après les premières initiatives lancées dès 2002, un plan national a été établi dès 2005 après un rapport de l’OCDE. Ce plan tournait autour de 4 objectifs :

  • renforcer l’organisation du secteur public ;
  • mettre en place l’e-gouvernement avec une vision large articulée autour de l’efficacité (réduction de la bureaucratie en parallèle) ;
  • améliorer les performances au sein du secteur (standardiser les données, développer des compétences en matière de gestion de projets concernant les NTIC) ;
  • encourager l’engagement des citoyens et des entreprises (répondre à leurs besoins, gagner en visibilité).

Le travail du gouvernement est encore en cours sous le projet “Strategy for Digital Welfare 2013-2020” qui établit les grandes lignes et les projets gouvernementaux. Par exemple, en novembre 2014, le Danemark est devenu le premier pays au monde à rendre obligatoire la numérisation des courriers des administrations gouvernementale et de santé (Digital Post). En juillet 2014, les trois quarts des Danois possédaient une carte d’identité électronique et une signature digitale (NemID). Le gouvernement a également investi 200 millions d’euros (1,5 milliard DKK) pour augmenter l’usage des NTIC à l’école.

Cette stratégie a cependant été critiquée pour son manque de profondeur en matière d’innovation sociale et d’entrepreneuriat local : maintenant que la technologie s’est répandue et a été acceptée comme outil gouvernemental, il lui faut mûrir et permettre la naissance de nouvelles conceptions de l’innovation. Le Danemark conserve l’avantage d’une politique à la fois lancée relativement tôt et tournée vers l’avenir, se reposant sur des infrastructures solidement établies et une visibilité qui rend l’eGovernment accepté par la population.

Danemark : Chronologie des politiques publiques en faveur du numérique

Estonie : le précurseur

Tableau Estonie DESI

L’Estonie occupe, avec une note globale de 0.59, la 7ème place parmi les 28 membres de l’UE. Dans le domaine du service public numérique, le DESI la classe en première place. Seulement deux décennies après l’implosion de l’URSS, ce petit pays qui représente 0.1% du PIB européen est devenu un exemple en matière de numérique. Comment expliquer ce phénomène ?

D’une part, la culture des NTIC existait dès les années 1960 lorsque l’Institut de la Cybernétique fut intégré à l’Université de Talinn. Par la suite, la communauté scientifique a soumis dès 1993 des stratégies au gouvernement en place. En effet, sous le Premier ministre Mart Laar, qui était à la tête d’un jeune cabinet ministériel, le soutien politique et budgétaire du numérique s’est solidifié. Le gouvernement a unifié un budget NTIC pour reconnaître l’importance du développement des nouvelles technologies. L’Estonie a assuré le soutien des start-ups et sa culture de l’entrepreneuriat a mené à la création de Skype, finalement vendu à eBay pour 2,6 milliards de dollars en 2005. Surtout, ces politiques ont incité une génération d’entrepreneurs à innover : en 2013, l’Estonie comptait le plus de start-ups par personne en Europe.

D’autre part, le gouvernement a adopté le numérique dans son fonctionnement et l’applique au système politique. En 2001, les bases de données publiques sont mises en relation par le système X-road. En 2002, le gouvernement rend obligatoire pour les personnes de plus de 15 ans la possession de la carte d’identité numérique qui leur permet maintenant de voter depuis leur ordinateur et leur smartphone. Les domaines d’utilisation de cette carte sont multiples : achats en ligne, opérations bancaires, signature de contrats, création d’une entreprise…

En avril 2007, l’Estonie a subi la première offensive cybernétique de grande ampleur. Des attaques massives par déni de service (DoS) des serveurs internet du gouvernement, des banques et des médias perturbèrent gravement l’activité ce pays très en avance sur l’utilisation des nouvelles technologies. Mais dans la foulée de ces attaques, l’Estonie est devenue la championne mondiale de la cybersécurité, notamment grâce à l’ouverture du “Centre d’excellence de l’Otan pour la défense cybernétique” implanté à Tallinn en janvier 2009.

Le vote électronique a été lancé en 2005 en Estonie. Une première mondiale, qui utilise la carte d’identité numérique des citoyens. Le système a subi de vives critiques concernant les failles de sécurité qui rendent le système vulnérable aux abus et attaques.

