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Luis Jimena Quesada : “L’Europe sociale est à deux vitesses”

Le 18 octobre 2011, la charte sociale européenne soufflera ses 50 bougies. Peu connue des citoyens, elle constitue pourtant l’équivalent, en termes de droits sociaux, de la Convention européenne des droits de l’homme. L’occasion de dresser un état des lieux des avancées sociales en Europe avec le président du Comité européen des Droits sociaux, Luis Jimena-Quesada.

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Touteleurope.eu : Que permet la Charte sociale du Conseil de l’Europe ?

Luis Jimena-Quesada : La charte sociale européenne est un traité signé par les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe. Adoptée en 1961, elle constitue l’équivalent au niveau social de la Convention européenne des droits de l’homme consacrée aux droits civils et politiques. Le Comité européen des Droits sociaux veille à son respect par les Etats membres, et adresse des décisions enjoignant ceux qui la violeraient à modifier leur législation.


En 1995, la charte introduit un système de plaintes collectives, qui permet aux organisations d’employeurs et aux syndicats nationaux et internationaux, ainsi qu’aux ONG internationales (et dans certains cas nationales) de porter plainte contre les Etats qui violeraient cette charte. Le Comité européen des Droits sociaux est ainsi l’organe qui garantit l’application de cette charte, et ses décisions sont contraignantes.


Parmi les exemples de réalisation de la charte, le comité a obligé en 2010 la Croatie a retirer de la circulation des manuels scolaires contenant des propos à caractère homophobe, ou encore interdit en 2009 à la Bulgarie de supprimer les allocations chômage au bout d’une durée déterminée pour la population Rom.


Touteleurope.eu : Cette charte est-elle respectée par les Etats membres ?


L. J.-Q. : Comme avec la Cour européenne des droits de l’homme, il y a parfois des problèmes d’exécution des décisions du Comité européen des droits sociaux.

L’exécution relève en premier ressort du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, donc des responsables gouvernementaux de chaque pays. Mais parfois, il ne faut pas attendre sa prise de position : lorsque les décisions sont claires, que la violation de la charte est constatée, le gouvernement concerné devrait en tirer unilatéralement les conséquences, ou alors le Parlement national en entamant un processus législatif, ou encore les juges nationaux en appliquant directement la décision.


Mais nous avons un problème de publicité : nos décisions ne sont pas suffisamment connues. C’est pour cela que la tâche des médias est très importante.


Touteleurope.eu : Dans quelle mesure peut-on parler d’un “modèle social européen” ?


L. J.-Q. : On parle d’Europe sociale, mais on constate malheureusement que celle-ci avance à deux vitesses. Il existe des mécanismes permettant une harmonisation sociale vers le haut. Malgré la crise, ce modèle doit être fondé sur l’idée de progressivité et d’égalité. On peut réduire la quantité des prestations, mais non supprimer ces prestations, ce qui va à l’encontre de la dignité des personnes.


De plus, on constate parfois des contradictions entre le droit de l’Union européenne, sur lequel se fonde la Cour de justice de l’UE, et celui du Conseil de l’Europe. Le traité de Lisbonne prévoit l’adhésion de l’UE à la Convention européenne des droits de l’homme pour éviter ce type de conflits au niveau civil et politique, mais pas à la Charte sociale européenne, ce qui serait pourtant nécessaire. Or la Charte des droits fondamentaux de l’UE a justement pris pour modèle la Charte sociale européenne !


Enfin, l’article 53 de la Charte sociale énonce clairement que si la norme sociale qu’elle contient est plus favorable que le droit d’un Etat membre, il faut l’appliquer.


Touteleurope.eu : Quels sont les droits européens aujourd’hui menacés ?


L. J.-Q. : Les budgets sociaux sont remis en cause par la crise, or certains droits pourraient être réajustés. Par exemple, en matière de sécurité sociale, le comité européen des droits sociaux a autorisé une réduction des prestations, pour autant que la situation économique du pays les justifie. Mais d’autres droits ne peuvent pas l’être : la liberté syndicale, les droits des personnes handicapées. Je crois que malgré l’austérité, le problème vient surtout de la manière de répartir les ressources.

De plus, bien que le respect des droits sociaux coûte de l’argent, il en va de même des droits civils et politiques, qui sont même parfois beaucoup plus chers. Pourquoi ne pas réajuster plutôt ces derniers, par exemple en réduisant le coût des campagnes électorales ?


Touteleurope.eu : Comment mieux communiquer sur les droits garantis par la Charte sociale européenne ?

L. J.-Q. : Bien sûr, il existe le site Internet de la Charte sociale européenne mais celui-ci ne suffit pas. Les autorités publiques, les magistratures et surtout les partenaires sociaux ainsi que les ONG, en tant que médiateurs entre la société civile et les pouvoirs publics, ont une responsabilité très importante dans la diffusion et l’application des droits prévus par la charte.

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Comité européen des droits sociaux

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