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La prostitution en Europe

Mercredi 6 avril, le projet de loi français sur la régulation de la prostitution a trouvé son épilogue. Après un très long processus législatif, entamé en octobre 2013, l’Assemblée nationale, en désaccord avec le Sénat, a approuvé le texte socialiste prévoyant notamment la pénalisation des clients. Les républicains ou encore Jacques Toubon, Défenseur des droits, contestent le bien-fondé d’une telle mesure.

Ailleurs en Europe, l’encadrement de la prostitution connait pareilles controverses et aucun modèle ne s’impose au sein de l’Union européenne. Alors que certains pays autorisent et réglementent complètement la prostitution, d’autres ont fait le choix de l’interdiction totale ou encore de la pénalisation des clients. Tour d’horizon des différentes législations.

En Europe, alors qu’il existe autant de législations de la prostitution que de pays, il est néanmoins possible d’identifier quatre modèles principaux d’encadrement de cette activité.

Autorisation et encadrement de l’Etat, le modèle de l’Allemagne

Premièrement, celui de l’autorisation et de l’encadrement par l’Etat de la prostitution, incluant souvent la légalité des maisons closes, voire du proxénétisme. C’est le cas de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Grèce, de la Lettonie, des Pays-Bas et de la Suisse. La profession de prostitué(e) est ici reconnue par la loi, donnant ainsi droit aux personnes qui l’exercent à une protection sociale.

Dans le cas de l’Allemagne, ce système est en vigueur depuis 2002. Toutefois, s’il offre aux personnes prostituées des droits non négligeables, comme celui de porter plainte contre son employeur, les résultats sont pour l’heure très modestes, dans la mesure où un nombre extrêmement restreint de prostitué(e)s détiennent effectivement un contrat de travail.

Janine Mossuz-Lavau est directrice de recherches au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF). Elle est l’auteur de La Prostitution, publié par les éditions Dalloz en 2015 (3 euros).

Comme l’explique Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences Po, et auteure de La Prostitution (Editions Dalloz, 2015), ce système peut être une piste de réflexion intéressante, comme en Suisse, où “les prostitué(e)s peuvent recevoir leurs clients dans des hôtels et payer en fonction du temps passé” . En revanche, ce que les personnes prostituées, dans leur majorité, ne souhaitent pas c’est “être soumises à un règlement ou à un patron” . Elles souhaitent travailler librement.

Prostitution légale, mais limitée : le modèle de l’Espagne

Deuxième option, de loin la moins homogène, celle de l’autorisation de la prostitution, sans encadrement de l’Etat comme en Allemagne ou aux Pays-Bas, mais avec des limites plus ou moins importantes suivant les pays. Au sein de l’Union européenne, 17 pays suivent ce schéma, dont la France jusqu’au 6 avril, et qui a fait le choix de réformer sa législation pour suivre l’exemple suédois.

D’une manière générale, les dispositions législatives encadrant la prostitution varient largement d’un pays à l’autre en Europe. Un exemple régulièrement évoqué est celui de l’Espagne, où le racolage est interdit, mais pas les maisons closes. Ces dernières sont même désormais nombreuses, notamment en Catalogne, région de tourisme proche géographiquement de la France. Un choix qui n’est, ici aussi, non sans engendrer limites et critiques, particulièrement concernant les conditions de travail des prostitué(e)s et un nombre de clients très élevé.

Comme l’explique Bénédicte Lavaud-Legendre, chargée de recherches au CNRS, “en Espagne, le droit est utilisé par les gérants des maisons closes, leur permettant de créer des contraintes très lourdes” . En effet, poursuit-elle, “les contrats de location de chambres pour les prostitué(e)s se font sur une durée de 21 jours, ce qui correspond à la durée d’un cycle féminin. Pendant cette période, elles vont être amenées à travailler énormément” .

