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Laure Delcour : “La politique de voisinage unit dans un même cadre des pays qui ont pour seul point commun d’avoir une frontière avec l’Union”

Laure Delcour est directrice de recherche à l’IRIS et maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris . Depuis 2003, elle a conduit plusieurs missions et études dans le cadre de programmes de coopération extérieure de la Commission européenne et poursuit actuellement ses recherches sur la réception de la politique européenne de voisinage dans les pays de la CEI. Elle nous explique le fonctionnement et les enjeux de la politique européenne de voisinage.


Comment est née la politique européenne de voisinage (PEV) ? Quels en sont les objectifs ?

La politique de voisinage est née de la prise de conscience, au début des années 2000, des conséquences externes de l’élargissement de 2004.

Plusieurs Etats membres de l’UE (Suède, Finlande, Royaume-Uni) et pays candidats (Pologne) sont à l’origine de cette réflexion, et les événements internationaux (les attentats du 11 septembre 2001) ont aussi joué un rôle en plaçant les questions de sécurité en tête de l’agenda européen.

Avec les nouvelles frontières issues de cet élargissement, l’UE serait désormais au contact de pays beaucoup plus pauvres, moins démocratiques (voire de dictatures, par exemple en Biélorussie). Elle serait aussi confrontée à de nouvelles menaces : conflits, crime organisé, immigration clandestine, problèmes liés à l’environnement.

Les objectifs de la PEV, résumés dans un document de la Commission européenne intitulé “Une Europe plus large” (“Wider Europe”), tiennent en trois mots : stabilité, sécurité et prospérité.

L’idée fondamentale est d’offrir aux nouveaux voisins la possibilité de participer au marché intérieur et à certaines politiques de l’Union, en échange de progrès dans le respect de valeurs “communes” (démocratie, Etat de droit, respect des droits de l’homme). Ce que souhaite l’Union, c’est donc la création d’une interdépendance positive avec ses voisins, reposant sur le développement des échanges économiques et l’arrimage de ces pays au cercle des Etats de droit, afin d’éviter l’apparition de nouvelles lignes de fracture sur le continent.

Dans quelle mesure la politique de voisinage est-elle élaborée conjointement par l’UE et les pays partenaires ?

C’est là une question fondamentale à la fois pour la mise en œuvre de la politique et pour son impact.

Tout d’abord, il ne faut pas oublier que la politique de voisinage a été créée par l’Union européenne et pour elle. Elle unit dans un même cadre des pays qui ont pour seul point commun d’avoir une frontière avec l’Union, au sud ou à l’est. C’est donc une politique “euro-centrée” ; il n’y a d’ailleurs pas d’institutions unissant l’UE et l’ensemble des pays voisins, tout passe par une relation bilatérale entre l’Union et chaque pays partenaire.

En même temps, la PEV pose le principe de l’appropriation conjointe (“joint ownership”), c’est-à-dire que les priorités de la politique dans un pays voisin sont définies en commun par l’Union et ce pays. Ces priorités, qui font l’objet de négociations bilatérales entre la Commission européenne et chaque pays partenaire, sont inscrites dans des Plans d’action, clefs de voûte de la politique de voisinage.

Toutefois, dans quelle mesure ce processus est-il réellement conjoint ? La relation entre l’UE et ses voisins est asymétrique. L’Union représente un pôle d’attraction important pour la plupart des pays partenaires. Elle est donc en position de force dans les négociations, même si elle ne dispose pas de la même latitude d’action qu’avec les pays candidats. Dans le cas de ces derniers, la carotte que représente l’adhésion et l’obligation de reprendre l’acquis communautaire avant de rejoindre l’UE ont évidemment renforcé la marge de manœuvre de l’Union.

Dans quelle mesure l’élargissement à l’Est a-t-il fait évoluer la politique européenne de voisinage ?

L’influence de l’élargissement sur la politique de voisinage est triple.

Avant même de jouer un rôle dans son évolution, l’élargissement est à l’origine de la création de la politique de voisinage. C’est bien l’entrée de dix nouveaux pays qui a suscité à partir de 2001-2002 une réflexion sur les frontières de l’intégration européenne, plus précisément sur la question suivante : quelle relation mettre en place avec des voisins que l’Union ne pourrait ou ne voudrait pas nécessairement intégrer dans un avenir proche, mais qui jouent un rôle important pour la stabilité du continent ? La PEV commence à être mise en œuvre quelques mois après l’adhésion des nouveaux membres, en 2004.

