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La question climatique a-t-elle redonné aux jeunes Européens le goût de la politique ?

La mobilisation générée par la question climatique depuis un an s’est particulièrement ressentie chez les jeunes, en Europe et dans le monde. Du phénomène Greta Thunberg au bond de participation aux élections européennes, la jeunesse européenne semble réinventer l’engagement politique à sa façon.

Rassemblement de jeunes lors de la manifestation hebdomadaire “Fridays For Future” à Bonn, en Allemagne, le 20 septembre 2019 - Crédits : Mika Baumeister / Unsplash

Récemment projetés sur le devant de la scène médiatique à l’occasion des marches pour le climat, ceux que l’on appelle “génération Y” (moins de 35 ans), tout comme leurs successeurs la “génération Z” (moins de 20 ans) étaient jusqu’alors régulièrement pointés du doigt pour leur supposé utopisme passif, leur désengagement présumé et la perte de valeurs qu’ils incarneraient. Il suffit de taper “pourquoi les jeunes” dans n’importe quel moteur de recherche pour voir apparaître la requête “pourquoi les jeunes ne votent pas” .

L’intérêt des jeunes pour la politique est en effet présenté comme plus bas que dans le reste de la population. Et les chiffres semblent le confirmer : en 2017, 44 % des Français de 18-25 ans déclaraient d’ailleurs ne pas s’intéresser à la campagne présidentielle, selon une étude IFOP. Cette même année, “moins d’un électeur sur cinq âgé de moins de 29 ans a voté de manière systématique” , dévoile l’INSEE, tandis que d’autres prédisaient à l’aube des élections européennes de mai 2019 une abstention record de la jeunesse. Comment cette génération d’Européens a-t-elle pu devenir en quelques mois un symbole de la lutte contre le réchauffement climatique ?

Les jeunes s’engagent, mais différemment

L’abstention que l’on prête à la jeunesse n’est pas un phénomène récent. Au niveau européen, en 1993 déjà 38 % des jeunes de 15-19 ans et 25 % des 20-24 ans (la classe d’âge précédant donc la génération Y) étaient considérés comme dépolitisés. A l’origine de l’étude comportant ces chiffres, Pierre Bréchon, chercheur en science politique à Sciences Po Grenoble et spécialiste des comportements politiques, montre que ce phénomène n’est pas propre aux jeunes générations. Interrogé par Toute l’Europe, il affirme que la jeunesse “n’est pas particulièrement dépolitisée par rapport aux adultes” . Pas plus qu’elle ne l’est au cours du temps : “les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas moins politisés que ceux d’avant” , estime l’universitaire.

L’abstention ne s’expliquerait par ailleurs pas par une baisse de la politisation, mais par un changement du sens donné au vote pour l’ensemble des électeurs, les jeunes y compris : “autrefois, le citoyen allait voter car c’était son devoir (…) Aujourd’hui, on va voter si on a quelque chose à dire dans le scrutin. Et c’est beaucoup plus exigeant, car pour avoir quelque chose à dire, il faut inévitablement être plus politisé” , poursuit Pierre Bréchon.

Mais si les jeunes votent en effet moins que leurs aînés, c’est aussi car leurs modes d’expression politique et leurs revendications sont différents. “Les jeunes sont engagés au moins autant, voire plus que le reste de la population, dans les associations déposées auprès des préfectures” , affirme Patricia Loncle, enseignante-chercheuse à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). En 2017, l’enquête Eurobaromètre sur la jeunesse européenne indiquait que 53 % des 15-30 ans affirmaient avoir été engagés dans au moins une association au cours de l’année. Un chiffre qui n’est que de 5 % dans le cas d’associations environnementales mais qui est aussi à relativiser : l’engagement de la jeunesse est en réalité difficilement quantifiable. Selon Pierre Bréchon, “les jeunes ne sont plus des militants ‘fidèles’ d’une organisation ou d’un parti, mais se mobilisent plutôt de manière spontanée, pour des causes qui leur plaisent et qui en valent la peine à leurs yeux” . Et ces causes s’éloignent de la politique dite “traditionnelle” : les jeunes préfèrent “les grands enjeux, notamment liés à la nature, à l’environnement et à l’avenir de la planète” , explique Anne-Marie Dieu, directrice de recherche à l’Observatoire wallon de l’enfance, la jeunesse et l’aide à la jeunesse.

