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Noel Dorr : “L’Allemagne n’oubliera jamais l’aide que vous nous avez apportée”

En janvier 1990, l’Irlande a pris la présidence de la CEE. Son programme écologique a été éclipsé par la priorité de la réunification allemande. Noel Dorr, diplomate irlandais, s’est trouvé au centre de ces négociations. Vingt ans plus tard, il explique le rôle de l’Irlande dans l’organisation de l’unification dans le cadre de la Communauté européenne.Â

Touteleurope.eu : Quel rôle la Présidence irlandaise a-t-elle joué lors des négociations sur la réunification de l’Allemagne ?

Noel Dorr : Au premier semestre 1990, il revenait à l’Irlande de présider la Communauté économique européenne comme on l’appelait alors. La pratique courante de l’époque était de réunir un Conseil européen au terme de chaque présidence. Certains pays organisaient, eux, deux de ces sommets au cours des six mois de leur présidence. Notre programme, arrêté quelques mois avant la Présidence, prévoyait d’intégrer au calendrier une deuxième réunion à mi-parcours. Notre priorité à l’époque allait aux questions environnementales, à ce que nous appelions une “Présidence verte” . Mais il se trouve que la question de la réunification allemande est venue sur le devant de la scène à l’automne 1989. Et notre projet de convoquer un Conseil européen s’est avéré très opportun alors même qu’un événement majeur se déroulait.

Certains dirigeants européens, en particulier le Président François Mitterrand et le Premier ministre Margaret Thatcher et peut-être même l’exécutif néerlandais étaient très sceptiques et nourrissaient des doutes sur la détermination du chancelier Kohl à saisir l’occasion historique qui se présentait de réaliser l’unification des deux Allemagnes.

Notre rôle a essentiellement été d’obtenir une référence très positive et chaleureuse à l’unification allemande dans les conclusions du Conseil européen le 28 avril 1990. M. Charles Haughey, Premier ministre irlandais, a joué un rôle clé dans la négociation de cette référence positive à la réunification allemande. À cet égard, la Présidence irlandaise fut capitale.

M. Noel Dorr a été Secrétaire général du ministère irlandais des Affaires étrangères et ambassadeur de la République d’Irlande auprès des Nations-Unies et du Royaume-Uni.
TLE : Comment la Présidence irlandaise s’est-elle préparée à cette réunion spéciale du Conseil européen sur la réunification allemande ?

Noel Dorr : Au début de notre Présidence dans le cadre de la Coopération politique européenne, nous avions organisé au Château de Dublin une réunion des ministres des Affaires étrangères, où nous avons défendu l’idée de l’unité allemande. Notre Premier ministre, Charles Haughey a ensuite entrepris une tournée des capitales en février et mars 1990 comme le veut l’usage pour le chef du gouvernement du pays exerçant la Présidence. La démarche était particulièrement importante. La tournée des capitales permet à la présidence d’avoir une idée claire sur la position de chaque pays, de s’exprimer franchement auprès d’eux et de leur exposer les orientations des autres États. En accord avec la Commission, M. Haughey plaidait pour que le prochain Sommet réserve un accueil positif à la question de l’unification allemande.

La Présidence a mis sur la table une proposition de conclusions du Conseil élaborée sur la base des contributions collectées lors de la tournée des capitales ainsi que de celles de la Commission et du secrétariat du Conseil. À ce stade, le travail préliminaire avait été fait et il aurait été politiquement très difficile pour François Mitterrand ou Margaret Thatcher de persévérer dans leur attitude de réticence initiale. L’ambiance générale était en faveur de l’unification.

Finalement, la France s’est ralliée aux autres États membres et a accepté les conclusions du Conseil rédigées par la présidence irlandaise ; ces conclusions déclaraient que “La Communauté se félicite vivement de l’unification allemande. Elle envisage favorablement la contribution positive et fructueuse que tous les Allemands pourront apporter après l’intégration prochaine du territoire de la République démocratique allemande à la Communauté. Nous ne doutons pas que l’unification allemande - qui est le résultat d’une volonté populaire librement exprimée - constituera un facteur positif pour le développement de l’Europe dans son ensemble et de la Communauté en particulier (…). Nous nous réjouissons que l’unification allemande soit en train de se faire sous l’égide de l’Europe” .

Il était très important que la Communauté réserve un accueil chaleureux à l’unification allemande. Elle a pris la décision historique de permettre que cet événement se réalise sous l’égide de l’Europe, sans nécessité d’une révision des traités.

Ce texte était très positif, ce qui n’était pas gagné étant donné les doutes émis tant par François Mitterrand que Margaret Thatcher quant à la pertinence d’une unification trop précipitée de l’Allemagne. Le Conseil européen a été déterminant dans la mise au point du cadre de la réunification.


TLE : Jacques Delors a-t-il eu une influence dans ces négociations ?

Noel Dorr : La relation de Jacques Delors avec l’Irlande et avec Charles Haughey était excellente. Il était d’un grand secours pour nous et jouissait d’une haute estime en Irlande. Mon sentiment est qu’il a exercé une grande influence sur la présidence et sur François Mitterrand. M. Delors a contribué à assouplir la position du président français, qui aurait autrement été plus hostile envers l’unification allemande.


TLE : Pourquoi le Premier ministre irlandais, Charles Haughey, était-il un si fervent partisan de l’unification allemande ?


Noel Dorr : Charles Haughey avait clairement conscience de l’importance historique des événements en cours et, de là, une grande bienveillance envers le souci du chancelier Kohl de saisir l’occasion de réunir l’Allemagne qui se présentait. Il partageait avec ce dernier l’idée qu’il s’agissait d’un moment historique majeur qu’il ne fallait pas laisser passer. Et puis, en tant que leader politique irlandais qui avait toujours caressé l’espoir que les deux parties de l’Irlande parviendraient un jour à un accord d’union, il avait assurément une forte empathie pour le chancelier allemand. Son soutien à l’aspiration du chancelier d’unifier l’Allemagne en dépit des difficultés évidentes que cela posait allait peut-être au-delà de celui d’autres leaders européens.

Il a joué un rôle déterminant pour amener le Conseil européen à s’aligner derrière cette position. Le chancelier lui a, du reste, déclaré après la réunion : “L’Allemagne n’oubliera jamais l’aide que vous nous avez apportée” . Dernièrement, le rôle joué par l’Irlande durant sa présidence a été publiquement reconnu par le ministre des Affaires étrangères allemand, Guido Westerwelle, à l’occasion d’une visite à Berlin de l’actuel ministre irlandais des Affaires étrangères, Micheál Martin.


TLE : Ne pensez-vous pas qu’en tant qu’ancien fonctionnaire irlandais, vous surestimez quelque peu le rôle de votre pays ?

Noel Dorr : Les petits pays ont toujours tendance à se donner un rôle exagéré ! Il s’agissait certes d’événements historiques majeurs auxquels de grands pays ont pris part et où un grand nombre d’autres forces étaient à l’œuvre, mais en l’occurrence, je ne crois pas exagéré de dire que l’Irlande, qui exerçait la présidence de la CEE à l’époque, a joué un rôle clé et M. Kohl partageait certainement cette opinion. Ces événements auraient pu survenir à un tout autre moment, il se fait qu’ils ont eu lieu lorsqu’il nous revenait d’exercer la présidence et qu’occupant ce poste, nous avons bien rempli notre rôle.



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