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Michel Wieviorka : Le populisme est “un discours qui prétend parler d’en bas pour dénoncer le monde d’en haut”

Après le vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni, ou la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, les partis politiques dits “populistes” ont le vent en poupe au sein des pays occidentaux et européens. Quelles sont les particularités des “populismes” et comment expliquer une telle ascension au pouvoir ?

A l’approche de l’élection présidentielle française, éclairages de Michel Wieviorka, directeur d’études à l’EHESS et président de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme, qui répond aux questions de Toute l’Europe.

Populisme

On constate partout dans le monde et tout particulièrement en Europe la montée voire la victoire de certains partis populistes. Existe-t-il une définition claire du “populisme” et a-t-elle connue des évolutions ?

Michel Wieviorka : Personne n’a jamais réussi à définir le mot “populisme” de manière satisfaisante. On ne peut pas le définir de manière claire et rigoureuse. Ce mot a parfois une histoire très positive et parfois très négative. Premièrement, on se réfère au peuple, qui est une notion assez vague. On ne sait pas si les élites sont inclues. Deuxièmement, le populisme est un discours qui en général parle au nom des petits contre les gros, contre les élites et contre le monde d’en haut. C’est un discours qui prétend parler d’en bas pour dénoncer le monde d’en haut. Troisièmement, le populisme est un discours qui passe au-dessus des médiations politiques classiques des partis. Le populisme n’est jamais embarrassé par ses contradictions. Il promet à la fois la continuité et le changement, ce qui est quand même un peu difficile à entériner. C’est un mot qui est un peu “fourre-tout” mais qui nous indique la crise des systèmes politiques actuels. Il nous indique aussi qu’il est difficile de voir comment peut fonctionner un jeu politique clair et fort entre la gauche et la droite. Il est cependant varié car il existe un populisme nationaliste d’extrême-droite et un populisme gauchiste. On constate aussi un populisme de centre qui peut s’incarner dans le mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo en Italie.

Michel Wieviorka

Michel Wieviorka est directeur d’études à l’EHESS et président du directoire de la Fondation de la Maison des sciences de l’somme. Ses recherches portent notamment sur le racisme, l’antisémitisme, les mouvements sociaux, la démocratie. L’un de ses derniers ouvrages est Le séisme. Marine Le Pen présidente aux Editions Robert Laffont (2016).

Peut-on catégoriser ou réduire le vote populiste à une classe sociale ou à un territoire ? Le vote populiste est-il révélateur d’une fracture dans nos sociétés européennes ?

Dans beaucoup de sociétés en Europe et ailleurs, les propositions que peuvent faire les partis classiques de gauche et de droite ne rencontrent plus beaucoup d’adhésion populaire. Des parties entières de la population ne se sentent plus représentées convenablement par les élites politiques de gauche et de droite classiques. A partir de ce constat, on voit en Europe monter dans certains milieux de la rancœur, du ressentiment, de la peur, du rejet des gens d’en haut qui prennent cette forme populiste. Toutefois, il y a de grandes différences d’un pays à un autre et au sein même d’un pays. Il y a toute sorte de discours populistes et en particulier dans des milieux sociaux qui se sentent déclassés ou menacés de déclassement ou qui pensent que leurs enfants seront déclassés par rapport à eux. Pour la France, je peux vous donner l’exemple de l’électorat du Front national. Ce n’est pas la même chose dans le nord et dans le sud-est de la France. Dans le nord de la France, il y a beaucoup d’ouvriers au chômage qui voient le désert industriel prospérer. Dans le sud-est, ce sont des personnes qui s’inquiètent pour leur identité.

La crise économique et financière de 2008 est-elle un élément moteur de cette ascension ?

Oui et non ! Plus la situation économique est difficile, plus les discours populistes peuvent trouver un écho, mais ce n’est pas une condition absolument nécessaire. Les exemples de la Norvège et de la Suisse sont assez révélateurs. Ce sont des pays qui ne sont pas spécialement en crise et qui ont des partis populistes forts. Il n’y a pas un lien automatique entre la crise économique et la montée du populisme. La crise économique créée des conditions favorables mais elle n’est pas nécessaire.

L’Union européenne et sa monnaie sont des cibles privilégiées de ces partis. Comment l’expliquez-vous ?

La construction européenne est vécue par beaucoup comme la cause des difficultés économiques, des inégalités mais surtout des risques de déclassement. On passe assez facilement de l’idée que l’Union européenne est la cause des difficultés sociales à des appels qu’on peut qualifier d’identitaires, de nationaux ou de nationalistes. On voit alors monter un rejet de l’Europe, de l’euro et de l’idée que l’on doit vivre dans une société ouverte.