Sous l’impulsion de Toomas Hendrik Ilves notamment, l’actuel président de la République d’Estonie, la numérisation poursuit son accélération. En 2014, l’Estonie a établi une nouvelle “stratégie sur la société numérique” pour 2020. Elle vise à étendre le réseau national à une vitesse de 30 Mbps, dont 60% des connexions à 100 Mbps ou plus. Cette stratégie s’inscrit dans la lignée de l’EstWin Project, qui vise à étendre le réseau aux zones peu peuplées.

Aujourd’hui, l’Estonie n’a pas à rougir à l’échelle européenne et mondiale : elle est devenue une véritable e-société : en 2011, 94% des impôts étaient payés par “eTax” . Au sein du gouvernement, un système d’e-Cabinet a été établi, réduisant le nombre de documents imprimés et le temps des réunions. Les élections parlementaires de 2015 ont enregistré 30,5% de votes par internet.

L’évolution des votes par internet en Estonie

Italie : des retards historiques

Tableau Italie DESI

L’Italie occupe, avec une note globale de 0,4, la 25e position sur les 28 pays de l’UE. La connectivité et l’utilisation d’internet sont très faibles en Italie, respectivement 27e et 28e de l’UE. Alors que le pays reste la 4e puissance économique européenne, son retard numérique est considérable par rapport au reste des pays européens.

Au niveau économique, le retard relatif de l’Italie ne permet pas aux entreprises de profiter des avantages que procure l’économie numérique. Depuis 2014, l’intégration numérique des entreprises s’est améliorée, notamment grâce à l’Electronic Information Sharing (stratégie de gestion basée sur le partage des données au sein d’une entreprise entre différents secteurs : comptabilité, marketing…) mais seulement 8,2% des PME font appel au e-commerce.

Du côté des particuliers, la population italienne a encore de vaste progrès à faire en matière numérique, puisque 31% de la population n’avait jamais utilisé internet en 2014 et 37% ne l’utilisent pas régulièrement en 2015.

Il s’agit tout d’abord d’un problème d’accès. Les foyers italiens sont les moins nombreux d’Europe à avoir un accès internet fixe (53% des foyers), qui de plus est assez lent (5,4% de la population a accès à de la bande passante plus rapide que 30 Mbps). Ceci entraîne et entretient une certaine méfiance à l’égard des services commerciaux sur internet. Moins de la moitié de la population a recours aux banques en ligne et au e-commerce. “L’analphabétisme numérique” est d’autant plus étendu que la population italienne est la plus âgée d’Europe.

Structurellement, l’une des causes de ce retard est le monopole sur les télécommunications de Telecom Italia, un groupe privé créé en 1994. Cette entreprise a hésité à investir dans la création de nouvelles infrastructures numériques, en raison du manque de concurrence mais aussi de l’importance de sa dette. En Italie, notamment dans les régions rurales, la connexion est fournie par la fibre de cuivre, qui doit être remplacée par la fibre optique. Étendre l’accès relève donc d’un objectif central pour le développement numérique italien.

Le conseil des ministres a validé en 2015 le plan de 6 milliards d’euros d’investissements dont 2 milliards de fonds européens. Le projet prévoit une plus large diffusion de la fibre optique sur tout le territoire italien ; il mise ainsi sur le raccordement au haut débit de 85 % des internautes italiens d’ici 2021. Quant à Telecom Italia, l’opérateur prévoit un investissement de 10 milliards pour rénover les réseaux d’ici 2017.

France : des performances inégales

Tableau France DESI

La France occupe, avec une note globale de 0.51, la 18e position. Cette moyenne est comparable à celle des années précédentes, mais reste faible face à la réactivité de certains pays européens, comme le Danemark ou l’Estonie. Elle est en outre en dessous de la moyenne de l’UE. Le retard relatif de la France ne permet pas aux particuliers et aux entreprises de profiter des avantages que procure l’économie numérique.

La France doit notamment faire des progrès dans le domaine du Haut Débit rapide (> 30 Mbps). Pour pallier ce retard, le gouvernement a lancé en 2013 le “Plan Très Haut Débit” de la “Mission France Très Haut Débit” , dont l’objectif est la couverture Très Haut Débit de tout le territoire d’ici 2022, aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises et l’administration publique.