Les grèves pour le climat

C’est ce caractère spontané, hors des cadres politiques classiques et en faveur d’enjeux planétaires que l’on retrouve dans la mobilisation initiée par l’activiste suédoise Greta Thunberg, faisant suite aux publications de différents rapports scientifiques sur le changement climatique, comme ceux du GIEC.

Ce mouvement de la jeunesse, né en Europe, se distingue notamment par son internationalisation rapide, et sa popularité auprès des jeunes générations. Au départ peu structuré, cet engagement s’est rapidement coordonné autour d’ONG comme Youth for Climate, créée en 2019 par des lycéens belges. Très vite, des mouvements de masse se développent avec des grèves hebdomadaires (Fridays for Future) de lycéens et d’étudiants, très importants en Europe, mais également présents partout dans le monde, même au sein des pays en voie de développement. S’il atteint son sommet à la fin du mois de septembre 2019 avec la grève mondiale pour le climat, et une marche internationale devant le siège des Nations Unies à New York en marge du Sommet Action Climat de l’ONU, le mouvement se pérennise et continue aujourd’hui encore de mener des actions régulières dans différents pays.

Mobilisée autour de la question climatique, la jeunesse européenne et mondiale s’est ainsi donné un combat, qui en s’internationalisant a mis en lumière l’existence d’une volonté politique propre à cette génération.

De la rue aux urnes ?

Inscrite dans un contexte électoral régional à la veille des élections européennes, la mobilisation des jeunes Européens en faveur de l’écologie a permis de redonner à la jeune génération une envie de peser dans le débat politique et de faire “changer les choses” : en somme, elle lui a donné “quelque chose à dire” dans ce scrutin, pour reprendre les termes de Pierre Bréchon. Les élections du 26 mai 2019 ont ainsi vu une participation en hausse de 14 points depuis 2014 chez les jeunes.

Et cette importante augmentation de la participation pourrait bien être en partie due à l’enjeu environnemental. 45 % des moins de 25 ans l’ont cité parmi les deux premiers enjeux les ayant incités à voter dans un Eurobaromètre post-élections européennes. En France, l’environnement est ce qui a le plus contribué à mobiliser les jeunes actifs (58 % des répondants âgés de 25 à 39 ans), tandis qu’en Allemagne, “34 % des 18-24 ans ont voté pour des candidats écologistes, contre 11 % pour la CDU et 8 % pour le SPD” , explique Sabine Saurruger, enseignante chercheuse en affaires européennes à Sciences Po Grenoble.

Néanmoins, l’engouement inédit pour les questions climatiques ne semble pas être seul responsable de la hausse de la participation à ces élections, que ce soit pour les jeunes ou pour l’ensemble de la population électorale : Pierre Bréchon y voit aussi “un effet de conjoncture : dans le contexte du Brexit, les enjeux européens ont été très fortement médiatisés depuis deux ans, les gens ont beaucoup entendu parler de l’Europe, et avaient quelque chose à dire sur l’Europe. Il faudra voir si cette tendance se poursuit” , et s’il ne s’agit pas que d’un engagement ponctuel.

Même si une partie de cette jeunesse ne s’est pas exprimée à travers le vote (par abstention, mais aussi car une large partie des lycéens mobilisés pour le climat ne possèdent pas encore le droit de vote), son engagement pourrait rebattre les cartes de la politique en Europe et dans le monde. Une jeunesse politisée cherche à se faire entendre et à faire bouger les choses, comme en témoignent les discours virulents de Greta Thunberg face aux chefs d’Etats ou parlementaires de différents pays, ou encore l’attaque en justice de plusieurs Etats par des jeunes.

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