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Laurence Nardon : “La finalité de Galileo n’est pas la même pour tous les membres de l’Union”

Laurence Nardon - DRLaurence Nardon est chercheuse à l’Institut français de relations internationales (IFRI). Elle est en charge du programme Espace du Centre français sur les Etats-Unis (CFE). Elle a participé à l’ouvrage collectif de l’IFRI consacré au programme Galileo : “Galileo, la navigation par satellite européenne. Questions juridiques et politiques au temps de la concession”.

Quels sont les intérêts du dispositif Galileo pour l’Union européenne ?

Galileo présente tous les intérêts liés à un système de radionavigation par satellite : il servira à savoir où vous êtes, où vous allez, et à quelle vitesse. Il sera également utile pour la mesure précise du temps. Chaque satellite contient à son bord une petite horloge atomique, qui permet de savoir au millionième de seconde l’heure qu’il est. Cela permettra de faire fonctionner des systèmes de cryptage et de protection, pour des échanges bancaires par exemple, ou de réguler la circulation d’électricité dans un réseau électrique. Cette utilisation moins connue pourrait être l’une des plus rentables du système. Le fait que l’Union européenne gère toutes ces applications lui apportera des avantages non négligeables.

La Commission européenne annonce la création de 150 000 emplois autour de Galileo. Quels secteurs d’activité, et quels Etats sont-ils susceptibles de bénéficier le plus directement de ce projet ?

Tous les emplois crées concernent plusieurs secteurs d’activité. Il y a d’une part les emplois nécessaires à la fabrication du système, à savoir le segment spatial (satellites, horloges atomiques, lanceurs) et le segment sol (stations à terre). Ces emplois-là bénéficieront sans doute davantage aux puissances spatiales européennes (France, Allemagne, Italie, Grande-Bretagne) et à leurs industries (EADS, Alcatel Alenia Space…).

D’autre part, des emplois seront crées dans les services en aval, chez les fabricants de récepteurs, dans les compagnies automobiles qui se serviront de Galileo comme ils utilisent aujourd’hui le GPS. Le système permettra également des utilisations dont il est difficile aujourd’hui de faire une liste détaillée, comme les systèmes de mesure du temps dans les banques ou dans les services électriques. Toutes les entreprises situées dans ce segment en aval se trouvent pour la plupart en Europe occidentale.

Quel est le rôle des différentes institutions européennes dans le lancement et le développement du programme ?

Galileo est un programme cogéré par la Commission européenne et l’Agence spatiale européenne (ESA) au sein de l’entreprise commune Galileo (Galileo Joint Undertaking), qui a accompagné la mise en place du système. Les chancelleries des Etats membres ont joué un rôle politique important dans la mise en route de ce programme. Maintenant qu’on arrive au stade de la concession, la GJU va céder la place à la GSA (Galileo Surveillance Authority), qui aura pour rôle de surveiller le concessionnaire industriel.

Contrairement aux dispositifs américain et russe, GALILEO n’aura pas d’application militaire. Pourquoi ?

On touche là à un sujet de contentieux. Galileo est effectivement un système civil, géré par des civils. Mais l’un des cinq signaux proposés, le PRS (Public Regulated Signal), qui sera crypté et protégé des interférences, intéresse énormément les militaires. Mais certains pays européens, notamment le Royaume Uni, sont opposés à toute utilisation militaire de ce signal. Les Britanniques souhaitent que l’usage du PRS, dont l’existence n’est pas remise en cause pour d’autres applications, soit interdite pour les militaires. Leur argument est le suivant : les pays européens sont quasiment tous membres de l’OTAN, et le système de navigation de l’OTAN, c’est le GPS.

La France, l’Italie ou l’Allemagne, ne partagent pas cette vision des choses. L’accord conclu en 2004 entre la Commission et le département d’Etat américain a ouvert des possibilités de coexistence, et même de coopération, entre les deux systèmes. Par ailleurs, si les forces armées se servaient du PRS, qui est payant, cela augmenterait de 20 à 30 % les parts de marché de Galileo. Or, ce programme connaît d’ores et déjà des problèmes de financement.

On retrouve derrière la position britannique la relation spéciale transatlantique mais en réalité, sur ce dossier, les Britanniques sont plus royalistes que le roi. Car je ne suis pas sûre que les Etats-Unis soient si opposés que cela à une utilisation militaire de Galileo.

A quelles fins les militaires se serviraient-ils de Galileo ?

Malheureusement, à des fins assez agressives. La grande utilisation de la navigation pour les forces armées, c’est le guidage des missiles.

Est-il exact que les Etats-Unis ont tenté d’empêcher les Européens de se doter d’un système de radionavigation par satellite ? Est-ce encore le cas aujourd’hui ?

Ils s’y sont opposés au départ, de la même manière qu’ils s’étaient montrés hostiles, dans les années 70, aux efforts de l’Europe pour fabriquer le lanceur Ariane et le satellite Hélios. C’est surtout le département américain de la Défense qui était opposé à Galileo, sous prétexte que les Européens pouvaient déjà se servir gratuitement du GPS. En 2001, les Américains ont adressé à l’Europe une lettre assez hostile, mais après que le Conseil des Transports de mars 2002 eut pris l’une des premières décisions irrévocables de lancement du programme, ils ont assez rapidement changé d’avis, montrant ainsi leur pragmatisme. Après un an de négociations assez difficiles, notamment sur l’incidence éventuelle des signaux Galileo sur leur propre système crypté, un accord signé en juin 2004 a rendu possible la coexistence des deux systèmes, voire leur coopération.

De nombreux pays extra européens, comme la Chine (qui s’est d’ailleurs retirée depuis), l’Inde ou Israël, ont rejoint le programme GALILEO. Quel est leur rôle dans le dispositif ?

Ils ont d’abord un rôle de validation politique sur la scène internationale. Bruxelles a trouvé utile de montrer que d’autres pays dans le monde s’intéressaient au système européen, qui avait été battu en brèche par les Etats-Unis.

En outre, il s’agit d’une coopération gagnant-gagnant : ces pays nous apportent de l’argent en échange de contrats de fabrication d’éléments de l’architecture Galileo. Cela dit, il ne faut pas que les éléments du système qu’on leur donne à fabriquer demandent des transferts de technologie trop sensibles. C’est d’ailleurs pour cela que la Chine s’est retirée : elle avait apporté une telle somme qu’on ne pouvait lui donner suffisamment de contrats sans lui transférer des technologies sensibles, notamment pour les horloges atomiques. Les Chinois ont leur programme de radionavigation, Beidu. Il est évident qu’ils espéraient récupérer des technologies pour fabriquer leur propre système.

Les partenaires de l’UE pourront évidemment se servir de Galileo, mais, à moins d’un accord à l’unanimité des 25, seuls les pays européens auront le droit de faire accéder leurs forces armées au signal PRS.

Sur un plan diplomatique, ce programme aura-t-il une incidence sur le rôle de l’UE dans le monde ?

C’est une grosse question, puisque la finalité de Galileo n’est pas la même pour tous les membres de l’Union. Un pays comme la France escompte évidemment des bénéfices diplomatiques de Galileo, en terme d’indépendance stratégique et en ce qui concerne le rôle de l’UE en matière de sécurité et de défense. Aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne, ce rôle-là de l’Europe est tellement peu mis en avant que l’impact attendu de Galileo n’est pas du tout le même. Ces pays attendent plutôt des parts de marché, une Europe plus utile aux citoyens, ils mettent moins l’accent sur l’indépendance stratégique.

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