Ces partis ont pour vocation de détruire l’Union européenne et font en même temps partie de ses institutions. Comment ce paradoxe peut-il s’expliquer ? Est-ce que les institutions ont raison d’intégrer en leur sein des partis affichant de telles prétentions ?

Il y a un paradoxe qui est lié au fonctionnement démocratique de nos sociétés européennes : on peut se faire élire au Parlement européen sur une liste anti-européenne et donc on peut être député européen avec pour mission politique de déconstruire l’Europe. Ça semble paradoxal mais c’est le jeu démocratique. Est-ce qu’il faut donner la liberté aux ennemis de la liberté ? Est-ce qu’il faut accepter que la démocratie fonctionne en permettant à des partis anti-démocratiques de fonctionner ? Il faut vraiment s’interroger sur les risques que font courir à nos sociétés qui aiment la démocratie des acteurs qui, s’ils parviennent au pouvoir, seront autoritaires, fascisants, anti-démocratiques et finalement ruineront le système qui leur aura permis de résister.

Nigel Farage (février 2017) - (c) Gage Skidmore

Nigel Farage, ancien leader du UKIP et figure de proue du Brexit (février 2017) - © Gage Skidmore

Existe-t-il des similitudes entre les différents partis populistes européens ?

Les similitudes sont nombreuses. Aujourd’hui, les partis populistes, et cela n’a pas toujours été le cas, sont assez tentés par le nationalisme et par l’idée qu’il faut une société fermée et une nation homogène. C’est un de leurs points communs : des positions anti-immigrés, anti-réfugiés… Et il y a aussi des différences. Il y a des partis populistes qui seront plus perméables que d’autres à la violence ou d’autres au racisme et à l’antisémitisme. Les populistes anglais, ceux qui siègent à Bruxelles, avaient refusé d’être dans le même groupe que le Front national parce qu’ils le trouvaient trop antisémite.

Marine Le Pen est annoncée qualifiée pour le second tour de l’élection présidentielle dans tous les sondages. L’un de ses fers de lance est l’organisation d’un référendum sur un Frexit. Considérez-vous cette éventualité ? Est-elle la seule candidate que l’on peut qualifier de “populiste” dans cette élection ?

Je ne pense pas qu’elle puisse être élue. Et si elle était élue, je pense qu’elle ne pourrait pas mettre en œuvre rapidement son programme. Par ailleurs, si elle était aussi sûre d’elle-même, elle déciderait directement de demander à l’Assemblée nationale de lui donner le feu vert pour sortir la France de l’Europe. Elle sait très bien que ce n’est pas évident et je dirais même que ça n’est pas forcément ce que souhaitera finalement son électorat.

Cette interview a été réalisée dans le cadre de l’édition 2017 du Printemps de l’économie. Michel Wieviorka était l’un des intervenants de la conférence : “Montée des populismes : comment l’expliquer ?” .

C’est la décrépitude de la droite et de la gauche classiques qui permet à des candidats de tenir des discours avec des dimensions populistes. Il y a chez Mélenchon une dimension populiste : le côté anti-Europe, anti-euro, des propos qu’il a pu formuler auparavant sur l’Allemagne qui relèvent d’un certain populisme. Il y a chez lui aussi l’idée qu’il faut en finir avec les institutions actuelles. Cela peut faire penser à du populisme mais à la différence du Front national, et il le faut dire très clairement, ça n’est absolument pas un populisme raciste ni antisémite. Il me semble aussi que certains aspects du discours d’Emmanuel Macron sont populistes. Dire que la différence entre la droite et la gauche ne signifie plus rien et s’appuyer sur un mouvement fondé avant tout pour aider le leader peuvent faire penser aussi à un certain aspect du populisme. Un populisme du centre et d’en haut et non pas d’en bas.

Comment contenir leur progression et éviter qu’ils accèdent au pouvoir quand ce n’est pas déjà le cas ? En d’autres termes, comment sortir de l’ “ère du populisme” ?

A partir du moment où le phénomène atteint plusieurs sociétés, cela veut dire qu’il y a quelque chose qui n’est pas propre uniquement à tel ou tel pays et qu’il y a un problème profond. Le changement ne pourra venir que lentement, difficilement, et d’en bas. Le changement ne pourra venir qu’à partir de transformations au sein des sociétés dans lesquelles nous existons. On ne peut comprendre la naissance de “Podemos” à gauche et de “Ciudadanos” à droite en Espagne qu’avec la connaissance du mouvement des “Indignés” . Ce mouvement est celui d’une société, un mouvement citoyen avec des dimensions sociales, culturelles, d’appel à certains droits. C’est quelque chose qui se joue ailleurs que dans la politique mais qui la transforme. Je pense que l’affaiblissement du populisme passera par la reconstitution d’un système politique qui ne peut avoir lieu que si la société civile elle-même se mobilise et se transforme. Tant que la société civile ne sera pas très réactive, on aura du populisme.

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