Cela se traduit par un développement d’infrastructures plus performantes afin de donner un accès plus facile aux nécessités quotidiennes d’ordre professionnel et privé (visio-conférence, objets connectés, TV HD ou 3D…). Le Haut Débit a également pour but de favoriser la compétitivité économique à travers la facilité d’accès pour les entreprises à de nouvelles formes de travail plus adaptées au numérique (télétravail, Cloud etc) et rendre plus faciles les liens entre services publics et citoyens (formation en ligne, télémédecine…).

La conférence annuelle du Plan France Très Haut Débit du 16 juillet 2015 souligne 6 points pour favoriser l’accélération du processus, dont l’extension d’obligation de pré-raccordement en fibre optique à tous les logements neufs à partir de juillet 2016, la facilitation de la transition vers le Haut-débit dans les “zones fibrées” ou encore le raccordement de la fibre optique des PME et sites publics.

L’avancement du plan France très haut débit

Cliquez sur la carte pour l’agrandir

Source : France Très Haut Débit

Un retard important de la France selon le DESI est l’intégration du numérique par les entreprises, notamment par les Petites et Moyennes Entreprises (PME) (domaine 4). En dépit de l’utilisation croissante de nouvelles technologies au sein des grandes entreprises, les technologies avancées ne sont pas assez intégrées ou mises en valeur au sein des entreprises de toutes tailles et les PME françaises travaillent assez peu avec le numérique par rapport à leurs homologues européennes.

Malgré ces deux retards importants, la France connaît de bons résultats dans le domaine des services publics numériques (domaine 5 du DESI) : que ce soit au niveau du e-gouvernement ou de l’e-santé, des progrès ont été faits et de manière assez rapide en comparaison aux autres membres de l’UE.


[1] Le DESI est obtenu à partir de 5 principaux facteurs :

  1. La connectivité : l’étendue de l’utilisation du numérique nécessite actuellement bien plus qu’une simple connexion Internet. De nouveaux facteurs utiles à l’analyse de l’économie et de la société numériques doivent être pris en compte, comme la rapidité du flux, les offres proposées aux utilisateurs ainsi que la qualité du Haut Débit fixe et mobile.
  2. Le capital humain : l’évolution des nouvelles technologies et techniques numériques nécessite une adaptation de la société à celles-ci pour qu’elles soient efficaces. L’indicateur du capital humain est lié à la connaissance du numérique par ses utilisateurs, allant des compétences quotidiennes basiques aux compétences plus avancées (personnes qui travaillent dans le domaine des nouvelles technologies) ainsi qu’à la proportion de la population qui maîtrise ces compétences (notamment dans le domaine des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques).
  3. L’utilisation d’Internet par les citoyens : elle présuppose que les citoyens ont les capacités à se servir d’Internet et les conditions pour en bénéficier au mieux (connexion haut-débit). Ce facteur dépend de trois éléments : le contenu proposé aux citoyens (la mise en ligne d’actualités, de jeux, de vidéo sur demande…), la communication qu’ils effectuent par leur connexion (appels vidéos et réseaux sociaux) et les transactions qui passent par le net (eBanking et e-commerce).
  4. Le degré de numérisation des entreprises : l’importance d’Internet est indéniable pour le succès économique des entreprises mais nécessite un certain investissement, notamment en infrastructure. L’intégration de la technologie est mesurée par deux indicateurs : d’un côté, l’adoption des mécanismes numériques tels que le management par partage de données, la présence sur les réseaux sociaux, l’emploi des technologies d’e-factures ou encore du Cloud. De l’autre, l’exploitation de la production des entreprises par Internet est prise en compte par le pourcentage de PME qui vendent en ligne, celles qui vendent au sein de l’UE et leur chiffre d’affaires obtenu via le e-commerce.
  5. Les services publics : afin de comparer la numérisation des services publics dans les différents pays, le DESI se penche sur deux principaux secteurs des services publics, le e-gouvernement (place de l’open data, formulaires pouvant être remplis en ligne…) et l’e-santé (accès aux résultats médicaux, transferts entre différentes institutions médicales, prescriptions pharmaceutiques par Internet…).

Article réalisé dans le cadre d’un projet collectif avec Sciences Po Paris, dont les participants sont Aurore Taillet, Astrid Voorwinden et Hirotoshi Yamakawa.

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