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Laetitia de Marez : “La décision de l’Union européenne constitue la plus grande avancée pour la protection du climat depuis le protocole de Kyoto”

Laetitia de Marez - DR

Laetitia de Marez est chargée de mission auprès de Greenpeace International, en charge des questions d’énergie et de climat. Elle répond aux questions de Touteleurope.fr dans le cadre du dossier spécial “énergie et climat” .

Greenpeace apparaît critique à l’égard du plan de la Commission en matière d’énergie et de lutte contre le réchauffement climatique. L’Union européenne n’est-elle pas en pointe dans ce domaine ?

Le Conseil européen qui vient de s’achever envoie au monde un signal politique très positif : celui d’une Europe qui enfin accepte de reprendre la main et le leadership dans le processus international de definition de Kyoto 2. C’est une décision que nous saluons et qui constitue depuis 1997 et l’adoption du Protocole de Kyoto, la plus grande avancée pour la protection du climat .

La position de l’Union recèle néanmoins une faiblesse : l’Union propose de s’appliquer a elle-même un objectif de réduction de 30 % d’ici 2020, par rapport aux niveaux de 1990 si et seulement si le reste des pays industrialisés se soumettent aux mêmes exigences et si les pays émergents contribuent à l’effort global. Dans tous les cas, l’Union s’engage a réduire ses émissions de 20 % d’ici 2050. Ceci est contradictoire avec l’objectif affiché par l’UE de maintenir la hausse de la température moyenne globale en deçà de 2 degrés celsius par rapport aux niveaux pré-industriels, ce qui requiert une division par deux des émissions mondiales à l’horizon 2050. Pour les pays industrialisés, historiquement responsables du problème, cela implique une division par quatre de leurs émissions, trajectoire qui nécessite une réduction d’au moins 30 % d’ici 2020.

Le signal politique envoyé à la communauté internationale, s’il est celui d’une Europe volontariste, est aussi celui d’une Europe qui s’obstine à espérer un hypothétique revirement de l’administration Bush (et de Howard en Australie à sa suite) et que le prochain président américain se saisira du réchauffement climatique comme sa première priorité. Encore une fois, cette attitude de l’Union permet encore aux Etats-Unis de tenir le reste du monde en otage sur la question climatique.

Nous saluons également le caractere contraignant de l’objectif de 20 % de la consommation d’énergie à base d’énergies renouvelables dans l’Union d’ici 2020. Les dirigeants européens ont, semble-t-il, retenu la lecon de la directive de 1997 sur les énergies renouvelables, que plusieurs Etats membres ne sont pas en passe de respecter car elle n’était qu’indicative. La France en est un exemple, avec une part de l’électricité renouvelable en déclin de 14 et 13 % (la production du grand hydraulique étant affectée par les aléas climatiques), on voit mal comment elle pourrait atteindre les 21 % requis dans les trois prochaines annees. C’est pourquoi le President Chirac a une derniere fois tenté d’imposer le nucléaire comme énergie “non-carbonnée” , soutenu par plusieurs nouveaux Etats membres. Heureusement, la presidence allemande a su resister. Nous espérons qu’Angela Merkel demeurera dans le même état d’esprit lors du G8 +5 et saura mettre la pression sur les autres pays industrialisés tout en rassurant les pays émergents.

Manque également à ce package des objectifs renouvelables sectoriels (électricité, chaleur/froid) qui offrirait une flexibilité aux Etats sur le choix des type de renouvelables à développer dans leur contexte national.

Quant à l’objectif de 10 % de biocarburants, des garde-fous stricts doivent encore être définis pour assurer qu’ils seront produits de maniere durable et avec un bilan carbone avantageux pour l’atmosphère.

Les institutions européennes ont une rôle primordial à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique, les citoyens l’ont bien compris car à 62 % (cf. Eurobaromètre Mars 2007) ils comptent sur elles pour apporter des solutions et imposer aux gouvernements nationaux des mesures qu’ils n’ont pas eu, jusqu’ici, le courage de mettre en place. Il s’agit là pour l’Europe d’une énorme responsabilité mais aussi d’une grande opportunité de rassembler les citoyens derrière un projet politique commun articulé autour d’une recherche de la prospérité dans le respect des autres peuples et du climat mondial.

Le retrait rapide de l’énergie nucléaire en Europe, que Greenpeace appelle de ses voeux, est-il compatible avec une diminution drastique de l’utilisation des hydrocarbures à des fins de production d’énergie ?

On pose très souvent mal le problème. L’alternative n’est pas “le nucléaire ou les énergies fossiles” , ou “le nucléaire ou l’effet de serre” , comme le ressasse à l’envi la propagande du lobby nucléaire. Il existe une troisième voie faite de sobriété et d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables. L’industrie nucléaire était moribonde dans les années 1990 et est toujours mal en point (en 2006, dans le monde, 8 centrales ont fermé contre 3 nouvelles mises en réseau). Elle exploite la crainte des populations face au réchauffement climatique et le manque d’imagination et de courage des politiques pour se faire passer pour un “mal nécessaire” et une solution simple a un problème extrêmement complexe.

