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Michel Hazanavicius : l’Europe doit permettre “l’accès à la culture des autres et la promotion mutuelle”

Alors que le 69e Festival de Cannes se tient du 11 au 22 mai, la rédaction de Toute l’Europe est allée à la rencontre du metteur en scène Michel Hazanavicius. Interrogé lors du Forum d’Avignon, organisé à Bordeaux les 31 mars 1er avril derniers, le réalisateur de The Artist et des deux opus d’OSS 117 nous livre son sentiment sur la culture et le cinéma européen à l’heure de la révolution numérique et de la stratégie européenne visant à bâtir un Marché unique du digital. Pour lui, la culture européenne doit avant tout être “diverse”.

Michel Hazanavicius

Touteleurope.eu : Pourquoi participez-vous à des événements comme le Forum d’Avignon ?

Michel Hazanavicius : Je pense que c’est toujours très intéressant de comprendre dans quel contexte on travaille. Moi, j’aime beaucoup écouter des gens qui pensent le monde, qui pensent la culture, qui pensent le cinéma. Mon métier, il se fait plutôt de l’intérieur, il est tout petit : c’est faire des films. Maintenant, de voir dans quoi s’inscrit ma démarche personnelle, c’est très intéressant.

Forum d'Avignon

Le Forum d’Avignon, dont Toute l’Europe est partenaire, s’est déroulé les 31 mars et 1er avril à Bordeaux. Consultez notre article : La culture pour secouer l’Europe

Aujourd’hui, on a l’impression que les artistes doivent être aussi des entrepreneurs, des personnalités politisées… Vous partagez ce constat ? Peut-on encore n’être qu’artiste ?

Je crois beaucoup à l’addition de prototypes et de choses qui ne sont pas toutes reliées les unes aux autres. Il n’y a pas une seule et même manière de définir tous les artistes et les gens qui travaillent dans la culture. Il y a absolument tous les schémas.

Pour ne parler que de mon métier, réalisateur de cinéma, il y a des gens qui aiment mettre les mains dans le cambouis et s’intéresser un peu à l’architecture d’un film, d’une production etc… C’est ce que personnellement j’essaye de faire. A un autre moment de ma vie, j’étais très heureux de n’être que réalisateur et de ne m’intéresser qu’à ça, plan par plan. Après, mon parcours a été progressivement d’aller vers plus de contrôle dans la production de mes films. C’est une démarche qui est personnelle et je n’en ferais pas un modèle.

En tant que président puis vice-président de l’ARP (Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs), vous avez émis des craintes quant à l’avenir de la culture au niveau européen, notamment concernant le marché unique du numérique…

Oui, j’ai des craintes. Même si je pense que nous allons de mieux en mieux. Alors que la perception que nous avons du monde, elle, est de plus en plus catastrophique. Il y a donc un paradoxe sur lequel il faut qu’on travaille : pourquoi cette perception du monde ?

L’avenir de la culture m’inquiète quand je vois la montée des partis extrémistes de tendance fascisante à travers toute l’Europe et maintenant en Amérique du Nord. Et je ne suis effectivement pas sûr que l’ultralibéralisme numérique aille dans le sens de la promotion de valeurs progressistes.

Le modèle français de financement du cinéma est souvent pris en exemple. Pourquoi n’est-il pas adopté à l’étranger ?

Le modèle français a été imposé à la sortie de la guerre. Aujourd’hui, quand vous allez voir un film américain, il y a un tiers du prix du billet qui est reversé au CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée, ndlr] et qui retourne, via des aides automatiques ou sélectives au financement des films à venir français. Il a fallu imposer cela aux Américains. Au départ ils n’étaient pas contents, mais c’est ce qui fait que vous ne trouverez pas une ville dans le monde entier avec plus d’affiches de cinéma qu’à Paris. Le cinéma en France, c’est une industrie qui est vivante et plutôt en bonne forme.

On ne claque pas des doigts pour créer une industrie comme celle-ci. Il faut y aller progressivement et cela doit entrer dans le cadre de négociations, notamment avec les Américains. Dans le traité de libre-échange entre l’Europe et les Etats-Unis, la culture est justement une pierre d’achoppement. Il y a une vraie volonté d’ouverture des marchés de la part des Américains.

Normalement, les Européens ont mis la culture hors du potentiel accord…

Pas tout à fait. Il y a quand même une petite porte de sortie. Les Européens ont effectivement dit oui à l’exception culturelle, assurant que cela n’entrerait pas dans les négociations, mais jusqu’à nouvel ordre. Ce “jusqu’à nouvel ordre” n’est pas très rassurant. Il faut rester vigilant.

Quel est votre impression sur l’époque cinématographique qui est la nôtre en Europe ? Amos Gitaï estime par exemple que la culture doit être subversive pour être dynamique…

Je pense surtout que la culture européenne doit être diverse. Si tout le monde était subversif, ça n’aurait aucun sens. C’est intéressant d’être subversif quand à côté il y a des grosses comédies. Moi je prône un cinéma populaire, de qualité. Il faut des comédies, il faut des films d’amour, il faut des films subversifs. C’est la diversité qui compte.

C’est plutôt le cas en Europe aujourd’hui, mais n’y a-t-il pas un problème dans la diffusion des œuvres ?

Oui, il y a un problème de diffusion. C’est pourquoi la solution dont on entend parler, qui est le marché unique du numérique, je n’y crois pas vraiment. Si c’était vraiment un objectif purement culturel, dans un premier temps, on pourrait faire des partenariats entre les chaines publiques de télévision. Ces dernières pourraient passer des engagements de programmation. Les cinémas également pourraient passer des engagements de programmation. L’Europe pourrait créer des fonds pour aider au sous-titrage des œuvres.

Je ne crois pas à une culture européenne unique, mais un accès aux cultures des autres et une promotion mutuelle, je trouve ça très bien. On n’y arrive pas suffisamment. On a des problèmes d’exploitation, de distribution. Ce n’est pas parfait, mais c’est quand même de mieux en mieux. On travaille pour préserver les principes d’un modèle qui, jusqu’à présent, a permis de survivre à l’arrivée de la télé, du DVD, des chaînes de télé privées, à l’arrivée du numérique, qui ont été autant de mini-révolutions dans cette industrie.

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