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Lutte contre l’évasion fiscale : le Parlement européen veut aller plus loin

Mercredi 13 décembre, le Parlement européen s’est prononcé sur le rapport élaboré par sa commission spéciale constituée à la suite des révélations des Panama Papers en 2016. Approuvé par les eurodéputés à une large majorité, le texte comporte plusieurs mesures visant à renforcer l’action européenne contre l’évasion fiscale. Ainsi que la création d’une nouvelle commission visant à répondre au scandale des Paradise Papers et, in fine, de maintenir la pression sur les gouvernements européens. En effet, les parlementaires européens souhaitent aller plus loin que leur liste noire des paradis fiscaux, dévoilée le 5 décembre.

Hémicycle du Parlement européen de Strasbourg
Hémicycle du Parlement européen de Strasbourg - Crédits : Parlement européen

Depuis 2014 et les révélations relatives au scandale des LuxLeaks, le Parlement européen s’implique dans un domaine qui ne relève théoriquement pas de sa compétence : la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscale. Plusieurs commissions spéciales dédiées ont ainsi été constituées. La troisième, baptisée PANA car formée dans la foulée des Panama Papers en 2016, a vu son rapport final voté à une large majorité, mercredi 13 décembre.

Non contraignant juridiquement, le texte du Parlement européen dispose toutefois d’une forte portée politique et ne peut être ignoré par la Commission européenne et les Etats membres.

La conclusion de ce travail long de dix-huit mois se confronte évidemment à l’actualité. Car avant même que cette commission PANA n’ait eu le temps de faire approuver le fruit de ses investigations, un nouveau scandale fiscal international - les Paradise Papers - éclatait. Et la publication, le 5 décembre, de la très attendue liste noire des paradis fiscaux, élaborée par les ministres européens de l’Economie et des Finances, a encore accru l’intérêt pour le rapport des eurodéputés.

211 recommandations

Ce dernier formule pas moins de 211 recommandations destinées à prolonger les mesures entreprises depuis trois ans par les institutions européennes. Parmi celles-ci : la fin du secret entourant les rescrits fiscaux - qui étaient au cœur des LuxLeaks - l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales et, donc, la liste noire des paradis fiscaux, rendue encore plus nécessaire par les Panama puis les Paradise Papers.

Interrogée par Toute l’Europe, Eva Joly, vice-présidente de la commission spéciale PANA, fait le compte des principaux ajouts adoptés le 13 décembre. “Rapport annuel anti-corruption” , mêmes “obligations comptables” pour les sociétés offshore que pour les sociétés européennes, interdiction pour les fonds européens de “transiter” par les paradis fiscaux ou d’y être “destinés” , “procédures en manquement” pour les Etats membres qui ne respecteraient pas les directives anti-blanchiment, “harmonisation des unités de lutte anti-blanchiment” comme Tracfin en France…

La liste des recommandations approuvées par une majorité d’eurodéputés est longue. “Nous, les progressistes de ce Parlement, avons réussi à faire bouger les lignes” , résume l’ancienne candidate des écologistes à l’élection présidentielle de 2007, satisfaite qu’une partie des libéraux et des conservateurs aient rejoint leurs positions, au premier rang desquels le président de la commission PANA, le conservateur allemand Werner Langen.

Même son de cloche de la part des socialistes français, qui se “félicitent” que les préconisations de la commission PANA aient été retenues concernant “l’encadrement des intermédiaires financiers” ou encore la protection des lanceurs d’alerte. Pour eux, ont-ils déclaré dans un communiqué commun, l’adoption de ce rapport marque “une nouvelle étape pour la justice fiscale” .

La satisfaction, pour les écologistes et les socialistes, aurait même pu être totale si un amendement visant à inscrire quatre Etats membres de l’UE - l’Irlande, le Luxembourg, Malte et les Pays-Bas - sur la liste des paradis fiscaux avait été adopté. L’absence de pays européens sur la liste dévoilée le 5 décembre et de sanctions contraignantes pour les territoires qui s’y trouvent a en effet suscité de nombreuses réactions négatives parmi les eurodéputés.

