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Mourad Benchellali, retour du bout de l’enfer

Au mauvais endroit, au mauvais moment : l’Afghanistan à l’été 2001. Une erreur de jeunesse, de naïveté, d’inconscience qui a valu à Mourad Benchellali, aujourd’hui âgé de 33 ans, 30 mois d’emprisonnement à Guantanamo et 18 autres à Fleury-Mérogis. Pas officiellement blanchi, mais plus persona non grata, il s’efforce désormais de partager son expérience aux jeunes qui pourraient être tentés de suivre le même chemin que lui. Ni victime ni héros, étonnant de calme, il leur dit qu’il n’y a rien à y trouver.

Mourad Benchellali

En Afghanistan, le piège s’est refermé

En juin 2001, Mourad Benchellali était considéré comme un jeune homme sans histoire. Résidant de la cité des Minguettes à Vénissieux, près de Lyon, il est scolarisé, détenteur d’un emploi-jeune et fiancé. Sa famille est connue des services de police, mais ce n’est pas de son fait. Son père, imam à titre bénévole, a en effet défrayé la chronique en exigeant que ses filles puissent aller à l’école voilées, tandis que son enseignement de l’islam est considéré par certains comme radical. Mais à la différence de son grand frère Menad, Mourad ne semble pas imprégné par la religion. A la mosquée, il s’y rendait surtout pour voir ses amis, se rappelle-t-il aujourd’hui.

Passer l’été en Afghanistan n’était pas son idée, mais celle de Menad. Il ne s’en cache pas, il n’a pas été difficile à convaincre. Le mélange de mystère et de risque l’a séduit, lui qui était en quête d’aventure. Et tant pis s’il faut mentir sur sa destination et si son frère l’incite à utiliser un faux passeport sous un prétexte bidon. Il ne se méfie pas et part avec un ami pour Kandahar, via le Pakistan. A l’arrivée au camp d’entrainement d’Al-Qaeda, le mal est fait.

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Naïf, inconscient, stupide : quel que soit le qualificatif, Mourad Benchellali l’acceptera. Deux mois dans la chaleur, la faim, la fatigue et, peut-être surtout, la peur. Au passage il croise Oussama Ben Laden, un homme révéré dans le camp, mais dont il se désintéresse globalement, faute de maitriser l’arabe. A la première occasion - c’est-à-dire quand on l’autorisera à quitter le camp - il cherche à repasser la frontière pour revenir à Vénissieux. Sur le chemin, il découvre les attentats du 11 septembre. “J’ai su que le piège se refermait” , dit-il simplement.

La suite est assez simple. Capturé par les autorités pakistanaises, il est livré aux Américains qui l’envoient, à partir de janvier 2002 à la désormais tristement célèbre prison de Guantanamo, à Cuba. De ses deux années et demie de détention, Mourad Benchellali en tirera un livre Voyage vers l’enfer - toute coïncidence avec le film où Robert de Niro et Christopher Walken se retrouvent dans l’horreur de la guerre du Vietnam n’est peut-être pas totalement fortuite. Il y dépeint les conditions de détention que l’on connait, faites de tortures physiques et psychologiques, d’humiliations et de privations. Trente mois durant lesquels il ne sera plus que le matricule 161 et ne demandera qu’une seule chose, être jugé pour les actes qu’on lui reproche. “Il y a une cruauté infinie dans un système qui semble incapable de libérer les innocents et incapable de punir les coupables” , résumera-t-il en 2006 dans les colonnes du New York Times.

De retour parmi les vivants

Aujourd’hui, Mourad Bechellali vit toujours à Vénissieux. A 33 ans, il n’a pas perdu grand-chose de sa jeunesse, les cheveux gominés tirés en arrière, mais le regard quelque peu vidé par des épreuves dont on ne peut se remettre totalement. Son retour en France en 2004 ne fut d’ailleurs pas aisé. Immédiatement mis en examen et écroué pour “association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste” , il commença par purger une peine de 18 mois à Fleury-Mérogis, avant d’être libéré en raison des irrégularités de la procédure. Son long processus judiciaire ne s’est achevé qu’en septembre dernier, la Cour de cassation confirmant sa condamnation à un an de prison. Dit autrement, il ne sera jamais réellement blanchi.

Tout sauf un détail pour l’intéressé dont la réhabilitation ne fait pourtant guère de doute pour personne. S’il avait du mal à partager son expérience - et à garder un emploi - en raison de son passif judiciaire, et ce en dépit des nombreuses sollicitations de la part de professeurs, d’associations ou d’aumôniers, c’est un peu moins vrai aujourd’hui. Les attentats de janvier 2015 sont passés par là. Reçu par le Premier ministre ou encore par le Sénat, il n’est plus considéré comme un paria. Au contraire, les autorités semblent prendre conscience que son parcours mérite d’être raconté et son message, calme et dénué de jugement, susceptible d’être entendu par des jeunes pouvant être tentés de suivre un chemin comparable au sien.

Car Mourad Benchellali ne se place ni en victime ni en héros. Refusant l’étiquette de “djihadiste repenti” et les explications à courte vue sur la radicalisation religieuse, il se contente de rabâcher inlassablement le récit de sa vie. “Je me revois dans ces jeunes, je comprends ce qui peut se passer dans leurs têtes et je pense que mon histoire peut avoir une portée (…). Je vois bien que ce que je leur raconte les fait réfléchir” , explique-t-il. “Ces jeunes idéalisent la situation et je leur explique que, là-bas, ils ont plus de probabilités d’être embrigadés par des criminels que de servir la bonne cause, d’avoir l’occasion d’aider leur prochain et qu’au bout du chemin ce sera sûrement la prison ou la mort” , poursuit-il.

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Il faut dès lors réfléchir aux causes d’un phénomène qui ne cesse de prendre de l’importance et qui, depuis 2001 n’est plus vraiment marginal. “On veut tout expliquer par le radicalisme religieux” , dit-il à Rue 89 Lyon. Or “il faut essayer de comprendre pourquoi ces jeunes sont plus vulnérables à la propagande de l’Etat islamique. Pourquoi ils ne s’identifient plus à la communauté nationale ?” . Pour Mourad Benchellali, la politique du “tout carcéral” est une impasse, car la répression nourrit le radicalisme, à l’instar de la prison. A Guantanamo, il s’est lui-même dédié au Coran comme jamais auparavant, surtout pas avant ou pendant son passage en Afghanistan. “Si je suis parvenu à faire la part des choses, si je n’ai jamais adhéré aux interprétations violentes de certains, c’est justement parce que j’avais des connaissances sur l’islam et que je savais, grâce à mon père, que le Coran n’incite à rien de tout cela” , raconte-t-il au Monde.

Mourad Benchellali ne prétend pas avoir toutes les réponses. Enclin à ne pas rester silencieux, il avance des pistes de réflexion, sans ressentiment ni effusion. Simplement expliquer que Guantanamo n’est qu’un argument de plus pour les recruteurs djihadistes. Et regretter qu’il n’y ait guère plus à espérer d’une jeunesse à Vénissieux, où le lien social semble s’être évaporé, que d’un départ en Syrie.

Portrait réalisé en partenariat avec 28’ARTE

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