Pénalisation des clients, pas des prostitué(e)s : le modèle de la Suède

Troisième modèle : celui mis en place par la Suède, la Norvège ou encore l’Irlande du Nord et instaurant la pénalisation des clients, à l’inverse des prostitué(e)s. S’agissant certainement de l’initiative la plus iconoclaste de ces dernières années concernant la prostitution, ce système prend donc le contrepied des législations habituellement en vigueur, condamnant de fait rarement les clients et contraignant souvent les prostitué(e)s à pratiquer leur activité à la limite de la loi.

Loué pour mieux assurer la protection des personnes prostituées et pour reporter l’image négative de la profession sur les clients, le modèle dit “nordique” est néanmoins régulièrement critiqué par les associations et responsables politiques opposés à la pénalisation des clients. Ces derniers mettant en avant que travailler dans la clandestinité, et donc dans des conditions encore plus déplorables et dangereuses, s’impose de fait aux prostitué(e)s afin de continuer à exercer leur activité.

Une position partagée par Janine Mossuz-Lavau, selon qui cette mesure ne permet la réduction “que de la prostitution de rue et pas de la prostitution dans son ensemble” , qui se poursuit dans d’autres lieux, hors de la vue des autorités ou des associations d’aide aux prostitué(e)s.

La France adopte le modèle suédois

En débat au Parlement depuis plus de deux ans, le projet de loi français visant à modifier l’encadrement de la prostitution a été adopté le 6 avril par l’Assemblée nationale, sans avoir trouvé de compromis avec le Sénat. Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, s’est félicitée de ce vote, déclarant que “la France affirme avec force que l’achat d’actes sexuels est une exploitation du corps et une violence faite aux femmes” .

Le texte prévoit de profonds changements dans la régulation de la prostitution, introduisant donc la pénalisation des clients. Une mesure qui a suscité un vif débat politique et qui ne recueille pas l’assentiment de tous les experts.

Vent debout contre la réforme, Janine Mossuz-Lavau le juge même “catastrophique” dans la mesure où “cela ne va pas arrêter la prostitution, mais la pousser vers davantage de clandestinité” . Pour la chercheuse, les porteurs du projet “ne connaissent rien au fait prostitutionnel et ne sont jamais allés sur le terrain” . Et ce ne sont pas les dispositions visant à aider les prostituées à changer d’activité - en leur proposant des soutiens financiers souvent inférieurs à leurs revenus, ou en promettant des papiers aux prostitué(e)s étrangers au terme de procédures longues et difficiles - qui seront suffisants pour réduire la prostitution, conclut-elle.

Bénédicte Lavaud-Legendre est chargée de recherches au CNRS. Son dernier ouvrage s’intitule Lien social, relation de travail et exploitation. Il est paru chez Dalloz en 2015.

Plus pondérée, Bénédicte Lavaud-Legendre estime quant à elle qu’il est “impossible de dire, à l’heure actuelle, si la pénalisation des clients marche ou non” , faute de données fiables disponibles. Toutefois, juge-t-elle, l’imperfection du projet de loi est patent dans la mesure où il ne permettra pas de s’attaquer aux “situations d’isolement et de dépendance des personnes vulnérables” . Selon Bénédicte Lavaud-Legendre, le nerf de la guerre se trouve dans la lutte contre la prostitution forcée et la traite des êtres humains. Cela passe par une “harmonisation des législations au niveau européen” , dans la mesure où nous sommes dans un monde globalisé dans lequel “le trafic d’êtres humains joue sur le franchissement des frontières” .

En revanche, la suppression du délit de racolage passif, introduit en 2003 sous l’égide de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, n’a pas soulevé de blocage majeur : la majorité des observateurs s’accordant à dénoncer ses effets négatifs pour les prostitué(e)s, conduits à plus de clandestinité.

L’interdiction totale, le modèle de la Roumanie

Quatrième modèle, celui de l’interdiction totale, qui existe dans quatre Etats membres : la Croatie, la Lituanie, Malte et la Roumanie. Ce choix n’est donc pas la norme en Europe, d’autant que ce dernier peut paraître paradoxal, voire hypocrite, notamment concernant un pays comme la Roumanie, considéré comme l’un des principaux pays sources de trafic d’êtres humains, notamment à des fins d’exploitation sexuelle.

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