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“Les 50 ans du Traité de l’Elysée - et après ?” : compte-rendu de la conférence du 12 février 2013

Le 12 février, Toute l’Europe a organisé, en partenariat avec le Deutsch-Französisches Institut (DFI), Paris-Berlin et le Goethe Institut, une conférence intitulée “les 50 ans Traité de l’Elysée - et après ?…”. Sous la forme d’une session plénière et de trois tables-rondes, cet événement a réuni des acteurs publics, institutionnels et privés, mais également des chercheurs et des journalistes pour débattre autour de ce 50ème anniversaire du Traité de l’Elysée. Le but de cette matinée de débats était notamment une mise en perspective des trois domaines phares de la coopération franco-allemande au sein de l’Union européenne : le Traité, l’essor de l’économie franco-allemande, les questions énergétiques et le domaine budgétaire, très discuté lors du Conseil européen.

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Plénière matinale : bilan et légitimité du couple franco-allemand

La plénière matinale, modérée par Pierre Rousselin du Figaro, a proposé de faire un bilan de cet anniversaire historique tout en interrogeant la légitimité du couple franco-allemand, avec les invités Paul Freiherr von Maltzahn, vice-président de la DGAP (Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik), Michael Ohnmacht, conseiller pour les questions franco-allemandes au Ministère des Affaires étrangères, Henri de Bresson, rédacteur en chef de Paris-Berlin et Jacqueline Hénard, essayiste et journaliste.

Les intervenants s’accordent de faire un bilan positif de la relation franco-allemande tant au niveau bilatéral qu’européen. Malgré le contexte budgétaire, 1 200 évènements pour célébrer le 50ème anniversaire sont organisés cette année en France et en Allemagne. L’esprit de coopération entre citoyens est ainsi relancé, notamment grâce aux jumelages entre les villes franco-allemandes. Comme cette année la jeunesse fait partie des principales priorités de cette coopération franco-allemande, l’OFAJ s’est vu augmenter son budget annuel afin de favoriser la compréhension mutuelle et l’apprentissage des deux langues dans chacun des deux pays. Michael Ohnmacht précise qu’un projet de lycée franco-allemand professionnel, ainsi qu’une agence franco-allemande de l’emploi sont envisagés. Cette relation bilatérale est importante et sert notamment d’instrument pour une dimension plus européenne.

Henri de Bresson mitige ce bilan en regrettant le manque de « pathos » à Berlin, lors des célébrations autour du Traité de l’Elysée, puisqu’il n’y a pas eu de positionnement commun sur le Mali, ni en matière budgétaire. Cependant, ce manque de prise de positions communes n’est pas forcément un signe de crise au sein du couple franco-allemand, comme l’a suggéré Pierre Rousselin. Au contraire, Paul Freiherr von Maltzahn, voit le couple franco-allemand comme un mariage d’intérêts dont la bonne entente est essentielle pour le bien-être de l’Europe. La force de ce mariage est sa capacité de trouver des compromis. Les divergences entre Français et Allemands alimentent une réflexion profonde dans les administrations.

Si le couple franco-allemand semble aujourd’hui toujours légitime, Jacqueline Hénard se demande s’il le sera toujours à l’avenir. La place des jeunes dans la société actuelle est un facteur important à prendre en compte, puisque, face à une société vieillissante où les choix politiques sont orientés vers les personnes âgées, ils ne semblent pas trouver leur place. Si en Allemagne, l’on fait appel à la jeunesse dans un but purement utilitaire pour relancer la natalité et financer les retraites, en France - société qui bénéficie d’une natalité plus élevée- l’on peine à lutter contre le chômage des jeunes. Ainsi, de part et d’autre du Rhin, les politiques manquent manifestement de dynamisme envers cette catégorie de la société.

Aussi, la passion européenne se voit réduite auprès des jeunes : bien qu’ils partagent les valeurs européennes, ils ont du mal à s’identifier avec cette Europe institutionnelle et ses leaders politiques.

Première table ronde : le couple franco-allemand et la transition énergétique

La première table ronde, animée par Prof. Frank Baasner, Directeur du DFI, s’est concentrée sur la transition énergétique et les coopérations franco-allemandes dans le secteur de l’énergie avec les interventions de la députée européenne Catherine Trautmann, Henry Reese, Directeur de l’Association franco-allemande pour l’énergie, Michel Derdevet, Maître de conférences à l’IEP de Paris, et Wolfram Vogel, Directeur d’Epexspot.

Henry C. Reese
et Michel Derdevet estiment qu’il n’y a pas eu d’âge d’or franco-allemand en matière énergétique : les projets communs n’ont pas forcément été des succès dû à des hésitations permanentes entre les politiques franco-allemandes. Cependant, Henry C. Reese est optimiste quant à des futurs projets franco-allemands en la matière. Comme Michel Derdevet l’indique, les deux pays sont interdépendants à travers des infrastructures partagées et la mise en place d’un espace de solidarité énergétique. Les chantiers communs appellent à un ciblage commun des enjeux et à une transparence des stratégies énergétiques de part et d’autre du Rhin.

