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Les Palmes dorées d’une Europe tourmentée…

Le Festival de Cannes prône un cinéma international, audacieux, tant sur la forme que sur le fond, toujours exigeant, parfois inaccessible. Une chose est indéniable : les œuvres mises à l’honneur sont souvent sombres, politiques et iconoclastes.

Dimanche, le jury de la 68ème édition du Festival de Cannes remettra au film de son choix le prix le plus prestigieux : la Palme d’or. Chaque année, les jurys changent mais ne se ressemblent pas et, il faut bien l’avouer, récompensent souvent le cinéma européen. Jusqu’à présent, l’Italie, la France et le Royaume-Uni ont particulièrement été gâtés.

Festival de Cannes

2015 pourrait bien perpétuer la tradition et récompenser un film européen. Sur une sélection de 19 films, 11 sont européens et les favoris pour la Palme d’or sont Mia Madre de l’Italien Nanni Moretti, Dheepan de Jacques Audiard, Youth de Paolo Sorrentino et le film hongrois Le fils de Saul.

Peut-on déceler une certaine cohérence, une thématique dans ces ultimes distinctions qui ont été décernées depuis 68 éditions ?

Les palmes d’or ont marqué leur époque et les esprits. Des films à la fois dans l’air du temps et intemporels, ils sont le reflet d’une Europe pétrie d’interrogations et d’incertitudes sur son passé, sur son présent, et projetée en avant, en quête perpétuelle de nouvelles idées, bouillonnante de créativité.
Entre scandales, rejet des carcans religieux, engagement politique et souvenirs de guerre, voici un tour d’horizon non exhaustif des Palmes européennes les plus célèbres…

Le goût du scandale

Si le festival de Cannes est aussi connu, c’est bien entendu grâce aux célébrités qui ont foulé son tapis rouge, mais aussi, et peut-être surtout, pour tous les scandales dont il est coutumier. Chaque édition cannoise a droit à son esclandre et sans un peu de tapage, Cannes n’aurait pas tout à fait la même saveur. Entre Gaspar Noé, Lars von Trier, Buñuel… la Croisette a connu de nombreuses secousses.

Et force est de constater que c’est souvent par les Italiens que le scandale arrive. Même s’ils ne sont pas forcément récompensés, de grands cinéastes comme Pasolini ont su agiter le festival avec talent.

S’ils ont choqué, c’est que les Italiens n’ont pas hésité à livrer une virulente critique anticléricale. À travers le cinéma, ils ont cherché à s’affranchir, eux et la société, du poids de l’Eglise catholique et de son puritanisme. Federico Fellini avait ouvert la voie avec son sulfureux La Dolce Vita (où l’on voit dès la première scène une statue du Christ transportée par hélicoptère au-dessus de Rome).

En 1967, Antonioni reçoit la Palme d’or pour Blow up, un thriller mettant en scène un jeune photographe de mode qui capture par hasard les clichés d’un meurtre. Le film n’a pas choqué pour ses propos, mais pour certaines scènes entièrement dénudées, au point d’être partiellement censuré en Argentine.

Blow up de Michelangelo Antonioni (1967)

Mais lorsqu’il s’agit de choquer la Croisette, les Français ne sont pas en reste, et c’est de loin Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat qui fera le plus de bruit en racontant l’histoire d’un jeune abbé doutant de sa foi et qui sera finalement révélé à Dieu après avoir vu le diable. Cette année-là, c’est l’Allemand Wim Wenders qui est donné favori pour la prestigieuse récompense. Pialat recevra la Palme sous les huées du public et déclarera, dans une ultime provocation : “Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus” .

La Vie d'Adèle

La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche (2013)

La dernière palme controversée en date est La Vie d’Adèle du franco-tunisien Abdellatif Kechiche. Si le film dure trois heures et relate une histoire d’amour tumultueuse entre deux jeunes femmes, beaucoup n’en retiendront, une fois sortis de la salle de projection, que les dix minutes de scènes de sexe très explicites entre les deux héroïnes. Quelques mois après les houleux débats qui ont divisé la France sur la légalisation du mariage homosexuel, la décision de récompenser un film aussi charnel que poignant est presque un acte politique de la part du jury.

L’âge d’or du cinéma italien consacré

Les palmes italiennes sont surtout concentrées dans les années 50, 60 et 70, les décennies qui marquent l’âge d’or du cinéma italien. Quel que soit leur genre ou leur style, ce sont des œuvres crépusculaires, pessimistes, qui dépeignent un monde décadent et déliquescent.

Quatre ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Cannes récompense (ex aequo avec tous les autres films en compétition) Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini. Un film difficile où le réalisateur relate les activités résistantes d’enfants et dénonce l’horreur de la guerre. La véracité des faits relatés dans ce film est telle que Rome, ville ouverte est parfois considéré comme un document historique. Il fait dans tous les cas partie des chefs-d’œuvre du cinéma italien néoréaliste.