327 contre 327

La motion ayant recueilli 327 voix pour et… 327 voix contre, elle a par conséquent été rejetée faute de majorité. Une situation “improbable” , déplore Eva Joly, mais qui ne doit, selon elle, pas atténuer le résultat “très positif” obtenu. De la même manière, l’instauration d’un taux d’imposition minimal sur les sociétés a été écartée à quelques voix près. Un échec à relativiser selon elle, dans la mesure où il s’agirait d’un “énorme” changement de paradigme.

D’ici quelques mois, au moment de clôturer le travail de la nouvelle commission spéciale consacrée à l’évasion fiscale, également obtenue à l’occasion du vote du 13 décembre, la gauche européenne espère cette fois recueillir une majorité pour l’adoption de ces dispositions. Et à partir de 2019, avec la nouvelle législature qui sera le fruit des élections européennes, une “commission d’enquête permanente” , pourrait même voir le jour, sur le modèle de celle existant au Sénat des Etats-Unis.

L’ACCIS en ligne de mire

Mais de l’avis général, la réponse européenne aux scandales fiscaux successifs de ces dernières années ne sera complète que si le très ancien projet d’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (ACCIS) voit le jour. La mesure, décrite par la Commission européenne comme le “juge de paix” de la lutte contre l’évasion fiscale, et ardemment défendue par Pierre Moscovici, commissaire européen en charge des questions fiscales, doit en effet permettre la répartition des recettes issues de l’impôt sur les sociétés en fonction du lieu où les profits ont réellement été réalisés.

Comme l’explique Pierre Moscovici, l’instauration de l’ACCIS signifierait “une seule définition des bénéfices imposables des entreprises” et “une seule déclaration de revenus” pour l’ensemble de l’activité en Europe. “Les profits seront ensuite équitablement partagés entre les Etats membres dans lesquels l’entreprise est active et ils seront taxés au taux national” .

Pour Alain Lamassoure, membre du Parti populaire européen (centre-droit) et opposé à l’inscription d’Etats membres sur la liste des paradis fiscaux car ces derniers se sont tous engagés à respecter les règles européennes, il s’agira en effet du “sceau de tous les efforts entrepris depuis trois ans” . Ainsi que la preuve, ou non, de la bonne foi des pays européens coupables de pratiques fiscales agressives. Car sauf changement des règles, c’est à l’unanimité que les Etats membres devront approuver l’ACCIS, normalement avant mi-2019 et le scrutin européen. “Je ne pourrai me déclarer satisfait” de mon mandat de commissaire si ce projet “n’aboutit pas” , a déclaré M. Moscovici, présent dans l’hémicycle strasbourgeois le 12 décembre.

Pour cela, renoncer à l’unanimité est nécessaire, estime Eva Joly. Autrement, les “usual suspects” européens de l’évasion et de l’optimisation fiscale risquent fort de déposer leur véto. Le passage au vote à la majorité qualifiée est à cet égard rendu possible par l’article 116 du traité de Lisbonne, qui prévoit cette disposition en cas d’entrave majeure au bon fonctionnement du marché unique. Même si l’activation de cet article devrait être effectuée… à l’unanimité. Le rapport de la commission spéciale PANA ne sonne donc pas la fin du travail des institutions européenne en matière fiscale, et de nouveaux débats intenses parmi les Vingt-Huit devraient avoir lieu au cours de l’année à venir.

En cas de blocage, outre l’usage de l’article 116, pour rompre avec le principe de l’unanimité, l’ACCIS, pourrait n’être adoptée que par certains Etats membres via une coopération renforcée. Ce moyen permet aux pays désireux d’approfondir l’intégration européenne de le faire sans nécessairement avoir à “attendre” les autres.

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