Michel Derdevet rappelle que si certains sujets font l’objet d’un traitement franco-allemand, c’est le cas pour la pauvreté énergétique, d’autres, comme l’efficience énergétique, sont plus efficaces lorsqu’ils sont traités au niveau européen. Selon lui, il est important de rééquilibrer les politiques énergétiques, afin qu’elles tiennent compte des effets sociaux. Afin que l’Europe se rapproche de ses citoyens, dans le contexte des élections européennes de 2014, elle doit trouver des réponses politiques à des sujets d’intérêt primaire pour les citoyens, comme le prix de l’électricité.

En réaction aux interventions de Henry C. Reese et Michel Derdevet, Wolfram Vogel et Catherine Trautmann sont d’avis que le marché de l’électricité est intégré en Europe et a donc un pouvoir d’harmonisation. Wolfram Vogel ajoute que l’avènement de la transition énergétique de part et d’autre du Rhin est l’occasion de mener un véritable débat européen sur cette question, puisque cette transition sera européenne ou ne le sera pas. Malgré les divergences qui peuvent exister entre la France et l’Allemagne en matière énergétique, les deux pays sont bien décidés de réduire leur part du nucléaire de 25%. Ainsi, ce point de convergence prime sur les mix énergétiques différents de ces deux pays.
Selon Wolfram Vogel, l’articulation du marché et du réseau est essentiel pour réussir la transition énergétique en Europe.

Catherine Trautmann, députée européenne (S&D, FR), rappelle que la dépendance énergétique européenne s’est accrue depuis la fin des années 90 et qu’elle ne va pas sans impacts. En effet, certaines entreprises, notamment en Pologne, se plaignent de devoir maintenir un niveau de production supérieur aux besoins pour assurer les cas de pénuries. Il ne faut pas non plus oublier les problèmes diplomatiques, qui peuvent exister, bien que l’interdépendance, notamment avec la Russie, atténue ces tensions.

La députée déplore qu’aujourd’hui, malgré les objectifs fixés par la Commission en matière énergétique (« objectifs 20-20-20 »), la convergence de la production d’électricité au niveau européen n’est pas prévue, ce qui crée une situation disparate sur le vieux continent. Selon elle, la Commission devrait davantage inciter les Etats-membres à sortir de leur zone de confort afin de rejoindre la dynamique créée par le marché. Cela signifie que les Etats-membres devraient investir dans les réseaux, mais cela devrait également signifier une partie de financement par le budget européen, qui aujourd’hui fait défaut. Le marché de l’énergie est un marché qui consolide la base économique de la zone euro et c’est sur ce marché que l’on devrait constituer la sécurité des industries productives et des services en Europe.

La députée européenne conclut en disant que la transition énergétique en Allemagne est le fruit d’une démarche globale et que la France aurait peut-être besoin d’un débat public à ce sujet.

Deuxième table ronde : Focus sur les PME

La conférence s’est poursuivie avec une deuxième table-ronde autour des limites de l’essor économique et de l’avenir pour les PME franco-allemandes. Cette table-ronde a été animée par Olivier Breton, directeur de la publication de Paris-Berlin, et a réuni les interventions de Jacques Pateau, Directeur de ‘Pateau Consultants’, Christian Stoffaes, Directeur du Conseil d’analyse franco-allemand, Pierre Zapp, Directeur du french Desk de Mazars, et Dorothée Kohler, Directrice de Kohler C&C.

Selon Dorothée Kohler, le Mittelstand est un terme utilisé pour désigner les entreprises familiales. Il renvoie à la culture d’un chemin de croissance entre la PME et le champion caché de plus grande taille. Ce sont des entreprises spécialisées sur des marchés de niche et qui privilégient un mode d’innovation incrémentale. C’est ce qu’on appelle « la perfection du banal », selon la directrice de Kohler C&C. Par ailleurs, ces entreprises suivent très attentivement les évolutions de comportement de leurs clients dans tous les pays où elles sont implantées, afin d’offrir les meilleurs services possibles, privilégiant de manière croissante une différenciation par le service.
Christian Stoffaes, quant à lui, affirme que le Mittelstand n’est pas un concept français, la France étant construite sur un idéal républicain.

Malgré ces différentes conceptions des PME de part et d’autre du Rhin, Pierre Zapp estime que ces petites ou moyennes entreprises françaises et allemandes seront amenées à coopérer parce que la concurrence a tendance à diminuer. Christian Stoffaes ajoute que le sujet dominant aujourd’hui est la compétitivité des entreprises ; aussi, des enjeux plus bilatéraux, comme l’évolution démographique et politique, voire la transition énergétique, appellent à des réponses communes. Dans ce contexte le facteur humain joue un rôle central et les différences entre Allemands et Français devraient être exploitées comme atout, pour cela la notion de dialogue est très importante pour ce directeur.