Autre influence évidente de l’élargissement : les méthodes et instruments utilisés dans le cadre de la politique de voisinage s’inspirent très largement de ceux développés lors du processus d’adhésion des 10 nouveaux membres dans les années 1990. On retrouve par exemple dans la politique de voisinage l’utilisation de la conditionnalité, mais aussi TAIEX et Twinnings, instruments d’assistance créés dans les années 1990 pour faciliter l’adoption et la mise en œuvre de l’acquis communautaire.

Enfin, le contenu même de la politique de voisinage évolue au rythme des élargissements de l’Union. L’adhésion de deux nouveaux pays (la Roumanie et la Bulgarie) le 1er janvier 2007 crée de nouvelles frontières avec la Moldavie, la Turquie et la Géorgie. Indiscutablement, ce nouvel élargissement contribue à focaliser l’attention sur les enjeux et les problèmes dans la région de la mer Noire.

Pourtant, il serait erroné de vouloir analyser la politique de voisinage à travers le seul prisme de l’élargissement. La PEV n’a pas été créée ex nihilo dans les pays voisins. Elle se construit également sur le socle des relations développées dans les années 1990 avec l’UE, par exemple le Partenariat euro-méditerranéen. Elle s’ajoute donc aux politiques et accords existants, sans les remplacer.

Le 11 avril 2007, la Commission européenne a présenté une nouvelle initiative de coopération de l’Union européenne pour la région de la Mer Noire dans le cadre de la politique européenne de voisinage (PEV). Quels sont les objectifs de cette nouvelle coopération ? Quel impact cette initiative peut-elle avoir sur les relations UE-Turquie ?

Du point de vue de la politique européenne, la région de la mer Noire est une véritable mosaïque. Les relations bilatérales de l’UE avec les pays riverains de la mer Noire sont en effet régies par des politiques différentes :

la Turquie est candidate à l’adhésion et donc incluse dans la politique d’élargissement ;

la Roumanie et la Bulgarie sont membres de l’UE depuis le 1er janvier 2007 ; l’Ukraine et la Géorgie font partie de la politique de voisinage ;

quant à la Russie, elle a refusé d’intégrer cette politique et développe un partenariat stratégique avec l’UE fondé sur l’instauration de quatre espaces communs, décidée en 2003 à Saint-Pétersbourg.

Or, ces pays sont aussi confrontés à des enjeux similaires - par exemple dans les domaines de l’environnement ou de l’énergie, des migrations ou de la sécurité (c’est dans la région de la mer Noire que subsistent plusieurs conflits “gelés” impliquant plusieurs pays, en Abkhazie, en Transnistrie notamment).

Cette nouvelle initiative a donc pour objectif de développer une coopération au niveau régional, et par là même de compléter les diverses politiques bilatérales. Par exemple, elle mettra en place un système d’alerte régional pour lutter contre le crime organisé.

Dans cette nouvelle initiative, la Turquie jouera certainement un rôle majeur, en raison de son influence historique et stratégique dans la région. La zone de la mer Noire pourrait donc devenir le laboratoire de la candidature turque pour l’adhésion à l’UE.

Peut-on parler d’une dépendance énergétique de l’Union à l’égard de ses “nouveaux voisins” ? La politique de voisinage tient-elle compte de cette dimension ?

La dépendance énergétique globale de l’Union européenne va s’accroître : en 2030, l’UE importera plus de 70% de sa consommation (contre un peu plus de 50% actuellement). Or, les pays voisins jouent un rôle fondamental dans l’approvisionnement de l’Union. Dans la production de l’énergie bien sûr (la Russie assure environ 50 % des importations de gaz européennes et plus de 30 % des importations de pétrole, l’Algérie est aussi un important fournisseur de gaz), mais aussi dans son acheminement : quel que soit le pays de production, oléoducs et gazoducs transitent par les pays voisins (Ukraine, Biélorussie, Caucase…).

La politique de voisinage prend bien évidemment en compte cette dimension. Pour desserrer la contrainte énergétique, l’UE s’efforce à la fois de sécuriser les approvisionnements en diversifiant ses sources et d’améliorer l’accès au marché énergétique dans les pays voisins, en promouvant un cadre législatif aligné sur l’acquis communautaire. L’objectif à long terme est de développer des réseaux énergétiques fiables, et de créer ainsi un espace intégré entre l’UE et ses voisins.

Propos recueillis le 24/04/07

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