La Dolce Vita

La Dolce Vita de Federico Fellini (1960)

Après le néoréalisme de Rossellini s’impose la flamboyance baroque de Fellini qui remportera la Palme d’or en 1960 avec La Dolce Vita, lui aussi devenu un classique. Faisant la critique d’une société mondaine en déclin, c’est ce film qui a inventé le terme “paparazzi” (qui signifie “moustique” en italien) pour désigner les photographes de célébrités. Bien loin du scandale qu’il a pu susciter lors de sa projection à Cannes, La Dolce Vita est en vérité un long film mélancolique sur la perte de l’innocence et le désespoir du personnage principal (interprété par Marcello Mastroianni) de ne pas trouver de sens à son existence.

Dans la même thématique, Le Guépard de Luchino Visconti, primé en 1963, est une adaptation du célèbre roman de Lampedusa qui décrit le lent déclin de l’aristocratie italienne avant l’unification du pays.

Couronner une France audacieuse

À Cannes, la France a su se démarquer et se faire reconnaître à travers des œuvres expérimentales, des aventures formelles, des films proposant une réflexion intellectuelle, ou flirtant avec le scandale. Sur la Croisette, la France n’a de cesse de bousculer les codes. Après tout, c’est bien au Festival de Cannes que la Nouvelle Vague et ses auteurs ont pris leur essor…

Le Salaire de la Peur (1953), réalisé par Henri-George Clouzot, suit deux hommes risquant leur vie au volant d’un convoi transportant des explosifs dans des conditions extrêmes. Un road movie à la fois spectaculaire et intimiste, angoissant et sous haute tension où le cinéaste français dissèque les rapports de domination entre les humains. À jour, Le Salaire de la Peur est le film primé à Cannes qui a connu le plus de succès en salles.

Le Monde du Silence

Le Monde du Silence de Louis Malle et Jacques-Yves Cousteau (1956)

Trois ans plus tard, c’est à nouveau la France qui reçoit la plus haute récompense du festival avec Le Monde du silence. Il s’agit du deuxième documentaire au monde proposant des images sous-marines en couleur. Loin des films habituels du genre, cette œuvre réalisée par Louis Malle (à l’époque inconnu) et le Commandant Cousteau offre au public des images des fonds maritimes teintées d’une rare poésie où plongeurs et poissons communient dans une sorte de danse hypnotique. Son récit constitue une véritable aventure de 85 minutes pleine de tendresse et de magie.

Plus tard, ce n’est plus pour le silence, mais pour la musique que la France se démarquera par deux fois. D’abord en 1959, avec Orfeu Negro où le réalisateur Marcel Camus revisite le mythe d’Orphée en plein cœur du carnaval de Rio. Tandis que l’exotisme et la sensualité du film a conquis le jury, sa projection à Cannes en portugais non sous-titré lui a valu d’être acclamé par les intellectuels anticolonialistes, en plein cœur de la guerre d’Algérie (1954-1962).

Orfeu Negro de Marcel Camus (1959)

Si Les Parapluies de Cherbourg ravissent encore aujourd’hui les fans de Jacques Demy, sa récompense au festival de Cannes a été particulièrement controversée. Critiquée par les intellectuels de l’époque qui dénigraient la comédie musicale, un genre assez peu exploité à l’époque en France, boudé par le public et considéré comme mineur. Il est vrai que Demy irrite avec son film aux apparences naïves où les dialogues chantés et les décors bigarrés ne font qu’illustrer des sujets graves tels que la guerre d’Algérie qui a marqué et humilié la France.

Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy (1964)

Plus de cinquante ans plus tard, Entre les murs de Laurent Cantet marque la Croisette. Tourné avec plusieurs caméras et des acteurs amateurs, le réalisateur met en scène un professeur face à ses collégiens. Original sur sa forme, ce docu-fiction se penche sur la question de la transmission du savoir en proposant une réflexion sur l’école de la République à la française et en s’interrogeant sur les rapports entre les enseignants et leurs élèves, notamment sous le prisme de la mixité sociale.

Le Royaume-Uni en proie aux luttes sociales

Outre-manche, les films sont très souvent marqués par la réalité de la société britannique. Dans un pays où il suffit d’entendre un accent pour deviner l’origine sociale, les œuvres cinématographiques qui ont reçu la Palme d’or sont presque toujours politiques, chargées de revendications.

Ainsi, un an après mai 1968, c’est If qui est mis à l’honneur. Le film relate la révolte de jeunes élèves d’une école privée contre une société trop autoritaire, étriquée et policée.

If… de Lindsay Anderson (1969)

En 1971 et 1973, deux films britanniques ayant des thématiques très similaires sont primés : Le Messager de Joseph Losey et La Méprise d’Alan Bridges. Tous deux mettent en scène des histoires d’amour impossibles et tragiques entre aristocrates et domestiques : la lutte des classes y atteint son paroxysme.

Secrets et mensonges

Secrets et mensonges de Mike Leigh (1996)

En 1996, c’est Secrets et mensonges de Mike Leigh qui est récompensé. Avec son héroïne, une jeune Londonienne noire et aisée qui rencontre pour la première fois sa mère biologique blanche issu d’un milieu ouvrier, le cinéma britannique s’attelle ici aux problématiques non plus seulement sociales, mais aussi raciales.

