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Le libre-échange au coeur de la construction européenne

La forte médiatisation des accords commerciaux européens, liée notamment au traité CETA avec le Canada ou au projet avec le Mercosur, pourrait laisser penser que le libre-échange est courant et privilégié par les Etats. Mais la réalité est toute autre : historiquement, le commerce libre de droits douaniers et de barrières est une exception.

Le libre-échange au coeur de la construction européenne

Les frontières des nations ont toujours constitué un frein au libre-échange, tandis que les Etats ont toujours préféré les biens nationaux à l’importation. Il faut attendre les modèles économiques classiques d’Adam Smith ou de Ricardo pour donner du crédit aux bénéfices d’un commerce interétatique libre.

Les dirigeants prennent alors conscience de l’intérêt du libre-échange, qui n’est en pratique que le fruit d’accords internationaux, rares et limités. Les premiers sont unilatéraux, à l’image des traités imposés par les puissances coloniales à la Chine, à la Corée et au Japon au XIXème siècle : un pays fort force un autre plus faible à ouvrir ses frontières commerciales, souvent sous pression militaire. Dans le même temps, le premier pays conserve ses barrières tarifaires, et ainsi un avantage commercial certain.

Puis viennent les accords bilatéraux, fruits de la réciprocité commerciale entre deux pays amis : souvent équitables, ils sont toujours d’actualité - à l’image des chantiers du CETA, de l’accord avec le Mercosur ou encore du TTIP.

La mondialisation en cours apporte également la nécessité de concevoir des accords de libre-échange permettant à plusieurs parties de bénéficier de ses avantages : ce sont les accords multilatéraux. L’Union européenne est en soi un exemple notoire d’accord multilatéral (qui dépasse évidemment les seules questions commerciales), puisqu’elle a mis en place une zone de libre-échange de biens et de services entre ses Etats membres. Le libre commerce est ainsi au cœur même, historiquement et idéologiquement, de la construction européenne.

Pourquoi échanger librement ?

Si l’UE n’hésite pas à promouvoir activement le libre-échange, y compris vis-à-vis de ses partenaires extérieurs, c’est que de nombreux avantages en sont attendus. La baisse des prix des biens et services, une plus grande compétitivité ou une croissance économique plus soutenue font notamment partie des nombreux bénéfices prêtés à la libre circulation des biens et services.

La concurrence due à l’importation de produits étrangers permet aux consommateurs de disposer de plus de choix et pousse ainsi les prix à la baisse. Face à une concurrence internationale, les producteurs locaux se spécialisent dans les productions où ils sont les plus efficaces, augmentant leur productivité et leur compétitivité sur le marché globalisé.

La baisse des prix - donc une plus forte demande - couplée à une hausse de la productivité et de la compétitivité mène alors à une plus forte croissance économique.

Du point de vue du commerce extérieur, la Commission européenne considère que l’ouverture économique apporte des “avantages considérables à l’Union” et attribue aux bienfaits du commerce extérieur près de 30 millions d’emplois européens.

La coopération économique et commerciale européenne

Le commerce international est l’un des premiers secteurs dans lequel les États membres de l’Union ont accepté de céder leur souveraineté. Le traité de Paris (1951), fondateur de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), a été le premier pas de la construction européenne, ainsi que la première pierre du libre-échangisme européen.

Dans le but de rendre la guerre “matériellement impossible (Robert Schuman), la CECA a instauré un marché commun pour le charbon et l’acier entre les six Etats signataires - France, RFA, Italie, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas. Un marché qui s’étendra, avec la Communauté économique européenne, à d’autres secteurs, puis à d’autres pays avec les élargissements successifs et même la création en 1994 de l’Espace Economique Européen (fusion de la Communauté européenne et de trois pays membres de l’Association Européenne de Libre-Echange). La zone de libre circulation des biens, services, capitaux et personnes inclut dès lors des pays extérieurs aux institutions de l’Union européenne.