Plusieurs pays européens (notamment des poids lourds comme l’Allemagne et l’Espagne) ont décidé de sortir du nucléaire, non pas seulement pour répondre aux préoccupations morales d’une partie grandissante de leurs populations opposées aux risques intolérables associes au nucléaire mais aussi pour des raisons économiques et financières et de sécurité énergétique. L’Allemagne, par la voix de son ministre de l’environnement, a encore rappelé récemment sa volonté de sortir du nucléaire à la faveur d’un boom des énergies renouvelables, permettant au pays d’atteindre, d’ici à 2010, 12,5% d’énergies propres dans son mix énergétique. Rappelons au passage que l’Allemagne a déjà créé plus de 120 000 emplois directs grâce aux filières renouvelables, et continue a redynamiser ses territoires - le gisement d’emploi est estimée a plus de 125 000 en France. D’après les professionnels du secteur, et comme démontré par l’étude publiée par Greenpeace International et l’EREC fin janvier 2007, grâce a des politiques adaptées permettant notamment une juste concurrence entre les différentes énergies, en 2050, 70% de l’électricité consommée dans les 25 membres de l’Union pourraient venir de sources renouvelables.

Les deux secteurs dont les émissions explosent a l’échelle européenne sont les transports et l’habitat/tertiaire. Dans le premier cas, le nucléaire peut peu, quand bien même les problèmes d’autonomie des véhicules électriques seraient réglés : à moins de diminuer drastiquement l’usage de la voiture particulière et de développer massivement les transports collectifs, il faudrait couvrir l’Europe de centrales nucléaires (ou pire fossiles, plus rapides et moins chères a construire) dans un temps record (pour respecter les engagements de réduction d’émissions) et à coup d’investissements colossaux pour répondre a une telle demande d’électricité. Donc, sur le plan des transports, le nucléaire n’est pas d’un grand secours. La France encore une fois est un cas caricatural ; nos 75 % d’électricité nucléaire ne nous ont pas aidés à stabiliser nos émissions, ni à diminuer notre dépendance énergétique : le secteur des transports français reste à 97,5 % dépendant des importations d’hydrocarbures. Sur la question de l’habitat et du tertiaire, la réponse n’est certainement pas d’ajouter encore de nouvelles capacités de production nucléaire, mais réside dans de meilleures performances énergétiques des bâtiments (rénovation du bâti ancien première priorité) et l’établissement de standard énergétiques stricts et obligatoires pour tous les produits consommateurs d’énergie, conduisant de facto a l’éviction du marche de l’Union des produits les plus inefficaces (l’ampoule à incandescence, qui gaspille 95% de l’énergie qu’elle consomme en chaleur est un cas emblématique qui devrait être purement et simplement interdit, au même titre que le chauffage électrique par exemple responsable de pics de consommation, qui génèrent de fortes émissions de CO2). L’exploitation de l’énorme potentiel d’efficacité énergétique dans l’Union pourrait permettre, d’ici à la moitié de ce siècle, de réduire la demande d’électricité aux deux tiers de ce qu’elle est aujourd’hui.

Le cours des quotas d’émissions de CO2 s’est récemment effondré sur les marchés européens d’échange de ces permis d’émission. Cet événement vous paraît-il remettre en cause l’efficacité de ce dispositif ?

Non, ce type d’instruments a fait ses preuves, notamment aux Etats-Unis pour la régulation de gaz industriels.

La première phase (2005-2008) du marché a été voulue par la Commission et les Etats membres comme une phase d’apprentissage : le marché est encore jeune et volatile. Mais ceci n’excuse pas de sacrifier 4 années de la lutte contre le réchauffement climatique.

Ce qui crée la valeur d’une marchandise, c’est le jeu de l’offre et de la demande. Les gouvernements nationaux ont tellement sur-alloué de quotas à leurs industries (44 millions de tonnes de CO2 excédentaires distribuées par rapport aux émissions réelles de 2005) que le marché se retrouve inondé, il n’y a pas de rareté donc le prix reste dérisoire. L’absence de visibilité sur la continuation après 2012 du mécanisme, et donc d’une diminution des volumes échangeables, n’agit pas non plus en faveur du prix du carbone.

Pour la seconde phase du marché, la Commission se montre plus stricte sur les quantités de quotas distribués par les Etats membres (la France a dû revoir sa copie) et a même entamé un bras de fer avec certains états pour imposer une révision à la baisse des plans nationaux d’allocation des quotas. La directive régissant l’ensemble du système va être révisée à la fin de cette année, ce qui devrait permettre d’inclure d’autres secteurs comme l’aviation en plus de l’énergie et de l’industrie manufacturière. Ce sera surtout l’occasion de serrer la vis et de permettre à cet instrument de fonctionner correctement après ce faux départ dû a l’incapacité des gouvernements à résister aux pressions des industriels.

Propos recueillis le 11/03/07

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