Pour Jacques Pateau, la notion de stratégie européenne est assez limitée dans les entreprises : les avantages des entreprises allemandes, qui expliquent leur innovation incrémentale, sont la « culture d’assimilation progressive » des Allemands, leur « plaisir de la routine » et la valorisation de chaque spécialiste. Le seul désavantage des entreprises cité est leur manque de transversalité.
Dorothée Kohler souligne également le paradoxe du Mittelstand : un ancrage local maintenu sur la durée et une forte internationalisation. Les produits sont adaptés aux besoins locaux et aux réseaux de sous-traitance. Cette implantation se fait avec prudence à l’exemple de la Chine où les entreprises du Mittelstand procèdent par étapes, préservant les fonctions stratégiques de R&D en Allemagne.

Troisième table-ronde : le couple franco-allemand à l’épreuve des négociations budgétaires

Pour clôturer cette demi-journée de débats la troisième table-ronde, autour de Jean-Louis Bianco, ancien secrétaire général de l’Elysée, Christophe Braouet, Président de la Société Franco-allemande et François Hellio, avocat associé au cabinet CMS bureau Francis Lefebevre modérée par Emilie Louis, rédactrice en chef de Toute l’Europe, porte sur la mise à l’épreuve du couple franco-allemand lors des négociations budgétaires de l’UE.

Jean Louis-Bianco et Christophe Braouet sont d’avis que l’Europe a besoin de plus de courage politique, mais que, hélas, nous en sommes encore très loin. Pour l’ancien secrétaire général de l’Elysée, bien qu’il soit normal que des négociations à 27 prennent du temps, l’accord trouvé est décevant et l’on aurait pu souhaiter une attitude différente des chefs d’Etat. Un budget constitué par 1% du PIB de l’UE lui semble ridicule, surtout si l’on sait, comme le fait remarquer Christophe Braouet, qu’1% du PIB correspond au montant alloué au budget américain en 1932 ; ce qui indique que l’Union européenne en est encore très éloignée. Les deux intervenants déplorent aussi d’une part que le budget ne favorise pas la compétitivité et que d’autre part, malgré la réduction de la part du budget destinée à la PAC, l’on continue de dédier 70% du budget à des sujets qui ne concernent que 2% de la population européenne.

Christophe Braouet explique l’exigence de rigueur budgétaire de l’Allemagne par le fait qu’elle ait réussi à équilibrer son budget après une période d’endettement important -56%- entre 2002 et 2005, alors que d’autres pays, comme la France, peinent aujourd’hui à tenir leur déficit dans les 4%. Il est essentiel pour la France de faire sa conversion à l’économie de marché, si elle veut rééquilibrer son budget.

En matière de fiscalité, le couple franco-allemand doit être un moteur, néanmoins aujourd’hui il existe encore beaucoup de divergences entre ces deux pays en particulier, mais aussi entre les 27 en général. François Hellio explique qu’en une vingtaine d’années, l’UE a adopté trois à quatre directives concernant la fiscalité des entreprises, ce qui est relativement peu. Aujourd’hui, la Commission travaille sur un projet de directive ambitieux, qui vise à fixer une assiette commune en matière d’imposition des entreprises.

La France est très friande de créer en permanence de nouvelles taxes, ce qui crée une instabilité permanente. Les lois sont votées dans la précipitation sans en évaluer l’impact, alors qu’en Allemagne les lois fiscales sont votées de manière beaucoup plus sereine, même si selon Christophe Braouet, la simplicité fiscale n’est pas à l’ordre du jour en Allemagne non plus.

Cependant, la différence entre la France et l’Allemagne se trouve au niveau des investissements : sur les dix dernières années, les entreprises allemandes ont investi 30% de plus en recherche et développement, alors que les investissements des entreprises françaises sont restés constants. Les entreprises françaises doivent donc dégager plus de marges à consacrer à la recherche et au développement.

Jean-Louis Bianco est d’avis que la recherche doit relever d’un effort national, mais que davantage de moyens européens doivent être dégagés, notamment par le biais de cofinancements.

Conclusion

Grâce à la qualité des intervenants, cette demi-journée de débats a été riche en échanges. 50 ans après la signature du Traité de l’Elysée, le couple franco-allemand continue de susciter un grand intérêt et relève de nombreuses questions. Bien qu’ils jouent toujours un rôle moteur en Europe, des divergences entre ces deux pays persistent, notamment en matière fiscale et énergétique. Le budget européen, qui a révélé que les intérêts nationaux priment sur l’intérêt européen, reste également un point d’achoppement de l’entente franco-allemande.

En 2013, ce couple peut, néanmoins, être considéré légitime, notamment lorsqu’il s’agit d’élaborer des projets bilatéraux, qui favorisent la compréhension mutuelle. Les points de désaccord de ce couple font, grâce à sa capacité à trouver des compromis, sa force et permettent à l’Union européenne d’avancer plus rapidement sur certains sujets.

Cependant, le couple franco-allemand n’abuse pas de sa position dominante en Europe et sait laisser place aux 27 sur des sujets où l’Union est jugée plus efficace, notamment en matière d’efficience énergétique.

Il lui faut aujourd’hui trouver les moyens pour éveiller l’intérêt de la jeunesse au franco-allemande, mais aussi laisser place à la ‘passion européenne’ pour assurer le maintien de ce couple et de la construction de l’Union européenne.

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