Le libre-échange, pierre angulaire de la politique commerciale européenne

La politique commerciale de l’UE s’inscrit dès lors dans la tradition libre-échangiste qu’elle a formée. Les plus récents engagements et professions de foi des institutions européennes mettent largement en avant la perspective d’un commerce international libre de droits douaniers.

Le commerce international est ainsi affiché comme l’un des piliers de la nouvelle stratégie “Europe 2020” dans la communication “Commerce, croissance et affaires mondiales” (2010) de la Commission. Plus récemment, l’UE a plaidé en 2015 pour une relance de l’Organisation Mondiale du Commerce dans le cadre de sa stratégie “le Commerce Pour Tous” publiée par la Commission. Ce document promeut un commerce international fondé sur la libre circulation des biens et services - et dans lequel l’OMC aurait un rôle prépondérant de régulation globale et de défenseur du libre-échange.

Un libre échange tempéré

Pourtant, certaines mesures de protection des intérêts de l’UE laissent planer le doute sur l’efficacité des stratégies libre-échangistes clamées par la Commission. On peut considérer que, sous certains aspects, l’UE protège volontairement les intérêts de son économie contre la concurrence étrangère au moyen d’outils tarifaires - droits de douanes - et non tarifaires - quotas, normes, etc.

Ces mécanismes de défense de l’économie européenne relèveraient ainsi largement du protectionnisme, par opposition directe au libre-échange. Il s’agit notamment des tarifs douaniers dans le domaine agricole ou du blocage de certains accords commerciaux par les pays membres de l’UE.

Toutefois, si l’on se réfère aux droits de douane, le postulat protectionniste est nuancé : les droits moyens imposés sur l’ensemble des produits - 3,1% - sont dans l’ensemble inférieurs à ceux imposés par les principaux partenaires commerciaux de l’UE, et largement inférieurs à la moyenne mondiale - 5,6%. Certains secteurs sont très fortement taxés - comme l’agriculture, en moyenne 17,9% - et d’autres très peu - comme les produits manufacturés, en moyenne 2% - par rapport à la moyenne mondiale.

Par ailleurs, les tarifs préférentiels accordés par l’UE aux pays en développement sont largement utilisés - un cas sur cinq - et favorisent un commerce plus équitable avec les partenaires commerciaux de l’UE. Enfin, si l’UE dispose de mesures protectionnistes non-tarifaires sous la forme de barrières environnementales, elle les utilise bien moins que les Etats-Unis ou le Japon.

On peut néanmoins noter que l’UE et ses pays membres ne se jettent pas corps et âme dans le libre-échangisme. Les institutions européennes et les gouvernements montrent un vif engagement dans la protection des intérêts européens face à la concurrence déloyale internationale, comme le prouve le bilan de l’Union au sein du système de règlement des litiges commerciaux de l’OMC. A leur échelle, les gouvernements nationaux sont également très vigilants dans la protection de leurs intérêts nationaux, à l’image du gouvernement allemand bloquant plusieurs ventes à des investisseurs chinois sous couvert d’équité commerciale.

Ainsi, l’Union européenne se revendique d’un héritage libre-échangiste, dès sa création. Fondée sur le principe de la libre circulation des biens et services, l’UE promeut aujourd’hui une politique commerciale libre et équitable. Si certains détracteurs n’hésitent pas à la considérer comme protectionniste, voire dénoncent une “forteresse économique imprenable” , il faut davantage voir dans ce volet de la politique commerciale européenne une protection contre les effets indésirables de la concurrence étrangère qu’une négation de son principe libre-échangiste fondateur.

Le blocage des négociations sur la réforme de l’OMC pousse l’UE à trouver de nouvelles solutions de promotion du libre-échange et à organiser différemment sa politique commerciale. C’est donc au moyen d’accords bilatéraux totaux et réinventés que l’UE désire mener ses futures relations économiques internationales.

Article dirigé par Toute l’Europe et réalisé avec des élèves de Sciences Po dans le cadre d’un projet collectif

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