Habitué de Cannes, Ken Loach a présenté en 2006 Le vent se lève. Fidèle à son goût pour les thématiques politico-sociales mises en scène dans un style épuré et naturaliste, le réalisateur britannique nous plonge dans la guerre d’indépendance irlandaise.

Le spectre de la Seconde Guerre mondiale

Le festival de Cannes a été fondé en 1946, soit un an après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Difficile d’oublier si vite un tel conflit pour une Europe encore meurtrie par ces six années de guerre. Et malgré les années, l’Europe ne parvient pas à faire son deuil. Le spectre de 1939-1945 s’invite régulièrement sur la Croisette.

Que la guerre soit abordée frontalement ou en filigrane, elle est toujours là. Les réalisateurs européens s’en emparent pour s’interroger sur la politique, pour explorer l’histoire du continent, ou même, tout simplement, pour sonder la nature humaine.

Adapté du roman de l’auteur allemand Günther Grass, Le Tambour est un film qui marque. Il retrace dans un style baroque, burlesque et surtout très sombre la Seconde Guerre mondiale, sa violence et son absurdité. Le spectateur suit le héros, Oskar, qui refuse de grandir et parcourt l’histoire de son pays dans le corps d’un enfant de trois ans, toujours accompagné de son petit tambour. Le film marquera surtout pour des scènes de sexe entre une femme et ce jeune garçon au visage envoûtant.

Le Tambour de Volker Schlöndorff (1979)

La Palme d’or remise en 1995 a bien failli faire arrêter le cinéma à son réalisateur. Dans Underground, Emir Kusturica retrace le parcours de résistants enfermés sous terre du début de la Seconde Guerre mondiale aux années 1990. Dans son style hystérique habituel, le cinéaste yougoslave livre une œuvre cynique sur l’opportunisme et la manipulation des dirigeants politiques. Le film a fait grand bruit et provoqué un véritable scandale, taxant Kusturica de fasciste

Le Pianiste de Roman Polanski (2002)

Dès sa présentation à Cannes en 2002, Le Pianiste de Roman Polanski, qui relate l’histoire d’un Polonais juif fuyant les nazis qui occupent son pays, a reçu une pluie de récompenses. Le film, très académique, tranche avec les œuvres précédentes du réalisateur polonais, habituellement plus torturé, spécialiste de la folie et de la paranoïa et cinématographiquement plus aventureux. Il est ici récompensé pour un film très académique, mais dont l’histoire forte, intime et touchante est inspirée de la propre expérience de Roman Polanski alors qu’il vivait, enfant, à Cracovie.

L’Autrichien Mickael Haneke est lui aussi un habitué de la Croisette. Il remporte sa première Palme avec Le Ruban Blanc, une œuvre inquiétante et austère qui s’intéresse aux violences commises par des enfants vivant un petit village d’Allemagne dans les années 1910. Le réalisateur traite ici de la naissance de la violence et de la barbarie. Ces enfants deviendront adultes lors de la Seconde Guerre mondiale.

Quand Cannes s’ouvre et récompense la radicalité

Si les Palmes d’or sont essentiellement italiennes, françaises et britanniques, le jury a su s’ouvrir à d’autres pays : en Yougoslavie avec Kusturica, en Pologne avec Polanski, en Autriche avec Haneke… Si le festival a visiblement des favoris, ses frontières n’en sont pas pour autant fermées, et il a su faire quelques rares incursions à l’est et au nord de l’Europe pour des films souvent âpres, radicaux et sans concession.

En 2000, le très controversé Lars von Trier émeut le festival avec Dancer in the Dark où la chanteuse islandaise Bjork campe une mère quasi aveugle prête à tous les sacrifices pour son fils. Le réalisateur danois mêle dans ce film des scènes de chant et de danse d’une grande poésie à des scènes d’une violence et d’une dureté rares. Le cinéaste danois est aujourd’hui interdit de festival après avoir eu des propos jugés antisémites en 2011.

https://youtube.com/watch?v=62pLY5zFTtc

Dancer in the dark de Lars von Trier (2000)

4 mois, 3 semaines et 2 jours vaut à la Roumanie sa première Palme d’or. Sous la dictature de Ceaucescu, une jeune femme aide sa colocataire à se faire avorter ; toutes deux vont tomber sous la coupe d’un médecin mal intentionné. Des images chocs, où l’on voit à l’écran le fœtus avorté, pour un sujet douloureux, cette récompense ne s’est faite sans polémique…

Grâce aux frères Dardenne, la Belgique a remporté deux palmes d’or pour Rosetta (1999) et L’Enfant (2005). Leur cinéma est profondément marqué par un naturalisme sec et s’attarde sur le monde de la précarité sociale pour mieux dévoiler les instincts humains.

https://youtube.com/watch?v=4SnD819XNJ0

L’Enfant de Luc et Jean-Pierre Dardenne (2005)

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