Des coalitions d’intérêt complexes
Les Nations unies tentent depuis longtemps de classifier les différentes parties aux négociations climatiques. Une catégorisation rigide, ancienne et insuffisante pour comprendre la complexité des coalitions en vue de la COP 21. A l’inverse, les groupes de négociations, de loin les acteurs les plus dynamiques, permettent d’établir une cartographie des rapports de force. Réunissant tous les Etats avec des intérêts communs à défendre dans les négociations climatiques, ces groupes proposent l’image d’un monde divisé en “blocs” , rappelant la logique de la Guerre froide.
Les Etats non répertoriés dans ces deux listes, principalement des pays en voie de développement, ont formé de facto un groupe à part, aujourd’hui majoritaire dans les négociations.
Pour autant, ces blocs forment un panel hétérogène, où luttes d’influence et alliances ne suivent aucune logique préétablie. Parfait exemple de cette géométrie variable, les pays industrialisés se divisent en deux groupes principaux. D’une part l’UE et ses 28 Etats membres négocient d’une même voix malgré leurs disparités et divergences. Favorable à l’adoption de quotas d’émissions contraignants, l’UE définit à 28 ces positions lors des Conseils européens. D’autre part le groupe “Umbrella” regroupe les pays hors UE industrialisés : les Etats-Unis, le Canada, l’Ukraine, la Russie, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Japon, l’Islande et l’Australie. Une composition bigarrée expliquant l’élasticité de leurs positions dans les négociations. A l’instar de la Russie, ce groupe s’affiche par exemple favorable à une prise en compte des données nationales dans la répartition des quotas d’émission.
Des revendications différentes entre le Nord et le Sud
Aux côtés de ces coalitions de pays industrialisés, une myriade de groupes de négociations s’est développée, en fonction de caractéristiques économiques, géographiques et d’intérêts communs. Pays émergents et en voie de développement faisaient initialement partie de l’immense ensemble G77. Coalition historique de 133 pays émergents, le G77 tend aujourd’hui à s’effacer, faute de défendre une position cohérente, au profit de coalitions plus petites mais aussi plus dynamiques. Ainsi, les pays africains se rassemblent en un même groupe continental alors que certains, comme la République démocratique du Congo, font également partie d’autres sous-divisions, comme celle des pays les moins avancés (PMA), voire de la Coalition des nations à forêts tropicales (“Coalition for Rainforest nations”).
Cette dernière, organisation internationale constituée de pays forestiers, cherche à harmoniser les positions de ses membres. Traversant les continents, cette coalition, dont le Brésil est le principal absent, regroupe une quinzaine de pays d’Amérique centrale et du Sud, des Caraïbes, d’Afrique centrale et d’Océanie, soucieux des enjeux de déforestations. Le gain de poids des petits pays dans les négociations tient donc beaucoup à leurs regroupements en coalitions, malgré l’image de mosaïque qui s’en dégage.
Déclinés en sous-groupes régionaux et économiques, les pays émergents gardent un objectif commun : celui de porter dans les négociations les questions d’adaptation au réchauffement climatique. Ayant en commun d’émettre une part marginale de gaz à effet de serre, les membres de ces groupes, comme AOSIS, l’Alliance des petits Etats insulaires, sont en revanche particulièrement vulnérables aux conséquences du réchauffement climatique. Les membres d’AOSIS représentent 20% des pays représentés aux Nations unies et donc 20% des votes lors des négociations, tout en défendant la prise en compte spécifique des pays vulnérables à la hausse du niveau des eaux et en réclamant que l’objectif de hausse de température moyenne soit ramené de 2 à 1,5 degré. Pour financer l’adaptation au réchauffement climatique, ces pays défendent le principe de l’attribution d’aides supplémentaires.
En ce qui concerne la Chine, membre particulier du G77, le pays plaide pour une répartition des émissions en fonction de la population, tout en rappelant que 35% de sa production industrielle est exportée, d’où son insatisfaction devant une solution ne prenant en compte que les émissions globales de gaz à effet de serre. Quant aux pays pétroliers de l’OPEP, ces derniers sont également regroupés en un groupe de négociation spécifique.
De nouveaux leaders en amont de la COP 21 ?
Devant cette multiplicité d’acteurs et de coalitions, les négociations de la COP 21 s’annoncent ardues et se cherchent un chef de file. Alors que l’Union européenne a toujours fait des négociations climatiques un pilier de sa diplomatie, permettant d’asseoir son leadership sur la scène internationale, d’autres géants montent en puissance. L’annonce d’un engagement entre la Chine et les Etats-Unis, plus gros pollueurs au monde, sur la réduction de leurs émissions de CO2, en novembre dernier, marque leur volonté d’être au centre des négociations et de les contrôler.
Les intérêts entre coalitions sont profondément différents et leur conciliation semble bien fragile aujourd’hui. La multiplicité des situations et la méfiance réciproque régnant entre les négociateurs sont loin de créer un climat porteur pour la COP 21. Pour autant, le souvenir de l’échec cuisant de Copenhague tout comme l’urgence de la situation climatique, devraient être dans les esprits des milliers de représentants, comme un appel à dépasser ces propres intérêts nationaux.
* Article écrit dans le cadre d’un projet collectif avec Sciences Po Paris, dont les participants sont Hugo Lequertier, Abderrazak Ouassat, Lucile Rogissart et Claire Sandevoir